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L'article provient de Le Journal de Montréal

Branle-bas de combat au Bas-Canada

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Photo portrait de Jean-Dominic Leduc

Jean-Dominic Leduc

2025-07-13T16:00:00Z
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Après avoir revisité la légende québécoise de Joe Montferrand en 2019 avec l’échevelé album La Pitoune et la poutine, voilà que le tandem Cadieux/Fontaine Rousseau reprend du service pour notre plus grand bonheur avec Les canots de Satan, une relecture désarçonnante de la Chasse-Galerie.

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L’album s’ouvre sur une séquence de combat opposant le castor de La pitoune et la poutine dans un scaphandre à des bûches intergalactiques qui ne riment à rien. Les auteurs sont à sec. Le succès a parfois la fâcheuse manie de tarir l’inspiration. Comble du malheur, le Diable – le vrai – se pointe dans leur appartement, offusqué de ne pas avoir été de la distribution du précédent album. En échange d’une pizza, il les implore de lui ériger une cathédrale de papier. Ainsi, débute sur les chapeaux d’écorces le reboot de la Chasse-Galerie. 

Attachez votre tuque avec de la broche, ça décolle sur un moyen temps.

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Dépoussiérer le folklore

Outre de s’amuser des conventions et de tordre l’histoire, notamment par le truchement de références savoureuses à la culture populaire, qu’est-ce que ce matériau leur permet d’explorer?

«C’est à travers ces livres-là, avec Alexandre, que je réfléchis le plus à mon identité et ma culture. C’est l’occasion de me mesurer à nos meilleurs morceaux du folklore, les dépoussiérer, les démonter, les réparer, les peindre en jaune flash et mettre un autocollant de Hello Kitty dessus. D’y mettre nos références, nos valeurs et notre voix, c’est vraiment pour moi une façon de propulser la culture québécoise vers l’avenir. Montrer que c’est un matériau très malléable en fait. Ce n’est pas tout de le conserver, il faut le transformer et l’adapter», expose Xavier Cadieux.

«L’idée d’un folklore figé, fondamentalement conservateur qu’il faudrait à tout prix préserver et respecter à la lettre m’énerve au plus haut point. Si on ne peut plus y toucher, si on ne peut plus le brasser, le remettre en question et s’amuser avec... alors il est mort. Le folklore relève de la culture populaire et il me semble que l’intérêt, justement, c’est de lui injecter cette énergie vitale qui le place en dialogue avec le présent. Une culture, ça fluctue, ça s’ouvre et ça se transforme. Sinon, ça meurt ou pire encore, ça devient plate», ajoute Alexandre Fontaine Rousseau.

Que ce soit les clins d’œil à Rapides et dangereux, Star Wars ou encore Mario Kart, l’anéantissement du quatrième mur, l’enlèvement du narrateur en cours d’aventure et l’interruption répétée du récit par Satan qui talonne ses biographes, les auteurs mettent tout en œuvre pour que ce soit mémorable.

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Jouer son va-tout

Cette seconde exploration folklorique est l’occasion pour le duo de déjouer les attentes, de nous en donner pour chaque écu investi.

«Le livre a été écrit sur une période de cinq ans. Alors il y a peut-être des ruptures qui découlent de ce rythme d’écriture un peu chaotique. Je pense que c’est ce qui fait, dans une certaine mesure, qu’il est aussi généreux. Il y a probablement l’élan de deux ou trois livres qui se cachent dans le résultat final. Comme si, chaque fois, je revenais vers ce scénario avec l’énergie qu’on met normalement sur un tout nouveau projet. Il y a des idées que je n’aurais jamais eues si je n’avais pas laissé cette histoire fermenter dans ma tête pendant cinq ans. Mais c’est quelque chose qui m’inquiétait, aussi: est-ce qu’on allait sentir les reprises et les interruptions? Je ne voulais pas que ce soit complètement décousu non plus... pas plus que ça ne l’est déjà, en tout cas», explique le scénariste.

La verve de Fontaine Rousseau inspire à n’en point douter son comparse illustrateur.

«La légende de la Chasse-Galerie nous a comme pris au piège, on s’amenait là avec un peu l’envie de faire de La Pitoune et la poutine et rire un bon coup, mais la légende cette fois-ci, désolé Jos Montferrand, est réellement épique et visuellement hyper forte et spécifique, donc ça tire vers le haut. Alex a vraiment pondu un texte riche d’actions et d’aventures, très drôle, mais relativement moins cabochon que ça aurait pu, on s’est pris au jeu. J’ai aussi pris le lecteur en pitié, il faut être capable de comprendre ce qu’on regarde quand on parle de plusieurs canots avec chacun trois personnages distincts, dont l’un est un castor et l’autre un monstre démoniaque en train de se péter la gueule au-dessus de la rivière des Outaouais qui font des jokes de Super Mario Kart, il y avait pas moyen de prendre ça trop lousse. J’ai travaillé fort immédiatement après le bouclage de mon précédent album Les pires moments de l’histoire, à la fin je faisais entre 4 et 7 pages par jour pour pouvoir respecter mes dates de tombée. C’est pas un régime, je vous jure. Mais je suis très satisfait de ce que j’ai livré.»

Avec raison, car Cadieux, graphiquement généreux, nous offre le meilleur album de sa carrière.

Ronflantes, nos légendes du terroir? Certainement pas avec ces deux joyeux lurons. Quel traitement réservent-ils aux légendes de la Corriveau ou de Rose Latulipe? Seul le temps – et peut-être Satan – nous le dira.

Éditions Pow Pow
Éditions Pow Pow

Les canots de Satan
Xavier Cadieux, Alexandre Fontaine Rousseau
Éditions Pow Pow

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Éditions Delcourt
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Donjon Parade T.9 : Nécromencien pour de faux
Delaf, Lewis Trondheim, Joann Sfar
Éditions Delcourt

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