«Soleil d’abandon»: voici un beau roman sur un enfant inconnu qui bouleverse la vie de cinq adultes
Josée Boileau
De la découverte d’un enfant sans identité, Mathieu Rolland tire un roman d’une déroutante sensibilité où cinq adultes, qui ne lui sont pas reliés, vont changer le cours de leur vie.

Il fait chaud dans Soleil d’abandon: c’est même la canicule qui sévit. Dès lors, tout est lent, les gestes comme les réflexes.
Jacob et Emmanuelle ne réagissent donc qu’en exprimant une vague surprise lorsqu’une lueur rouge troue la forêt et la nuit, dans le coin désert où ils habitent. Des phares de voiture? Pas vraiment. Mais ça n’a pas duré, alors le questionnement non plus.
Or, le lendemain, un inspecteur de police est à leur porte: les restes d’un enfant ont été retrouvés non loin de là. Brûlé comme un feu qui rougit dans le noir. Mais il n’y a pas d’enfants dans le coin, et ce serait un miracle que d’identifier le squelette...
De ce curieux événement, un glissement se produit chez les protagonistes du récit. On l’observe de l’extérieur, sans avoir totalement accès à leurs pensées. L’auteur avait utilisé le même procédé dans son précédent roman, De grandes personnes, où il restait à distance de la famille qu’il décrivait pour mieux nous faire observer la solitude vécue par chacun.
Cette solitude-là domine à nouveau dans Soleil d’abandon – comme un reflet de celle qu’a dû profondément ressentir l’enfant mort à genoux, «le visage tourné vers le ciel».
Des tourments
Saisi par la scène, l’inspecteur Richard Cloutier promet au petit inconnu qu’il retrouvera ses parents. C’est le dernier réconfort qu’il peut offrir alors qu’il est malade, en deuil d’une épouse aimée, isolé professionnellement et au bord de la retraite.
Emmanuelle, quant à elle, cherche l’inspiration qui l’a abandonnée après le succès de ses premiers tableaux. Cet enfant fantôme fait tout à coup bouger quelque chose en elle.
Jacob, lui, circule sans peine sur les traces laissées par la cendre et la suie du drame. C’est un astrophysicien et c’est plutôt la poussière d’astéroïde qui le fascine. Tout comme l’attire Julie, conjointe de son frère François. Celui-ci lui laisse quasiment le champ libre, à courir en solitaire les déserts du monde.
Julie, de son côté, cherche ses appartenances: enfant, elle s’est promenée d’une famille d’accueil à l’autre, jamais assez intégrée pour que l’on garde même une photo d’elle. Et la voilà aujourd’hui partagée entre deux frères...
À partir d’un petit être évanescent, Mathieu Rolland fait donc apparaître avec beaucoup de finesse les tourments de ses personnages, dont on mesure par ailleurs la force individuelle – avec une mention particulière pour la résistance de François, perdu dans le désert d’Atacama!
Surtout, on s’attache à l’inspecteur Cloutier, qui patauge dans un quotidien où il n’a plus personne sur qui compter, mais qui tient à être celui sur qui toute victime, même morte, peut s’appuyer. La retenue avec laquelle Rolland le décrit est extrêmement touchante.
Un paradoxe qui sied bien à cet habile roman, où le mystère d’un enfant nourrit les révélations pour les grands.

Soleil d’abandon
Mathieu Rolland
Boréal
216 pages
2025