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L'article provient de Clin d'oeil
Style de vie

Tout expliquer par son cycle hormonal : une dérive qui fait jaser

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Juliette de Lamberterie

2025-08-22T22:55:00Z
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Les conseils et expériences vécues autour du cycle menstruel s’échangent allègrement sur les plateformes sociales. Mais entre connaissance de son propre corps et désinformation médicale nourrissant les stéréotypes de genre, la ligne est mince.

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felix_brönnimann - stock.adobe.com
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Pendant la promotion de son nouvel album, Virgin, la chanteuse Lorde s’est entretenue avec Rolling Stone. Elle a abordé le fait qu'elle a récemment arrêté la pilule contraceptive. Une citation est devenue virale: « Je n’avais pas ovulé depuis 10 ans. Quand j’ai ovulé pour la première fois, je ne peux pas décrire à quel point c’était fou. Une des meilleures drogues que j’aie jamais prises!»

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Cet extrait a été repartagé, commenté et critiqué des milliers de fois, et pour cause : les hormones féminines sont le sujet de l’heure. Selon Google Trends, la popularité des termes « phase folliculaire », « phase lutéale », « œstrogène » ou « progestérone » n’a cessé d’augmenter depuis 2022. Sur TikTok, des milliers de vidéos pseudo-éducatives abordent les façons dont notre cycle nous impacte. Les hormones seraient la clé pour mieux comprendre son corps. Mais y a-t-il un danger à surestimer leur rôle?

Le cycle hormonal : pas un modèle unique

Revenons aux bases : le cycle hormonal commence le premier jour des menstruations, marquant le début de ce qu’on nomme la phase folliculaire. Elle dure jusqu’à l’ovulation, soit habituellement la moitié du cycle. Puis commence la phase lutéale, qui correspond aux deux dernières semaines du cycle. Les hormones fluctuent tout au long de celui-ci. « Dans la première partie du cycle, on ne produit que de l’estrogène », explique la docteure Catherine Falardeau, omnipraticienne en hormonothérapie. « Lorsqu'on est sous l'effet de l'estrogène seul, on n'a pas la même énergie: l'estrogène, c'est une guerrière, un antidépresseur. Ça donne de l’énergie. »

felix_brönnimann - stock.adobe.com
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S’ensuit l’ovulation, qui survient donc au moment où l’estrogène est à son sommet, tout comme la testostérone, que les femmes produisent aussi naturellement. Ce pic d’hormones est d’ailleurs ce qui peut expliquer l'expérience positive exprimée par Lorde. Certaines personnes ressentent effectivement un boost d’énergie ou de libido pendant cette période.

Après l’ovulation, le corps commence à produire de la progestérone, une hormone apaisante qui réduit les palpitations et l’anxiété et qui prépare l’utérus pour un embryon. « On n’est plus avec un seul joueur, mais deux. Pour certaines femmes, ces changements hormonaux passent comme dans du beurre », dit la Dre Falardeau. Toutefois, d'autres sont naturellement plus sensibles aux fluctuations d’hormones. Elles peuvent donc ressentir pendant la phase lutéale du ballonnement, des douleurs aux seins, des crampes abdominales ou des sautes d’humeur dus aux variations de progestérone. (Bonne nouvelle: ces personnes peuvent aussi être celles qui ressentent le plus les effets positifs de l’ovulation!)

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@elirallo

Rn I’m luteal. It’s rly a problem

♬ sonido original - i24.millaaa

Sur TikTok, une tendance avant-après est populaire; de jeunes femmes se montrent souriantes et émaciées, puis fatiguées et ballonnées avec la légende « phase folliculaire vs. phase lutéale ». Beaucoup s’y reconnaissent. Cependant, attention aux généralisations: le cycle menstruel peut être vécu très différemment d’une personne à l’autre. Certaines éprouvent même des symptômes positifs à l’approche des règles.

