Publicité
L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Romans d’ici: Une femme comme tant d’autres

Photo fournie par La Peuplade
Partager

Josée Boileau

2025-02-02T14:00:00Z
Partager

Thérèse Larin fut une femme anonyme. Mais en partant à sa recherche, c’est le portrait de toute une génération de Québécoises que sa petite-fille arrive brillamment à tracer.

À vue de nez, Une histoire silencieuse, d’Alexandra Boilard-Lefebvre, repose sur presque rien. Une brève notice nécrologique, quelques photos, des échanges avec des gens qui ont connu Thérèse Larin, dite Mme Roger Lefebvre, la grand-mère de l’autrice.

Lesdits échanges eux-mêmes ne tiennent qu’en quelques lignes, ponctués par des répétitions et des hésitations: les pages du récit sont aérées. L’histoire de Thérèse, morte en 1970 à 27 ans, en laissant derrière elle trois jeunes enfants, est décidément remplie de vide.

Oui, vraiment, presque rien. Et pourtant, ce rien est d’une richesse qui rapidement va nous happer! Cela s’explique par un double mouvement.

Alexandra Boilard-Lefebvre comble «les vides» de la vie de Thérèse, ce qui est le privilège du roman. Mais nous, nous plongeons dans «le vide» qu’ont ressenti bien des femmes dans l’après-guerre, et les souvenirs remontent à la surface.

L’ennui

L’ennui des femmes au foyer a été exposé dès 1963 par l’Américaine Betty Friedan dans La femme mystifiée, un essai-phare de la nouvelle révolution féministe, qui a suivi celle ayant donné le droit de vote aux femmes.

Publicité

Boilard-Lefebvre cite donc Friedan, avec pertinence. Si le ton du récit s’y était prêté, elle aurait pu ajouter que cet ennui a été exploité dans une veine comique par le film québécois Deux femmes en or, en 1970.

Mais ici, drame il y a eu. Avec quelle délicatesse l’entourage de Thérèse réfléchit, avec le recul, à un mal-être qu’autrefois on ne savait pas nommer, à ses manifestations et à ce qui mènera au suicide, ce tabou ultime! Une fois enterrée, Thérèse va même disparaître des conversations...

Roger, son mari, n’a jamais parlé du contenu de la lettre qu’elle lui a laissée.

Il s’est plutôt débarrassé des affaires de la défunte, s’est remarié l’année suivante, mais en se souciant davantage de Sylvie, sa nouvelle épouse. Ils sont encore ensemble 50 ans plus tard...

Or, Sylvie s’est aussi ennuyée, Roger travaillait tellement! Elle l’a toutefois mieux supporté que Thérèse, mariée à 18 ans pour trouver la liberté.

Ce fut un mauvais pari, mais comment en sortir? Il fallait être forte pour se séparer. Une amie de Thérèse rappelle comment on était jugée quand on quittait un «bon mari». Mais «s’il s’occupe pas de toi [...], il est pas bon pour toi».

Une vérité parmi d’autres du livre, dans une langue qui respecte les expressions et le rythme de chacun. Un choix judicieux: l’histoire n’est plus silencieuse; elle parle, profondément incarnée.

On redécouvre donc une époque où les attentes sociales dépassaient les individus, les cantonnant à des rôles imposés. C’est ainsi que de jeunes femmes dynamiques se sont peu à peu, et parfois totalement, effacées.

Que leur fantôme hante ceux et celles qui osent aspirer à ces temps dépassés!

Publicité
Publicité