Oura Ring, montres intelligentes... Quel impact ont sur la santé le suivi de nos données?
Amélie Hubert-Rouleau
Le nom de Bryan Johnson, ça vous dit quelque chose? Avec son projet Blueprint, cet entrepreneur du milieu de la tech a fait de la vie éternelle son objectif de vie.
Pour atteindre l’état de rajeunissement perpétuel qu’il vise, l’Américain surveille ses fonctions vitales de façon constante et contrôle assidûment son sommeil et son alimentation. La batterie de professionnels de la santé qu’il a embauchés et les tests auxquels il se soumet chaque jour lui coûtent d’ailleurs deux millions de dollars (!) par année. Bryan Johnson est l’un des nombreux disciples d’un mouvement né en Californie en 2007, le quantified self — en français «automesure connectée» —, popularisé par des journalistes du magazine Wired. Celui-ci prône la connaissance de soi par l’entremise des chiffres, des données.
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Connais-toi toi-même... Mais à quel prix?
La propagation de ce mouvement a été facilitée par l’apparition de plus en plus d’outils connectés, comme les montres et autres bracelets et, plus récemment, par la commercialisation de la Oura Ring, un anneau discret qui récolte toutes sortes de statistiques sur celui qui la porte à son doigt. Depuis quelques années, la popularité des tests génétiques comme AncestryDNA croit également de manière impressionnante. Du confort de notre salon, on peut retracer nos origines ou savoir si on est porteur de certaines maladies.
Pourquoi cherchons-nous à tout mesurer — de nos cycles de sommeil à notre ADN — par l’entremise des données?
Dis-moi ton ADN, je te dirai qui tu es
Pour la psychologue Jacinthe Fortier, l’obsession que l’on a à récolter des informations grâce aux tests génétiques est intrinsèquement reliée à une quête identitaire. «Les gens cherchent à connaître leur histoire et d’où ils viennent, pour mieux comprendre qui ils sont et où ils vont; qu’il s’agisse de leurs racines ethniques, de leur patrimoine génétique ou de conditions médicales familiales», souligne-t-elle. Les tests d’ADN offrent aux individus une façon de répondre à leurs questionnements, en leur «donnant un sentiment de connexion, de compréhension de soi et peut-être aussi de contrôle par rapport à leur histoire.» Selon Mme Fortier, les tests d’ADN s’avèrent une sorte de phare dans la nuit, un moyen de nous aider à ériger certains points de repère au sein du monde complexe dans lequel on vit.
Jeanne Maltais, maître généalogiste agréée et présidente de la Fédération québécoise des sociétés de généalogie, abonde dans le même sens. «C’est devenu une motivation que de retracer nos ancêtres, de comprendre d’où nous venons, affirmait-elle en novembre dernier au micro de Pénélope McQuade à la Première chaîne de Radio-Canada. Je pense que c’est une quête qui est toujours là, dont les gens ont besoin. Aujourd’hui, avec les familles éclatées et les différents modèles de familles, c’est d’autant plus intéressant de savoir d’où on vient.»
Cécile Petitgand, Ph. D., fondatrice et présidente de Data Lama, une entreprise de démocratisation des savoirs reliés aux données et à l’intelligence artificielle, soulève que la popularité des tests d’ADN a été stimulée surtout par la baisse des coûts pour les consommateurs. «Au début, ce genre de test coûtait des milliers de dollars et était vraiment réservé à des instituts de recherche, à des organismes gouvernementaux. Ça s'est complètement démocratisé avec l'effondrement des coûts de séquençage.»
Pourquoi chercher à tout mesurer?
La facilité d’accès aux tests d’ADN, aux applications et autres outils connectés en a certainement encouragé plusieurs à tenter de quantifier certains aspects de leurs vies qu’ils n’auraient pas songé à mesurer avant. Mais pourquoi est-ce plus fort que nous?
Mme Petitgand estime que cette tendance à vouloir tout savoir sur soi découle en fait d’un mouvement apparu déjà il y a quelques siècles : l’individualisme. Celui-ci édicte que l’on est responsable de sa propre vie et amène son lot de liberté, mais aussi de contraintes. Lorsqu’on était malade, jadis, on priait pour demander aux divinités de nous guérir. Puis, avec le XXe siècle est venu le «paternalisme médical», tel que l’évoque Mme Petitgand; c’est-à-dire qu’on se fiait à ce que le médecin nous disait. Avec l’accessibilité grandissante aux technologies, les individus ont pu eux-mêmes récolter leurs propres informations.