@breelenehan Your body fluctuates around 2kgs every month & that’s only ONE of the changes you might experience… 😅⤵️ Your body is ever-changing & your mental state is too!! We experience a hormonal rollercoaster EVERY SINGLE MONTH so please remember this the next time you’re being hard on yourself for having no energy, or feeling miserable, or notice changes in your body. Caption continued on my lG: breeelenehan 🥰💫🧬 #woman #womenempowerment #bodyimage #girlhood #girlpower #relatable #womenshealth #period #menstrualcare #pms #thisisnormal #bodyimagehealing ♬ Paint The Town Red - Doja Cat

Tout mettre sur les hormones

Il y a donc du vrai dans une part du contenu amateur en ligne. Cependant, « on est très, très catégorique sur les réseaux sociaux », constate la docteure Sophie Desindes, directrice du Département d’obstétrique-gynécologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Discuter des stades du cycle avec d’autres peut créer de la solidarité, considérant que le système médical n’a pas toujours su écouter les femmes. « Par contre, nuance-t-elle, on observe aujourd’hui une dérive à l’autre extrême, où on assume que tous les symptômes sont dus aux hormones. » Rappelons que le sommeil, l’alimentation et l’exercice physique jouent un grand rôle dans le bien-être — et un équilibre entre les trois atténue les symptômes des fluctuations d’hormones. Les impératifs du travail ou de la maternité aussi. Il faut avoir une vision d'ensemble sur notre situation, recommande la Dre Falardeau. « Tu peux te dire: je suis émotive, je dois être pleine d’estrogène. Mais peut-être que ton chat est mort, ou que tu travailles 75 heures par semaine », plaisante-t-elle.

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Certaines personnes profitent particulièrement de l'idée que tout s'explique par les hormones. Sur Internet, des influenceuses vendent ou font la promotion de programmes de cycle syncing (fait d’aligner ses activités sur son cycle) ou de divers suppléments naturels censés «balancer les hormones». Dans ce genre de contenu, on présente des symptômes auxquels l’auditoire pourrait s’identifier, mais au lieu de recommander de consulter un médecin, on le dirige vers des boutiques en ligne. « Sur les réseaux sociaux, on ne donne souvent pas la bonne information et ça peut mener à une recommandation de traitement qui n’est pas du tout prouvé au niveau scientifique », dit Sophie Desindes. Comprimés à 60$, abonnements mensuels à 30$, consultations ou cours très dispendieux... ces stratégies marketing peuvent générer beaucoup de profits pour qui les vante.

Ancestral Supplements via leur site web
Ancestral Supplements via leur site web
Ancestral Supplements, une des marques sponsorisées par certaines tiktokeuses hormonales - les flacons de suppléments vont jusqu'à 112$ pièce.

Synced Skin via leur site web
Synced Skin via leur site web
Synced Skin, une marque de produits de la peau "adaptés" aux phases du cycle hormonal

Dans ces programmes, on recommande d’adapter tout son style de vie à son cycle, parfois même de cesser l’activité physique ou la socialisation pendant les menstruations. La Dre Desindes tire la sonnette d’alarme: « Si nos menstruations nous rendent malades ou que nos cycles hormonaux nous empêchent de fonctionner, ce n’est pas normal et on peut se faire aider. »

Stéréotypes et désinformation

« En tant que femme, tu es guidée par la Lune, pas par le Soleil », déclare KimPeretzz, une tiktokeuse américaine suivie par plus de 300 000 personnes. « C’est pour cela que le 9 à 5 ne fonctionne pas pour les femmes et que beaucoup sont en burnout : elles ne sont pas alignées sur leur énergie féminine. » Lorsqu’on recommande de laisser notre cycle hormonal dicter notre vie, les critiques se demandent si l’on ne véhicule pas de vieux stéréotypes comme quoi les femmes seraient moins maîtresses d’elles-mêmes que les hommes ou moins aptes à participer à la société. « Ça pourrait être repris comme ça. C'est ça qui me fait peur, dit l’obstétricienne gynécologue. Les hormones ont un impact sur notre corps, mais la dérive, c’est de dire que les femmes sont instables. »

