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L'article provient de Le Journal de Montréal

Séverine Defouni (alias Sév), dépêchée en Inde en 2004 pour couvrir un tsunami, témoigne de son expérience dans «Tsunami - Les tribulations d’une jeune reporter».

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Photo portrait de Jean-Dominic Leduc

Jean-Dominic Leduc

2025-05-11T16:00:00Z
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En décembre 2004, la jeune journaliste, Séverine Defouni, se rend en Inde pour couvrir un tsunami. L’ampleur de la tâche et de la catastrophe est considérable. C’est le médium de la bande dessinée – plus précisément le genre du carnet de voyage – qu’elle choisit afin de témoigner de son expérience. 

Apparu au milieu de la décennie 80, le genre documentaire a depuis gagné ses lettres de noblesse grâce à de nombreux artistes, dont Sylvie Rancourt (Mélody), Joe Sacco (Palestine), Riad Sattouf (L’arabe du futur), Marjane Satrapi (Persepolis), Michel Hellman (Nunavik) et Guy Delisle (Chroniques de Jérusalem). C’est d’ailleurs ce dernier qui fut l’inspiration de Sév.

«J’avais été captivée par les bandes dessinées de Guy Delisle. Cela m’avait fait prendre conscience de l’impact de ce médium pour immerger le lecteur dans le quotidien du narrateur.»

Pourquoi avoir choisi la bande dessinée et non la prose?

«J’ai senti l’urgen-ce de racon-ter ma propre histoire, celle d’un témoin privilégié d’une des plus grandes tragédies humanitaires du 21e siècle. J’ai pris trois mois de congé sabbatique de mon travail et j’ai produit ce que j’aime appeler une “giclée de vomi”, c’est-à-dire des croquis bruts illustrant des images qui me restaient en tête, des sensations et des bribes de conversation. Pour moi, le dessin a été une sorte de catharsis», explique l’autrice.

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«Finalement, je me suis rendu compte que la bande dessinée offrait en réalité une plus grande liberté. Je pouvais recourir à des procédés plus caricaturaux pour traiter certains sujets avec humour. Je pouvais aborder la mort avec pudeur, ce que bien humblement je n’aurais probablement pas réussi à faire en prose.»

«La BD me donnait accès à un registre émotionnel plus large pour raconter l’envers du terrain, le “off-tsunami”, donc hors d’ondes: le stress de sortir la nouvelle, l’ambiguïté des liens tissés avec les gens que l’on rencontre, le sentiment de voyeurisme et d’inutilité... Ce sont autant de nuances qui sont difficiles à exprimer, voire sensibles à exprimer pour un reporter, que la BD me permettait d’aborder avec moins de jugement.»

Projet de longue haleine 

Ayant suivi un atelier de BD au Cégep du Vieux Montréal animé par l’auteur Jimmy Beaulieu – dont le présent projet a bénéficié de sa bienveillance –, Sév emprunte d’abord la voie de l’autoédition.

«J’envisageais une BD destinée à mes enfants, pour qu’ils puissent un jour se familiariser avec ce moment marquant de ma vie. Mon premier lectorat, c’était eux, ce qui m’a permis de me livrer avec vulnérabilité et autodérision, deux facettes qui me caractérisent. Malgré le temps écoulé entre l’élan initial et la parution du livre, j’ai décidé de rester fidèle à l’état d’esprit dans lequel je me trouvais au moment où mon projet avait pris forme.»

«J’ai également choisi de conserver le dessin dans sa facture nerveuse et naïve. Tant qu’à privilégier mon côté plus créatif, j’avais envie de m’affranchir des conventions de la bande dessinée classique et me laisser guider par l’émotion.»

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«J’ai “traîné” cette BD sur une période de 10 ans. Je l’ai mise de côté après avoir essuyé les critiques d’un bédéiste alors que je montrais pour la première fois le fruit de ma créativité. Mère de famille soloparentale, le temps me manquait souvent pour m’y replonger vraiment. Chaque fois que j’avais le courage de la reprendre, je voyais tous ses défauts; c’était comme un gros éléphant qu’il faudrait que je mange entièrement. Cette BD s’est faite dans la douleur!»

Dans les coulisses de l’innommable 

En cette ère où la profession de journaliste est mise à rude épreuve par tout un pan de la société préférant le ressenti aux faits, Tsunami lève le voile sur ses nombreux défis.

«Ma bande dessinée ne cherche pas à enseigner le journalisme à proprement parler, mais elle peut entraîner le lecteur dans cette rencontre avec l’autre et avec soi-même, à travers l’expérience humaine de l’individu qui exerce le métier de journaliste dans une situation extrême qui le confronte à ses valeurs et à ses limites. Les journalistes s’efforcent de faire leur travail avec honnêteté, conformément à l’éthique professionnelle, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont avant tout des êtres humains.»

Avec Tsunami, Sév nous convie dans les coulisses de la tragédie, naviguant habilement entre information et émotion, entre tragédie et humour, tout en nous offrant de saisissants moments graphiques poétiques et percutants.

Voilà une œuvre rafraîchissante qui nous happe en plein cœur et qui se taille une place de choix au panthéon du genre.

Une autrice de bande dessinée est née.

Photo fournie par XYZ/Quai No 5
Photo fournie par XYZ/Quai No 5

Tsunami — Les tribulations d’une jeune reporter

Sév

Éditions XYZ/Quai No 5

 

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Photo fournie par Pow Pow
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Ned Wenlock traduction d’Alexandre Fontaine Rousseau

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Sous ce titre évocateur se trouve une histoire aux ramifications labyrinthiques que nous livre avec une déconcertante sensibilité l’artiste néo-zélandais Ned Wenlock.

Navigant à travers les écueils de l’adolescence, le jeune Peter doit composer avec une famille au bord de l’implosion, et plus difficile encore, l’intimidation. Du rôle de victime, il traverse lentement et inexorablement le Rubicon pour devenir à son tour intimidateur. Et c’est justement le cœur de l’œuvre : la construction d’un monstre qui ne croit pourtant pas en devenir un.

Cette œuvre interroge notre rapport à la justice avec la brutalité inattendue d’un tsunami, le tout livré par le truchement d’un graphisme d’une redoutable efficacité et d’une traduction sans faille d’Alexandre Fontaine Rousseau.

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