Chevaliers et cotte de mailles: dans la mode et la culture, le Moyen Âge est un remède aux temps sombres
Juliette de Lamberterie
La cotte de mailles est l’accessoire du moment et Jeanne d’Arc continue d’exercer son magnétisme. Comment expliquer cette fascination du moment?

Avez-vous déjà participé à une reconstitution médiévale grandeur nature? Le Duché de Bicolline, le plus grand évènement de ce type au Canada, a accueilli un nombre record de visiteurs en 2025, affichant complet pour la première fois. Mi-réaliste, mi-fantastique, ce monde autrefois très niché a progressivement grandi, devenant un rendez-vous pour les touristes du monde entier .
Dans la culture populaire, il n’y a plus de doute: on observe un réel engouement pour le médiéval. En septembre 2024, la chanteuse Chappell Roan s’était fait remarquer pour l’armure complète qu’elle arborait sur scène lors de sa performance aux MTV Video Music Awards, alors qu’elle interprétait Good Luck Babe! Beaucoup ont vu dans son accoutrement de chevalière une référence à Jeanne d’Arc.

Cet été, la collection croisière 2026 de Louis Vuitton présentait des tenues très moyenâgeuses. Similairement, la cotte de mailles était omniprésente au défilé de la collection croisière 2025 de Dior qui se tenait au château Drummond, en Écosse. Sur Pinterest, le terme «château-core» (l’esthétique château) était dans les p rédictions officielles des tendances de l'année. En ligne, les décors gothiques et les mèmes qui parodient le Moyen Âge sont partout.

