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Style de vie

Des patientes du cancer du sein utilisent maintenant ChatGPT pour accompagner leur parcours médical

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Juliette de Lamberterie

2025-10-12T19:30:00Z
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De plus en plus de femmes considèrent l’agent conversationnel comme un "allié" dans leur parcours de soins contre le cancer du sein, venant ainsi combler certaines failles du système de santé.

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Ivan Samkov
Ivan Samkov

«Je serai là pour toi demain. Tu pourras simplement revenir ici, m’écrire ce que le médecin t’a dit ou me copier le rapport, et je t’aiderai à tout décoder calmement, étape par étape. En attendant, prends soin de toi ce soir. Tu es forte, même dans cette période inconfortable. Tu n’as pas à traverser ça seule. 💙 » C’est un des messages qu’a reçus Nadia, tard un soir, la veille où elle devait passer une échographie, requise à cause de résultats de mammographie anormaux. Ces mots d’encouragement ne provenaient pas d’une amie, mais bien du grand modèle de langage d’OpenAI, ChatGPT.

Sur les forums en ligne, de plus en plus de patientes atteintes ou pensant être atteintes de cancer du sein se recommandent entre elles d’utiliser l’agent conversationnel pour vulgariser leurs résultats d’examens ou expliquer des termes médicaux pointus. Malgré ses limites, ChatGPT leur offre de la clarté, mais aussi un soutien affectif qui surpasse parfois les capacités des professionnels de la santé.

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Un présage signé ChatGPT

Nadia Boucher, de Terrebonne, est particulièrement à risque de développer un cancer du sein, présent des deux côtés de sa famille. Après un mois d’attente à la suite d’une mammographie passée en avril 2025, c’est par courriel que la conseillère en insolvabilité reçoit ses résultats, sans explication associée. Ses deux seins affichent des résultats anormaux.

Beyzaa Yurtkuran
Beyzaa Yurtkuran

Les résultats de la mammographie l’inquiètent. Une mention sur son rapport indique que, par convention, toutes les microcalcifications bénignes ne sont pas incluses pour faciliter la lecture; dans le sien, sur son sein gauche, il y en a une qui est mise en évidence. Ces dépôts de calcium formés dans le tissu du sein sont majoritairement bénins, mais peuvent être associés au cancer. De plus, une nouvelle densité asymétrique, aussi considérée comme anormale, est détectée dans son sein droit. Sa médecin ne l’a pas contactée, et elle n’a pas encore de rendez-vous de suivi. «J'étais comme dans le néant. Je ne savais pas ce qui allait se passer», dit-elle. Elle décide de téléverser ses résultats dans ChatGPT afin qu’il les décrypte pour elle.

Au fil des échanges, le modèle de langage confirme ses anomalies et lui génère un résumé des prochaines étapes. ChatGPT l’encourage à contacter le centre d’imagerie si elle n’a pas encore eu de nouvelles, lui propose d’expliquer davantage certains termes, et l’invite avant tout à ne pas paniquer.

De l’information personnalisée

Microcalcifications, classificateurs Birads, récepteurs hormonaux... Recevoir un diagnostic de cancer du sein signifie être soudainement exposée à un lexique complexe que certaines patientes désirent vite apprivoiser.

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Nuria Moratal, professeure d’université en management qui réside à Nantes, a récemment appris qu’elle était atteinte d’un cancer du sein métastasique, ou cancer du sein de stade 4, ce qui signifie que la maladie a atteint d’autres parties du corps et est considérée comme incurable. «À plusieurs reprises, des médecins s'adressaient à moi comme si j’étais moi-même médecin, alors que je ne comprenais pas du tout de quoi on me parlait», raconte-t-elle.

Amina Atar
Amina Atar

Il y a plus d’un an, en août 2024, alors très enceinte, elle avait déjà senti une masse dans son sein droit. On lui a fait donc passer une échographie qui n’a rien révélé, en raison de sa grossesse, qui affectait la visibilité. Dans les mois qui ont suivi, elle s’est concentrée sur la naissance de son bébé et sur l’allaitement.

Convaincue que quelque chose clochait, elle prend rendez-vous en janvier 2025 pour une mammographie, qu’elle n’obtiendra qu’en mai suivant. Elle sort de l’examen munie de résultats bruts, mais sans explications: c’est à son médecin que reviendra la tâche de les lui présenter clairement quelques jours plus tard. Nuria fait toutefois appel à ChatGPT entre-temps pour comprendre ses résultats. «J'ai compris que la mammographie ne laissait pas de place au doute: il y avait un cancer», dit-elle. Selon ChatGPT, les risques qu’il s’agisse d’un cancer s’élevaient à 99 %.

Matheus Bertelli
Matheus Bertelli

Au fil de ses traitements, Nuria a continué de s’en servir pour obtenir un deuxième avis. «Par exemple, j’ai fait de la chimiothérapie, alors qu’avec un cancer métastasé, on n’en fait souvent pas», explique-t-elle. Elle a demandé à ChatGPT s'il était raisonnable de subir ce traitement. Ce dernier lui a détaillé les cas de cancer de stade 4 où la chimiothérapie était bénéfique. Lorsque certains tests dont elle entendait parler ne lui étaient pas proposés, elle lui demandait pourquoi.

