«Cristaux guérisseurs»: sept professionnels de la santé s’associent à une pseudoscience basée sur les pierres précieuses
Ils sont liés à un institut de Saint-Jean-sur-Richelieu et prennent des libertés surprenantes avec leurs codes d’éthique
Sept professionnels de la santé s'associent à une pseudoscience basée sur les pierres précieuses et les cristaux guérisseurs à l'Institut Mandala du Bouddha de la Médecine, à Saint-Jean-sur-Richelieu.Image caméra cachée
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Audrey Ruel-Manseau
2024-02-03T05:00:00Z
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Usurpation de titre, reçus trompeurs, charlatanisme... Au moins sept professionnels de la santé liés à un centre de soin de la Montérégie – dont la directrice, une médecin et une psychologue – auraient commis des entorses à leurs codes d’éthique pour faire la promotion d’une pseudoscience basée sur les pierres précieuses, a constaté notre Bureau d’enquête.
Sur le boulevard Saint-Luc, à Saint-Jean-sur-Richelieu, psychothérapie et médecine esthétique côtoient cristaux et ésotérisme. Claire Desrochers et Claude F. Roy ont bâti un lucratif complexe du bien-être autour de la lithothérapie, une pseudoscience qui prête aux pierres et aux cristaux des pouvoirs de guérison.
Séance de lithothérapie à l'IMBM.Image tirée du site web de l’Institut Mandala du Bouddha de la Médecine
L’Institut Mandala du Bouddha de la Médecine (IMBM) met fièrement de l’avant les professionnels de la santé qui y travaillent, qui lui procurent crédibilité, notoriété et pouvoir d’influence.
Mais ces derniers prennent des libertés surprenantes:
– Une médecin de famille donne des ateliers dans le cadre d’une formation de lithothérapie et glorifie un «guérisseur».
– Une psychologue prétend que la lithothérapie et le cancer sont «compatibles».
Écoutez l'entrevue avec Audrey Ruel-Manseau, vidéo-journaliste et réalisatrice au Bureau d’enquête à l’émission de Sophie Durocher via QUB :
– Un ex-médecin qui y tenait sa clinique continue d’utiliser son titre même si le Code des professions le lui interdit.
– Idem pour la directrice de l’endroit, une spécialiste autoproclamée des cristaux, qui utilise le titre d’infirmière même si elle n’en a plus le droit.
On voit ici la directrice et fondatrice de l’Institut Mandala du Bouddha de la Médecine, Claire Desrochers, effectuer un soin de lithothérapie.Photo tirée du site web de l'IMBM
Contraire à l’éthique
Chacun de ces cas, que nous présentons dans une série de textes publiés aujourd’hui et demain, est différent, mais tous ont une trame de fond commune: la croyance l’emporte sur la science.
Tous les ordres professionnels ou associations concernés nous ont confirmé que ce genre de pratiques contrevenaient à leur code d’éthique ou de déontologie.
«Un psychologue peut pratiquer la religion qu’il veut et il peut avoir les croyances qu’il veut, mais pas dans l’exercice de sa profession», soulève la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, la Dre Christine Grou.
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« Notre mission c’est de protéger le public en offrant une médecine de qualité. Ça veut dire quoi une médecine de qualité? Ça veut dire pratiquée par des médecins compétents, selon des preuves et des principes scientifiques reconnus »
- Docteur Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins
De son propre aveu, la directrice de l’IMBM, Claire Desrochers, dit «marcher sur des œufs» lorsqu’il est question de pratique illégale de la médecine et admet que des publications reliées à l’Institut «dépassent un peu» les bornes.
«On essaie d’écrire nos livres en se disant: “Bon, on peut être poursuivi pour pratique illégale de la médecine”. On a toujours prévenu dans nos livres que c’était juste un soutien», se défend en entrevue Mme Desrochers.
«Toi, tu ne l’as pas expérimenté, plaide-t-elle. Nous, ça fait des années. Tu vas me dire que ce n’est pas de la science. Je le sais que ce n’est pas de la science, c’est juste de l’expérimentation.»
Les Éditions Paume de Saint-Germain, maison d'édition affiliée à l'IMBM, publient des livres sur les présumées vertus des pierres.Photo Audrey Ruel-Manseau JdeM
Dans son livre Quartzthérapie, elle raconte de supposées guérisons miraculeuses avec des pierres «vivantes» – par exemple, une fluorite-pyrite qui s’est possiblement «sacrifiée» pour éviter un anévrisme au cerveau à une patiente – ou encore elle explique comment faire des «opérations éthériques» avec un quartz et des points de suture imaginaires.
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«Je recouds donc l’incision avec l’aide du bout de l’ongle de mon pouce. Je le glisse en zigzag sur l’ouverture en demandant intérieurement qu’elle se referme», décrit-elle. «Certains me confirment que leur douleur a disparu et que, même au toucher, la bosse [...], par exemple une légère hernie ombilicale, a diminué ou s’est dissoute», peut-on lire à la page 205.