La lubie du fantastique
Le médiéval a depuis longtemps sa place dans la culture de masse. Au début des années 2000, «Le Seigneur des Anneaux popularise un Moyen Âge fantastique», souligne Phillipe Genequand, professeur au Centre d’études médiévales de l’Université de Montréal. Le succès de la série Game of Thrones suit, dont toutes les saisons étaient des évènements populaires et médiatiques.
L’une des particularités de cette récente résurgence du Moyen Âge? L’atténuation progressive de la dimension genrée de la culture médiévale au cours des quinze dernières années. Si les grandes reconstitutions étaient jadis plutôt masculines et de nature guerrière, ce n’est plus le cas aujourd’hui. «Le but, c’était de mettre des armures et de se taper dessus. Maintenant, ces reconstitutions ont pour bases des scénarios beaucoup plus évolués, avec plus d’aspects artisanaux», observe le professeur. Cette diversification a mené à la présence de plus de femmes dans ces évènements.
En plus de cela, depuis quelques années, la popularité de la romantasy a explosé chez les femmes. Ce genre littéraire mêlant romance et fantastique moyenâgeux a connu un boum sur TikTok chez les communautés de lectrices. Sarah J. Maas, l’autrice de la série Un Palais d’épines et de roses, a été l’autrice la plus vendue de 2024 aux États-Unis!
@emmahalbrook Are you wanting to dive in to the Sarah J. Maas Universe, but you don’t know where to start and you’re confused by the reading order? I got you!! #sjm #sarahjmaas #sjmuniverse #sjmfandom #maasiverse #sjmreadingorder #sarahjmaasbooks #acotar #acotarseries #acourrtofthornsandroses #crescentcity #crescentcityseries #houseofflameandshadow #throneofglass #throneofglassseries #sjmtok #sjmbooktok #booktoker #readersoftiktok #bookrecs ♬ original sound - Emma Halbrook
«Le fantastique, ça permet toutes les libertés», dit Philippe Genequand. Celle, notamment, de choisir les éléments d’époque que l’on veut utiliser: par exemple, on dépeint de façon disproportionnée l’existence des nobles plutôt que de s’attarder aux réelles conditions de vie de la majorité. Le Moyen Âge est une très longue période, qui s’étire du Ve au XIVe siècle environ, et on s’inspire aussi de moments spécifiques. Les armures faites de métal, telles qu’on les voit dans les films, par exemple, n’apparaissent qu’après 1420. Nos références sont donc tardives.
À la recherche du concret
Nous évoluons dans un monde de plus en plus dématérialisé; nos photos sont stockées dans un nuage, notre musique nous provient d’applications, nos vêtements et les objets qui nous entourent sont produits loin de nous. Cette perte du tangible peut désorienter. C’est d’ailleurs pourquoi les jeunes restent friands de supports physiques comme les lecteurs de cassettes, les tables tournantes ou les caméras à film.
Pas étonnant, donc, qu’on remarque sur les réseaux sociaux une masse de contenu grandissante autour du médiéval qui invite les internautes à s’initier à la production artisanale de divers objets (plus de 500 000 publications sur TikTok sont associés au hashtag #medieval). «Le Moyen Âge est de retour et voilà quelques passe-temps pour vous mettre dans l’ambiance», dit Céleste Aria, à l’origine d’une vidéo intitulée «Hobbies pour la femme médiévale». Parmi ceux-ci: teindre ses tissus avec des pigments naturels, faire de l’hydromel ou du savon maison, filer sa laine, jouer du luth, faire des bougies à la cire d’abeille.
@celeste.aria_ Medieval Hobbies ⚔️ what persona do you want suggestions for next? #medievalhobbies #medieval #medievalfashion #medievaltiktok #medievaltrend #medievaloutfit #hobbyideas #uniquehobby #coolgirlhobbies #weirdhobbyideas ♬ Lute - AllMusicGallery
«On a l’impression qu’on n’a jamais le temps de ne rien faire, qu’on est à la course», analyse Genequand. «Prendre le temps de faire son propre beurre, de coudre ses propres vêtements est une pratique à la fois artistique et méditative, qui nous fait plaisir au-delà des résultats qu’on obtient». D’ailleurs, dans le TikTok québécois, les vidéos sur le Duché de Bicolline étaient sur tous les fils d’actualité au début du mois d’août.
@lulukngbd its like lowkey uneven but man whatever lmk what yall think #chainmail #coif #hehe ♬ original sound - lulu
Même si les marques ultra-éphémères comme Shein sont plus populaires que jamais, une partie de la génération Z, visible sur TikTok, se positionne en rupture de celles-ci, en arborant des pièces faites à la main et uniques, en expliquant comment les fabriquer. La tendance du moment? La création d’accessoires en cotte de mailles, pour leur apparence hors du commun et leur résonance alternative, puisque la côte de maille se rapproche des chaînes qui font depuis longtemps partie des vestiaires goth et punk.
Les vibes du Moyen Âge: un refuge dans la tempête
Crises climatiques et sociales, pandémie; beaucoup de facteurs évidents expliquent une envie généralisée d’évasion. «On a l'impression qu'on est dans un monde qui pourrait partir en morceaux rapidement», dit Genequand. «Le Moyen Âge revêt cet aspect de stabilité, ce côté un peu fleuri, un petit peu magique», dit-il. Les années 1960 et 1970, aussi marquées par des transformations sociales majeures, ont d’ailleurs aussi été traversées d’une mode du médiéval, que ce soit dans la musique, le cinéma et l’art visuel. Fait amusant: le premier Renaissance Fair américain s’est tenu en 1963 et était organisé par des professeurs et créatifs de Hollywood au chômage, car ils n’adhéraient pas au maccarthysme!
Un peu paradoxal, peut-être, de fantasmer sur une période aussi inégalitaire que la nôtre et où l'espérance de vie moyenne était d’environ 30 ans. Toutefois, comme Genequand l’indique, le réalisme n’est pas un critère: ce sont l’affect, l'esthétique, le rapport au temps et à la nature qui comptent. Bref, les vibes.
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«Nos conditions de vie sont évidemment plus favorables qu’alors, mais les capacités de contrôle des détenteurs du pouvoir n'ont fait qu'augmenter, jusqu'à nos capacités de reconnaissance faciale actuelles», remarque Genequand. Il y a aussi la notion que le futur est contrôlé par un groupe d’entreprises. L'évasion vers un monde parallèle mi-moyenâgeux, mi-magique, notamment par les mèmes, permet d’imaginer un futur alternatif. Ironiquement, ce sont les algorithmes des réseaux sociaux — créations de cette poignée d’entreprises — qui nous portent vers cette évasion. Et comme le théorise Robin James, philosophe, en étant sur les plateformes sociales, on tend à penser de plus en plus comme les algorithmes: en termes de catégories aux contours flous et consommables, à l'instar des vibes moyenâgeuses.
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L’aura du chevalier — et de la chevalière
Lorsqu’on pense au Moyen Âge, on ne peut passer à côté du chevalier. Cette figure de combattant protecteur marque les esprits. «Les chevaliers de la fin du Moyen Âge essaient de vivre selon les vertus de loyauté et d’honneur», explique Philippe Genequand, qui a participé comme conseiller scientifique à l’exposition Chevaliers du musée Pointe-à-Callière, à Montréal, qui est présentée jusqu’au 19 octobre. Il pense que notre fascination pour ceux-ci peut s’expliquer par le cynisme ambiant actuel: «On a le sentiment que la manière dont les gens vivent les uns avec les autres est tendue, qu'on ne se respecte plus assez. On va donc chercher ces vertus dans la période médiévale.»
Dans la culture populaire récente, ce sont les vedettes féminines qui se sont fait remarquer en arborant l’armure: Chappell Roan, Zendaya, Rosalia, Fiona Apple. Réappropriation féminine d’un modèle masculin? «Il y avait moins d’interdictions qu’on se l’imagine», dit Genequand, qui explique que bien que les femmes n’eussent pas de rôle de combattantes au Moyen Âge, il n’était pas rare que certaines veuves enfilent une armure sur un champ de bataille pour défendre leur famille.


