Le nouveau classique de Superman

Jean-Dominic Leduc
Whatever Happened to the Man of Tomorrow? d’Alan Moore et Dave Gibbons, Allstar Superman de Frank Quietly et Grant Morrison, Superman: Kryptonite de Darwyn Cooke et Tim Sale, The Man of Steel de John Byrne et Superman For All Seasons de Tim Sale et Jeph Loeb sont autant de récits mythiques du plus grand des superhéros. À cette liste s’ajoute désormais Superman : Space Age de Mark Russell et Mike Allred, une œuvre qui a beaucoup de cœur.
Né de la plume du scénariste américain Jerry Siegel et de l’illustrateur canadien Joe Sushter dans le premier numéro d’Action Comics publié en avril 1938, Superman se démarque immédiatement des autres justiciers au sommaire de ce numéro aujourd’hui évalué à plusieurs millions de dollars.
Sa mythologie se développera au fil des décennies suivantes sous de nombreuses déclinaisons (radio, cinéma, animation).
Côté comics, une succession d’artistes œuvrent à raconter ses récits dans une chronologie qu’ils se doivent de respecter.
Si le demi-dieu et migrant interstellaire a pour seules faiblesses la krypto-nite et son sens du devoir, force est d’admettre qu’il constitue un véritable casse-tête créatif. Comment lui appliquer une épaisseur, une profondeur?
Superman: relecture
C’est sur cette question que se sont penchés Mark Russell et l’illustrateur vedette Mike Allred avec leur remarquable Superman: Space Age.
«J’étais un grand fan des films Superman avec Christopher Reeves. Je pense qu’ils avaient compris que le véritable pouvoir de Superman n’est pas sa force surhumaine, le vol ou la vision à rayons X, mais sa capacité d’exercer son pouvoir tout en restant une personne honorable. Je pense que c’est ce qui m’a toujours fasciné chez Superman. Il reste l’exemple ultime de l’éthique de la vertu. Il pose la question: à quoi ressemblerait le monde si nous choisissions de donner le meilleur de nous-mêmes? Je pense que l’espoir, l’émotion la plus souvent associée à Superman, vient de la prise de conscience que c’est possible», affirme Mark Russell, génialissime scénariste à qui l’on doit une savoureuse adaptation des Flintstones et Second Coming.
Dans ce captivant et poignant récit se déroulant en pleine Guerre froide, Clark Kent découvre avec effroi que le monde qui l’a accueilli est sur le point de disparaître.
À la retraite, le réfugié cosmique enfile à nouveau son uniforme pour tenter de le sauver.
«Je voulais que cette série, qui se déroule entre 1965 et 1985, ait pour toile de fond l’histoire du monde réel, un luxe que les auteurs de l’époque ne pouvaient pas vraiment se permettre. Et je voulais qu’elle raconte non seulement comment ces personnages ont changé le monde, mais aussi comment ils ont été transformés par lui. Je voulais qu’ils grandissent. Et grandir implique de vieillir», explique Russell.
Space Age trouve écho dans notre monde d’aujourd’hui, tristement en déficit de bienveillance, d’ouverture et de gentillesse. Le tandem s’appro-prie le personnage avec éloquence et sensibilité.
«J’essaie d’écrire sur ce que je pense être le plus important à dire sur le moment, puis d’utiliser la mythologie de ces personnages comme toile de fond de l’histoire. Mais je suppose que c’est là tout le défi. Non pas de rendre ces personnages pertinents, mais de rendre ce que je veux dire pertinent pour eux», enchaîne le scénariste.
Plaisir partagé
«Je suis pleinement conscient de ne pas posséder Superman, mais le grand avantage de travailler avec Mark est la liberté qui nous a été accordée de le faire “nôtre”. Alors que mes créations comme Madman, que je possède et contrôle entièrement, me donnent une liberté totale, travailler sur les personnages iconiques de grands éditeurs puise dans une source profonde d’affection qui libère un tout autre lot de récompenses», surenchérit l’incandescent illustrateur Mike Allred.
Le plaisir que les deux auteurs éprouvent à animer Superman est contagieux.
«Je n’arrive pas à croire à ma chance de travailler avec Mark. Honnêtement, je ne peux pas imaginer de meilleures circonstances pour travailler avec un de mes auteurs favoris de toujours d’une manière aussi concluante et satisfaisante. Mark est sans aucun doute l’un des meilleurs écrivains toujours actifs.»
Ce récit sur l’espoir ne pouvait pas reposer sur de meilleures bases. C’est pourquoi il nous va droit au cœur.

SUPERMAN: SPACE AGE, Michael Allred et Mark Russell, Urban Comics
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SUPERMAN: THE WORLD, Collectif, Urban Comics
Comme énoncé dans une entrevue m’ayant été accordée en août 2024, le directeur d’Urban Comics, Pôl Scorteccia, a mis à exécution son souhait de produire des récits inédits des héros de DC Comics signés par des artistes européens. Superman The World propose une quinzaine de brefs récits issus d’autant de pays.
Bien que plusieurs participants œuvrent déjà dans le milieu des comics américains, certaines des brèves se distinguent par leur approche graphique et scénaristique résolument étonnante et réjouissante. C’est notamment le cas d’un manga gourmet signé Satoshi Miyagawa et Kai Kitago, de L’homme de Kruppstahl par l’artiste allemand Félix, qui a notamment signé un Spirou, d’une sublime fable signée par le Brésilien Jefferson Costa, ainsi que du divertissant Superman à Paris, du scénariste Sylvain Runberg (qui réalisa le fulgurant diptyque Zaroff avec le Québécois François Miville-Deschênes).
Bref, ce collectif nous transmet le plaisir que les auteurs ont eu à s’amuser avec le plus puissant et iconique des héros de papier. On en redemande.