Des coffres bien remplis
Dans les fenêtres de la grande bâtisse où loge l’Institut, les services de deux médecins et de psychothérapie ainsi que l’offre de différents soins thérapeutiques sont affichés bien en évidence. En poussant la porte, les visiteurs retrouvent une boutique et une collection de cristaux, un centre de méditation, une maison d’édition et l’IMBM – une école de lithothérapie et un centre de soins dont la vocation est de «promouvoir la lithothérapie».
L'Institut Mandala du Bouddha de la médecine (IMBM), à St-Jean-sur-Richelieu.Photo JdeM
La boutique et la collection de pierres et cristaux situées dans la bâtisse de l'IMBM.Image caméra cachée
Ce petit empire spirituel, né en 1993 sous l’ancien nom Ashram canadien des sciences spirituelles et occultes, est fréquenté par des membres fidèles qui donnent temps et argent à l’organisation, dont le cœur est la Fondation Poorna-Jnana Yoga. Claude F. Roy est décrit comme «un Maître de sagesse» qui «répand l’immémoriale Vérité» et il se fait appeler «Dadi» ou «Simhananda».
En 2021 et 2022, la Fondation Poorna-Jnana Yoga a déclaré avoir encaissé plus d’un million $ en dons. Elle a récemment acheté le bâtiment de l’ancien restaurant Le Samuel, au bord de la rivière Richelieu, dans le Vieux-Saint-Jean, pour 2,25 millions $. Des médias locaux rapportent qu’elle entend y déménager son centre de méditation et de yoga.
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La Fondation possède aussi un terrain de 150 acres à Mansonville, en Estrie, où se trouve son centre de ressourcement Potton Springs. En 2019, la propriété valait 400 000$ et une vidéo promotionnelle incitait les membres à faire des dons pour y construire un bâtiment nécessitant «de base, 600 000$».
En marge des activités commerciales, des séances de méditation sont ouvertes au public à la Fondation Poorna-Jnana Yoga. Notre Bureau d’enquête a assisté à des séances lors desquelles il fallait débourser 10$ pour l’entrée et une contribution volontaire pour le stationnement. Le tout en argent comptant et sans reçu. Un fidèle en opération charme nous a informés que pour poursuivre notre cheminement, il fallait assister à d’autres séances à 20$ chacune, pour éventuellement être prêts à passer à l’étape suivante et devenir membre, moyennant 400$ de frais d’adhésion.
Des séances de méditation ont lieu chaque semaine au centre de la Fondation Poorna-Jnana Yoga, affiliée à l'IMBM.Image caméra cachée
La formation de l’IMBM pour devenir lithothérapeute, qui coûtait 1700$ l’an dernier, est passée à 1950$ en 2024. Le syllabus mentionne qu’une fois son diplôme en main, «le lithothérapeute est tenu de participer à deux journées de perfectionnement et de développement par année, touchant la pratique en lithothérapie».
Image d'une vidéo promotionnelle des séances de méditation de la Fondation Poorna-Jnana Yoga, affiliée à l'IMBM. On y voit notamment la Dre Snezana Stanojlovic, qui travaille à l'IMBM, Claire Desrochers et Claude F. Roy, assis sur la scène.Photo tirée de YouTube
Les dangers de la lithothérapie
Les gens qui se tournent vers une pseudomédecine comme la lithothérapie risquent de perdre du temps et de l’argent, au détriment des véritables soins nécessaires, explique la psychologue et membre du conseil d’administration d’Info-Secte Céline Castillo.
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«Il y a des gens, qui ne savent pas trop faire la différence entre un psy, un lithothérapeuthe, un naturopathe, etc. Ils vont commencer des traitements de ce type-là – parce que c’est plus facile et plus accessible – et ils vont négliger d’autres types de thérapies ou traitements médicaux. Et, ensuite, ils vont nous dire: “Moi, j’ai commencé par ça, etc.” Oui, mais si tu avais commencé par le médical, on l’aurait attrapé à temps ton cancer», donne-t-elle en exemple.
L’impact psychologique d’un échec est aussi un risque non négligeable, avance Mme Castillo.
«Dans ces croyances-là, quand ça ne marche pas, ce n’est pas la faute à la pierre: c’est toi qui l’as mal manipulée, qui n’as pas choisi la bonne pierre ou qui n’as pas fait assez d’incantations... Donc, ça te culpabilise, en fait. Et dans les maladies graves, l’aspect psychologie de la culpabilité peut avoir un impact sur la santé.»
Risques potentiels
Le président du Collège des médecins rappelle que le patient fait ses propres choix, mais que le rôle d’un professionnel est de lui donner les bons outils pour le faire.
«Ça ne fera jamais partie d’un plan de traitement que je vous recommanderais. Mais si vous voulez utiliser les cristaux guérisseurs, vous pouvez le faire. Mon devoir, c’est de vous informer des risques potentiels», dit-il.
Notre Bureau d’enquête a démontré dans un vaste dossier sur le sujet que la lithothérapie est une croyance dont les bienfaits n’ont aucune valeur scientifique. La série documentaire Les dangers des cristaux guérisseurs, disponible sur VRAI, lève le voile sur cette industrie sans scrupule et extrêmement lucrative, basée sur l’exploitation tant d’adeptes que de gens vulnérables, prêts à tout pour se guérir, que sur celle d’enfants qui travaillent dans des mines du tiers-monde.