Cela étant dit, c’est une figure évidente qui inspire ces célébrités féministes à enfiler une armure: Jeanne d’Arc. D’ailleurs, le prochain film de Baz Lurhman, encore sans date de sortie, se penchera sur cette figure historique.
«C'est un personnage assez phénoménal, parce que c'est probablement le personnage historique médiéval que l'on connaît le mieux», dit Genequand. Pourquoi fascine-t-elle autant? Jeune fille d’un petit village de France, elle a joué un rôle politique majeur: disant avoir entendu des voix de saints l’appelant à délivrer la France de l’occupation des Anglais, c’est elle qui a amené le futur roi Charles VII à Reims pour y être couronné. Après sa capture par les Anglais, avides de vengeance, elle est brûlée au bûcher. «Pas parce qu’elle portait une armure, mais parce qu'elle portait des vêtements d’homme en prison. C’est en se travestissant et en “refusant” son sexe qu’elle est devenue condamnable.»

En 2025, alors que les droits des femmes et des personnes queer et trans sont fragilisés, il n’est pas surprenant que la nouvelle génération d’artistes s’approprie l’image de Jeanne d’Arc. Et ça n’a rien de nouveau: l’auteur·e culte de Stone Butch Blues, Leslie Feinberg, par exemple, qualifiait Jeanne d’Arc de figure transgenre, «travestie — une expression de son identité pour laquelle elle était prête à mourir plutôt que d’y renoncer». Pour les personnes marginalisées, Jeanne d’Arc est une icône culturelle éternelle.
Les références au Moyen Âge s’insèrent donc aujourd’hui dans de nombreuses sphères de la culture. Dans notre ère marquée par les réseaux sociaux et les tendances basées sur les ambiances, celles-ci sont flottantes et souvent détachées des faits historiques: elles servent plutôt une recherche d’expression et de contrôle dans une période tumultueuse. En tout cas, dans la mode de cet automne, c’est incontestable: le médiéval est in. Alors, prête à enfiler une cotte de mailles?