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@kimperetzz download my full cycle syncing guide in my stan store❣️ #cyclesyncing #feminineenergy ♬ original sound - Kim Peretz

La pilule contraceptive et le stérilet hormonal sont des méthodes reconnues pour aider les personnes souffrant de syndrome prémenstuel dysphorique, une condition causant des souffrances paralysantes à l’approche des règles. Mais, en ligne, bien des influenceuses recommandent de ne pas interférer avec son cycle. « L’essence de notre corps féminin suit le vrai rythme de la nature », dit la tiktokeuse @Ufocaller dans une vidéo aimée plus de 66 000 fois. Éviter les traitements hormonaux aiderait à « avoir une relation plus profonde avec son corps » ; s’aligner sur son cycle naturel serait la façon « d’éveiller son énergie féminine» — on remarque l’association entre féminité et fertilité. « Dans certains réseaux sociaux, ces moyens de contraception ont vraiment très mauvaise presse, ce qui fait que parfois, des patientes n'utilisent pas un traitement qui pourrait être très efficace et vont tolérer des impacts majeurs sur leur qualité de vie », dit la Dre Desindes. Il est aussi notable que les discours qui associent féminité à cycle naturel et ovulation aient pris de l’ampleur alors que les réalités trans ont gagné beaucoup de visibilité et que la transphobie est en hausse.

@ufocaller Pocket reminder: 🩸 Menstrual Phase (Inner Winter) — Days 1–5 The Priestess 🔮 Ideal for: Retreating, Dreamwork, Letting pain go, journaling with oracle cards, meditation, asking your body what she truly needs. 🌱 Follicular Phase (Inner Spring) — Days 6–13 The Maiden 🎨 Ideal for: Creativity, new projects, new habits, intuitive writing, inspired action. 🌕 Ovulation (Inner Summer) — Days 14–17 The Queen 🎤 Ideal for: Socialising, celebrating, connecting, manifesting, moving your body, exploring. 🍂 Luteal Phase (Inner Autumn) — Days 18–28 The truth-teller 🧹 Ideal for: Saying no, clearing clutter (physical + emotional), preparing for rest, writing raw truths, shadow work. 🌙 And if your cycle isn’t regular: Start with cycle awareness instead of tracking numbers. Notice: when do you feel most tired? Most social? When do ideas flow? When do you crave solitude? Your body is still speaking just not in exact days. #CyclicalLiving #WombWisdom #MenstrualMagic #SacredCycle #FeminineRhythms #HormonalHealth #WombAwakening #CycleAwareness #WildWomanWisdom #EnergyPhases #InnerSeasons #naturaltime ♬ original sound - UFO 🧚‍♀️
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Dans la dernière décennie au Québec, les prescriptions et renouvellements de la pilule contraceptive ont chuté de moitié. Plusieurs facteurs en seraient la cause, selon une enquête de La Presse; la confiance en baisse envers le système médical, la peur des risques et des effets secondaires, le manque d’accès aux soins, mais aussi les tendances anti-hormones décrites ci-dessus. Bien sûr, la contraception est un choix entièrement personnel. Mais, alors que l’accès à l’avortement est considérablement réduit au sud de la frontière, certaines craignent les effets des discours qui prônent un retour au cycle naturel — d’où le retentissement des propos de Lorde.

Pour Sophie Desindes, en tant que médecin, l’important est d’expliquer toutes les implications d’un traitement pour que chaque personne puisse faire un choix éclairé; mais aucune ne devrait accepter de mettre sa vie de côté en raison de son cycle hormonal. Et avec le contenu en ligne sur les hormones, notamment s’il semble pousser vers une direction particulière ou vendre quelque chose, « soyez critique », conseille-t-elle.

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