Aujourd’hui, on a toutes sortes d’outils pour mesurer des éléments de notre vie comme le cycle menstruel, la pression cardiaque, l’intensité respiratoire ou l'oxygénation du sang. Ça fait partie aussi d'une peur qui vient avec la liberté de l'individualisme: la peur de l'incertitude. On ne la supporte plus, estime-t-elle. Maintenant, on a des données, on a la possibilité de prédire. La science n’est pas toujours exacte, mais on croit qu’en mesurant toujours plus, on pourra contrôler davantage le futur.»
Pour Jacinthe Fortier, notre obsession avec les données peut effectivement venir d’un besoin d’avoir une certaine emprise sur notre vie. «Ce comportement peut donner un sentiment de maîtrise dans un monde où de nombreux facteurs échappent à notre contrôle.» On peut aussi avoir envie de s’améliorer et d’optimiser notre santé en général; les outils connectés et les données qu’ils récoltent offrent souvent une façon de quantifier notre progrès dans divers aspects de nos vies. Enfin, notre envie d’amasser des statistiques peut aussi être liée au besoin de se sentir validé par ses pairs. «Le partage des données de santé et de bien-être, en particulier sur les réseaux sociaux, peut être lié à la recherche de validation sociale. Les individus se sentent motivés à partager leurs progrès pour recevoir de la reconnaissance.»
Les deux côtés de la médaille
Le fait de cumuler des données nous concernant peut être bénéfique autant que néfaste, selon le degré auquel on s’y adonne. «Certaines personnes peuvent trouver que suivre leurs données les aide à se fixer des objectifs et à rester motivées pour adopter des habitudes de vie plus saines», évoque la psychologue. On a envie de battre son propre record, et on se motive aussi positivement en le partageant avec ses pairs.
Par contre, l’utilisation excessive des outils connectés peut mener à une spirale d’anxiété qui peut aller jusqu’à l’obsession ou même la dépendance. «À force de se concentrer sur les données, les individus peuvent perdre de vue leur expérience vécue. Ce phénomène peut mener à une déconnexion avec ses sensations internes, au détriment du bien-être émotionnel et mental.» De plus, trop se comparer aux autres peut exacerber notre sentiment d’insatisfaction ou d’anxiété.
La présidente de Data Lama nous met aussi en garde contre les brèches d’informations. «Il y a des risques juridiques importants. Les données de santé, si elles sont récupérées par la mauvaise personne, elles peuvent être utilisées de manière discriminatoire.» Elle mentionne l’exemple d’un assureur qui pourrait refuser de nous assurer en faisant des calculs à partir de données obtenues sans notre consentement. Elle note aussi qu’on risque parfois de surestimer certains diagnostics lorsqu’on utilise les gadgets connectés de façon excessive. «Est-ce que je veux tout savoir de moi, quitte à être inquiète?», questionne Mme Petitgand. Des cardiologues ont remarqué recevoir plein d’appels de la part de gens qui mettaient l'Apple Watch et qui signalaient des alertes d'arythmie cardiaque qui s’avéraient fausses, relève-t-elle. En plus, ces objets ne passent pas tous par Santé Canada ou la U.S. Food and Drug Administration. Ce ne sont pas tous des instruments médicaux validés. Ils peuvent induire en erreur.»
Une question d’équilibre
«La technologie et la quantification de nos vies peuvent offrir des outils pour un meilleur fonctionnement, mais il est crucial d’adopter une approche consciente et équilibrée, en veillant à ce que ces données ne deviennent pas un fardeau ou une source de souffrance psychologique», estime Mme Fortier. Elle nous indique qu’on doit demeurer vigilants et ne pas se laisser obséder par celles-ci. «Les données doivent servir principalement des buts qui favorisent le fonctionnement sain d’une personne et non une recherche de contrôle obsessionnelle ou des motivations externes comme la validation sociale», ajoute-t-elle. La psychologue considère qu’on doit garder à l’esprit que la perfection n’est ni réaliste ni nécessaire et accepter les fluctuations naturelles. Elle nous conseille de prendre du temps dans notre vie de tous les jours pour se détacher de nos outils connectés afin de se concentrer sur des expériences réelles et encourager les interactions humaines. Et surtout, on se rappelle que tous ces chiffres sont loin de représenter notre histoire et qui nous sommes dans toute notre complexité!
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