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L'article provient de Bureau d'enquête

«Cristaux guérisseurs»: notre journaliste s’est fait poser des pierres sur le corps pour 125$

Une naturopathe et une naturothérapeute nous ont offert un traitement basé sur une croyance sans fondement scientifique

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Photo portrait de Audrey Ruel-Manseau

Audrey Ruel-Manseau

2024-02-05T05:00:00Z
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Placer des «cristaux guérisseurs» sur le corps d’un patient et les laisser agir par transfert d’énergie durant une heure. C’est ce qu’ont fait devant nous deux thérapeutes d’un institut de Saint-Jean-sur-Richelieu qui fait la promotion de la lithothérapie. 

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Notre Bureau d’enquête a pu tester deux séances de soins avec pierres et cristaux à l’Institut Mandala du Bouddha de la médecine (IMBM), situé à Saint-Jean-sur-Richelieu.  

Le Journal révélait samedi que sept professionnels de la santé associés à cette organisation qui fait la promotion de la lithothérapie pourraient s’être placés en contravention avec leur code d’éthique. 

Les séances auxquelles nous avons pris part coûtent chacune entre 95$ et 125$ et ressemblent à de la massothérapie, mais sans massage.  

Les deux thérapeutes qui nous ont reçus sont Laëticia Betton, membre de l’Association des Naturopathes Professionnels du Québec (ANPQ), et Nathalie Ross, membre de l’Association des Naturothérapeutes du Québec (ANQ). 

Tout est mis en œuvre pour que le client ait l’impression de recevoir un soin de santé d’une pratique reconnue. D’abord, on prend un rendez-vous via la plate-forme de réservation en ligne GOrendezvous, utilisée par bon nombre de professionnels.

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Nathalie Ross, membre de l’Association des Naturothérapeutes du Québec (ANQ), durant la séance de lithothérapie avec notre Bureau d'enquête.
Nathalie Ross, membre de l’Association des Naturothérapeutes du Québec (ANQ), durant la séance de lithothérapie avec notre Bureau d'enquête. Image de caméra cachée

 

«Caverne d’Ali Baba»

Dans la salle d’attente, on patiente entre des étalages de produits naturels, des affiches de divinités, des cristaux et des ouvrages tant spirituels qu’ésotériques. Sur le comptoir de la réceptionniste, les cartes d’affaires d’une médecin omnipraticienne côtoient celles des autres thérapeutes de l’Institut. 

Laëticia Betton arrive, vêtue d’un sarrau. Sa salle de traitement jouxte la pièce qui contient la réserve de pierres utilisées pour les traitements de lithothérapie. Une «véritable caverne d’Ali Baba», dit-elle en passant la porte.  

  • Écoutez l'entrevue avec Alexandre Moranville-Ouellet, journaliste à la recherche, via QUB :

Nous justifions notre visite par plusieurs symptômes potentiellement associés à un fibrome utérin : anémie récente, menstruations déréglées et abondantes, maux de ventre, ganglions enflés, maux de tête, grande fatigue.  

«Des fois, c’est une accumulation de stress, a répondu Mme Betton. Comme en ce moment, on est dans la saison du foie, en médecine chinoise. Même les acuponcteurs font beaucoup de traitements. Tout est lié à faire cette transition-là.»  

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Référer à un médecin

À aucun moment elle n’a recommandé de consulter un médecin, contrairement à ce qu’a fait sa collègue Nathalie Ross lors d’une autre visite. 

«Si la personne se présente et dit à son naturopathe: “Je fais de l’anémie”, écoutez, il doit référer», réagit Christine Myette, responsable de l’éthique et des affaires juridiques de l’ANPQ et de l’ANQ. 

Mme Betton avance de fausses théories pseudoscientifiques pour les justifier. 

«Les pierres, quand tu les regardes ça n’a pas l’air vivant, mais ça émet une vibration, une fréquence qui fait que mis à différents endroits sur ton système, ça vient aider à réguler le corps», explique-t-elle. 

Elle nous invite ensuite à enfiler un peignoir et à nous allonger sur la table de traitement pendant qu’elle retourne dans la réserve pour sélectionner les pierres qui, selon son analyse, soulageront nos maux. Elle revient avec un petit plateau rempli de scintillantes roches qu’elle pose une à une à différents endroits sur notre corps : sur le front, la nuque, le sternum, le ventre, les mains, les jambes, même scotchées sous les pieds. Quelles pierres seront utilisées durant notre soin? 

«Si on parle trop et qu’il faut tout analyser, ça ne favorise pas le travail [des pierres]», avertit-elle. Notre question demeure sans réponse. 

Elle tamise la lumière, ajuste la musique de détente, confie que parfois les gens s’endorment, et quitte la pièce. Alors que nous sommes blottis dans un peignoir sous une épaisse couverture, l’ambiance incite, certes, à la relaxation. Au bout d’une heure, les cristaux ont, selon la croyance, transmis leur énergie au patient. 

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Laëticia Betton, membre de l’Association des Naturopathes Professionnels du Québec (ANPQ), durant une séance de lithothérapie à l'IMBM.
Laëticia Betton, membre de l’Association des Naturopathes Professionnels du Québec (ANPQ), durant une séance de lithothérapie à l'IMBM. Image caméra cachée

 

«Chill Pills»

En fin de séance, Mme Betton a recommandé la prise de «Chill Pills», soit des comprimés de «plantes adaptogènes, qui aident à réguler [le] système nerveux et gérer [le] stress», et l’achat d’une améthyste et d’un quartz clair pour la méditation, en vente à la boutique de l’Institut. La deuxième séance à laquelle nous avons assisté avec Nathalie Ross s’est déroulée sensiblement de la même façon à la différence qu’elle n’a pas proposé une prise de suppléments naturels.  

Laëticia Betton, membre de l’Association des Naturopathes Professionnels du Québec (ANPQ), durant la séance de lithothérapie avec notre Bureau d'enquête.
Laëticia Betton, membre de l’Association des Naturopathes Professionnels du Québec (ANPQ), durant la séance de lithothérapie avec notre Bureau d'enquête. Image caméra cachée

 

Reçus d’assurance trompeurs

Les deux thérapeutes consultées à l’Institut Mandala nous ont remis un reçu d’assurances pour un soin de naturopathie.  

«Ce n’est pas une séance de naturothérapie du tout», répond Christine Myette, responsable de l’éthique et des affaires juridiques de l’ANPQ et de l’ANQ. 

«Des gens qui mettent des cristaux sur les gens et qui disent: “Je vais donner un reçu pour les assurances”, ça, chez nous, c’est un non catégorique», renchérit-elle.

La directrice de l’IMBM, Claire Desrochers, considère «qu’elle n’a rien à voir avec ça», et ce que les thérapeutes font dans leur bureau, «ça ne [la] regarde pas».  

«C’est leur zone à eux autres, le temps qu’ils louent le local. Moi, je ne suis pas en train de les espionner [ou de regarder] qu’est-ce qu’ils font», a-t-elle répondu.

Ni Laëticia Betton ni Nathalie Ross n’ont répondu à nos demandes d’entrevues.

Les produits naturels vendus à notre Bureau d'enquête, accompagnés d'indications écrites par Mme Betton.
Les produits naturels vendus à notre Bureau d'enquête, accompagnés d'indications écrites par Mme Betton. Photo JdeM

Différents services sont offerts dans les locaux de l'IMBM.
Différents services sont offerts dans les locaux de l'IMBM. Capture d'écran du site web de l'Institut Mandala

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