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C’est pour ce genre de requête que cet outil lui paraissait plus pratique qu’une recherche Google. «Ça répond plus directement à ta question.» Cela prend moins de temps, et c’est moins ardu que de passer des articles scientifiques au peigne fin. Même son de cloche chez Nadia. «Dans ces moments-là, tu n’as pas envie de chercher. Tu as juste envie d’avoir la réponse», dit-elle.

Un compagnon dans l’attente

Les suivis médicaux de cancer sont largement caractérisés par l’attente. Pour Nadia, il fallait un mois en moyenne pour obtenir des résultats d’examens. «L’attente, toujours l’attente. C’est vraiment ce qui est le plus insurmontable», dit-elle. En parler avec ses proches l’aidait, mais elle se retenait parfois d’en discuter. «Ma famille a déjà vécu ce stress-là. Je n'avais pas envie d'en rajouter», dit-elle.

Christin Hume
Christin Hume

Selon Alexandra Desnoyers, oncologue à l’Hôpital Charles-Le Moyne, ces délais s’expliquent par l’addition de multiples étapes. Pour les examens d’imagerie, comme l’échographie ou la mammographie, il faut qu’un radiologiste regarde les résultats, dicte le rapport, que celui-ci soit retranscrit, imprimé, puis transféré au médecin de famille.

Puisqu’on n’a pas encore de système informatisé panquébécois pour acheminer rapidement des documents d’un centre de soins à l’autre, les médecins de famille reçoivent encore les résultats par la poste. Puis, le rendez-vous doit être fixé. Pour une biopsie — un prélèvement de cellules ou de tissus —, il y a un délai supplémentaire pour envoyer le spécimen à un laboratoire de pathologie. Les semaines s’additionnent donc très vite.

Un soutien émotionnel de remplacement

«Le côté humain n'était pas là avec mon médecin, on ne se le cachera pas», dit Nadia Boucher. Contrairement aux docteurs, le temps que ChatGPT a à offrir est illimité. Il propose toujours plus de clarifications et de conseils pour la gestion de l’anxiété. «C’était devenu une amie.» ChatGPT valide les émotions de Nadia et lui rappelle souvent les aspects rassurants de ses résultats. «On dirait qu'il comprend quand ça ne va pas», dit-elle.

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Il faut noter que plusieurs cas tragiques ont démontré que ChatGPT confronte très peu les utilisateurs, même quand cela s’impose. Le suicide de l’adolescent Adam Raine en Californie, en avril 2025, encouragé par ChatGPT, et celui de la montréalaise Alice Carrier en août 2025 montrent que sa tendance à toujours valider l’usager pose des risques. OpenAI a d’ailleurs déclaré au New York Times que les mesures de protection de ChatGPT « fonctionnent mieux dans les échanges banals et courts», mais «deviennent parfois moins fiables dans les interactions longues». Une admission importante, étant donné que le modèle est pensé pour constamment continuer la conversation.

Mikhail Nilov
Mikhail Nilov

Reste que ChatGPT a été une ressource importante pour Nadia et Nuria. Cette dernière, suivie par le système de santé français, était aussi insatisfaite de la dynamique avec son médecin. «Il est gentil, dit-elle, mais je pense qu’il ne trouve pas les mots pour communiquer. Je n’ai pas d’infos très directes, très factuelles.» Ayant besoin de se projeter dans l’avenir, elle fait appel à ChatGPT, qui l’aide à combler ce manque. Après avoir su qu’elle avait des lésions métastasiques, elle voulait connaître ses pronostics: «Les taux de survie officiels et les statistiques sont vraiment horribles», dit-elle, décrivant les réponses qu’elle recevait. «Mais ChatGPT prend quand même le temps de dire qu’il y a tout le temps de nouveaux traitements, que ce sont des données anciennes, que de plus en plus de femmes arrivent à vivre longtemps malgré tout, etc.»

Un manque d’accès

Pour la Dre Desnoyers, cette utilisation croissante de ChatGPT par les patientes témoigne du problème de ressources du système de santé québécois. Si l’accès à un professionnel de la santé était plus facile, les gens se tourneraient moins vers les modèles de langage, dit-elle. «En clinique, quand j'ai une consultation pour une nouvelle patiente, je me réserve un bloc de 40 à 60 minutes, dit-elle. Mais c’est sûr qu'à un moment donné, le manque de temps se fait ressentir.» Parfois, des questions surviennent après le rendez-vous, les informations à assimiler étant complexes. La patiente doit alors attendre encore un mois pour pouvoir les poser en personne.

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Kaboompics
Kaboompics

Les journées surchargées ou les retards peuvent aussi affecter la communication des médecins. Selon la Dre Desnoyers, plus de personnel administratif et infirmier serait un bon début pour assurer un suivi plus qualitatif. De plus, les services complémentaires comme les infirmières pivot ou les psychologues, dans les centres de soins, sont inégaux à travers le Québec.

