La bande dessinée «Parkinson» offre un dosage subtil entre informations/faits et récits de vie


Jean-Dominic Leduc
L’album Parkinson nous éduque avec éloquence sur cette maladie dégénérative progressive qui touche plus de 8,5 millions de personnes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Établie dans la vieille capitale, la structure éditoriale Moelle graphik sonde le milieu hospitalier depuis un moment déjà, notamment la santé mentale avec les saisissants albums Vous avez détruit la beauté du monde (Isabelle Perreault, Patrice Corriveau, André Cellard, Christian Quesnel) et Géants aux pieds d’argile (Alain Chevarier, Mark Mcguire), ainsi que l’univers des urgences via Stat (François Paquet, Yves Lessard) et le récent – et percutant – Le poids de nos traces (Julien Poitras).
Rien d’étonnant puisque l’auteur Julien Poitras et éditeur cumule également les fonctions de doyen de la Faculté de médecine de l’Université Laval et de médecin d’urgence au Centre hospitalier affilié universitaire Hôtel-Dieu de Lévis.
«C’est certainement une sphère dans laquelle je suis confortable et qui me permet de concilier diverses passions (la médecine, l’édition de bandes dessinées, mais aussi l’éducation et le transfert de connaissances). La bande dessinée est un formidable outil de vulgarisation, pas suffisamment utilisé en santé, et de défricher ce territoire est un riche défi, qui permet de faire rayonner davantage le médium», confie Julien Poitras.
C’est tout naturellement que Moelle graphik a participé à un appel de candidatures en vue de la création d’une bande dessinée sur la maladie pour le compte de Parkinson Québec. Qu’est-ce qui leur permit de remporter la mise?
«Nous y avions inclus une composante novatrice, soit la participation de patients et de proches aidants à la conception de la bande dessinée, à travers un exercice de photovoix», se remémore Poitras.
Œuvre de commande qui fait œuvre utile
«Dès le début, Parkinson Québec nous a donné toute leur confiance, ce qui est rare, mais essentiel pour qu’un projet transcende ce qui à la base est une commande», explique Marc Tessier, éminence grise qui a piloté le projet.
«Toute l’équipe, on a tous assisté au photovoix, qui permettait à des gens atteints du Parkinson de témoigner de leurs expériences via un zoom de groupe. À partir de ce moment, on nous a laissé créer», poursuit-il.
Cette confiance dont l’équipe de création a bénéficié transparaît dans les pages de ce remarquable livre.
Sous la plume redoutablement efficace d’Olivier Robin, les illustratrices Blanche et Marina León se relayent avec une inventivité débordante graphique et une indéniable fluidité afin de nous présenter le parcours de cinq patients atteints de la maladie.
Un choix judicieux qui personnalise l’expérience de lecture tout en évitant les écueils des complexes formalités de pareil sujet.
«Comme je fais beaucoup de communication scientifique par la bande dessinée à côté d’histoires comme Tuer le peintre, je crois que j’ai pris l’habitude de compiler un grand nombre d’informations pour les rendre digestes», affirme le scénariste.
«Je pense que c’est ce savoir-faire qui m’a aidé à trouver un dosage entre informations/faits et récits de vie.»
Audace graphique
Quant à l’alternance entre dessinatrices sous une même couverture, qui fit par le passé l’objet de deux séries québécoises avec L’ostie d’chat d’Iris et Zviane ainsi que La liste des choses qui existent d’Iris et Cathon, l’approche, bien que risquée par le danger de nous sortir de l’hypnose de lecture, est une fois de plus fort réussie.
«Marina et moi attendions les informations de l’auteur et de la vision qu’il avait. Quand le scénario fut presque fini, on a finalement eu la division des chapitres. Je pense qu’Olivier et Marc se sont principalement basés sur nos forces en tant qu’artistes, pour les mettre de l’avant. Le défi était de bien représenter ce que l’auteur imaginait et d’aussi faire une œuvre qui allait connecter avec les personnes souffrantes de cette maladie», explique Blanche.
«Je crois que l’autre principal enjeu, c’était de bien faire fonctionner nos deux styles ensemble, car ils sont très différents», renchérit Marina.
«Finalement, Blanche a fait la plupart des pages plus complexes et précises, celles qui avaient plus d’information à transmettre, et moi, la plupart de celles qui avaient un accent plutôt sur le côté émotif ou expressif.»
Une vue de l’intérieur
À l’instar d’Understanding Comics de Scott McCloud, Parkinson fait preuve d’inventivité graphique en explorant les possibilités du langage de la bande dessinée tout en abordant une matière dense. Par le truchement de différents procédés (tarot, labyrinthe, alternance de la couleur et du noir et blanc), l’album réalisé à plusieurs mains fait front commun, proposant une vue de l’intérieur de cette condition tout en naviguant habilement entre statistiques, faits scientifiques, témoignages, bienveillance et difficultés rencontrées.
Succinct et immersif, l’album est à hauteur des lectrices et lecteurs. L’œuvre de commande est ici transcendée.

PARKINSON
Olivier Robin, Marina Leon, Blanche
Éditions Moelle graphik