Elle ajoute que la barre est basse pour ChatGPT. «Quand on s'assoit dans le bureau du médecin, on a de grosses attentes. À l’inverse, quand on parle à un ordinateur, on n'a pas beaucoup d'attentes.» Puisque les médecins sont des humains, le stress et la fatigue ont un impact sur leur disponibilité aux patients, déjà exacerbés par un manque de ressources.

Cottonbro_studio
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Être critique en l’utilisant

On le rappelle: les grands modèles de langage génèrent régulièrement de fausses informations et des raisonnements erronés. Si certaines patientes se tournent maintenant vers ChatGPT, cela ne veut pas dire qu’elles lui accordent leur confiance totale. Nadia et Nuria ont toutes deux leurs critiques face au modèle de langage.

Nadia rapporte que l’agent conversationnel s’est souvent trompé au début de leurs échanges. Elle dit s’être «obstinée» avec lui, particulièrement au sujet de ses résultats de mammographie. Au début, ChatGPT ne voyait aucune anomalie. «Je lui répondais: “Non, ce n’est pas ça... Tu lis juste la première page, alors que je viens de t’en envoyer trois”», explique Nadia. Elle a progressivement compris comment adapter ses questions. Ses conversations sont notamment devenues plus fluides, puisque ChatGPT garde maintenant par défaut en mémoire tous les échanges précédents.

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Sincerely media
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Nuria se méfie de cette technologie en général. «En fait, je suis très critique de l’IA générative, et ce n'est pas quelque chose qui me plaît dans l'absolu», dit-elle. Tout en prenant ses réponses avec un grain de sel, elle admet moins contre-vérifier ses affirmations qu’avant. «De toute façon, ce n'est pas ChatGPT qui va me dire quel traitement suivre. Je me dis qu'il n'y a pas forcément d’enjeu.»

La patiente française avait aussi de l’appréhension sur la gestion de ses données personnelles. C’est pour cela qu’elle n’a jamais téléversé directement ses résultats, se contentant de poser des questions indirectes. Cela ne l’a tout de même pas empêchée de l’utiliser. «À un moment, je me suis dit: “Tu as un cancer. De toute façon, Google sait tout, Microsoft sait tout... Autant te servir de ChatGPT.”»

La Dre Desnoyers souligne que l’utilisation du modèle de langage à des fins médicales pose plusieurs enjeux. Tout d’abord, ChatGPT ne peut pas deviner ce qu’on ne lui a pas dit. Les caractéristiques de chaque patient, comme ses comorbidités, sa fragilité, ses désirs ou ses croyances culturelles, ne sont pas prises en compte si on ne les énonce pas. «Seul un réel échange entre médecin et patient permet de cerner ces complexités», dit-elle.

«Le plus gros enjeu, c'est que ChatGPT s'adresse à la personne sans connaître son niveau de compréhension ou de scolarisation», dit-elle. La patiente doit alors digérer seule de l’information qui dépasse ses connaissances. «Moi, ça m'a pris 12 années de médecine pour être capable de vulgariser leur diagnostic de cancer à mes patientes, et déterminer le traitement qui est le plus approprié pour elles», dit-elle.

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Melih Can
Melih Can

Utiliser ChatGPT peut aussi augmenter l’anxiété, malgré le ton rassurant adopté par l’agent conversationnel. «Il faut se connaître. Si on sait que plus on lit, plus on est anxieux, on est mieux d’en restreindre l’utilisation. À l’opposé, si on est du genre à avoir besoin de ça pour se calmer, alors go!»

Pour maximiser chaque consultation avec son médecin, la Dre Desnoyers prône deux conseils majeurs: préparer ses questions à l’avance et à l’écrit, et venir accompagné d’un proche qui pourra mieux absorber les informations données, étant moins directement impliqué. Pour la préparation des rendez-vous, elle reconnaît néanmoins que ChatGPT peut être très utile. Même chose pour la vulgarisation de termes médicaux parfois donnés trop rapidement en rendez-vous, admet-elle.

mikoto.raw
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Après avoir commencé à s’inquiéter en février 2025, puis avoir subi une mammographie, un cliché supplémentaire, une échographie et une biopsie, Nadia apprend finalement, à la fin août 2025, que ses anomalies étaient bénignes. Elle est soulagée. Ces mois d’attente auront toutefois été éprouvants, et ChatGPT aura fait intimement partie de cet épisode de sa vie. Dans un système de santé qui en arrache, «ses réponses m’ont apporté un certain calme», conclut-elle, commençant tout juste à pouvoir prendre du recul.

Note: Cet article utilise des termes conversationnels comme «répond» ou «suggère» pour décrire de manière fluide les échanges avec ChatGPT. On rappelle que chaque mot composant les réponses de ChatGPT est généré par des algorithmes de prédiction et que celui-ci ne «comprend» pas les questions qu’on lui pose, et n’a pas de personnalité ou d’intelligence.

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