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L'article provient de Le Journal de Montréal
Santé

Quand notre cerveau manque de filtre

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Photo portrait de Dr François Richer

Dr François Richer

2025-04-20T16:00:00Z
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Les gaffeurs peuvent comprendre rationnellement les liens entre les erreurs et leurs conséquences. Mais, dans le feu de l’action, ils ressentent moins les petites intuitions qui disent: «Stop! Ça risque de mal passer.»

Faire des blagues déplacées dans une rencontre formelle. Parler de son poids à quelqu’un qui pourrait s’en formaliser. Faire une scène bruyante dans un avion bondé.

Les gaffes sociales (faux pas, manque de tact, manque de respect) sont des petites défaillances de l’intelligence émotionnelle qui se traduisent en une transgression des attentes ou des normes de notre entourage.

Des intuitions anti-gaffes

Notre capacité d’éviter les gaffes sociales vient souvent d’une intuition que nous ressentons au moment d’avoir une idée qui nous permet d’anticiper la réaction des autres.

À tous les instants, les évènements font naître dans notre cerveau des idées et des envies qui s’affrontent. Notre jugement, c’est notre capacité à filtrer nos idées en fonction de nos intuitions de pertinence (valeurs sociales, priorités personnelles, contexte...). Jeter un reste de sandwich par terre n’a pas la même valeur de transgression dans une forêt que dans un salon très propre.

Les erreurs de jugement constituent d’abord des défaillances du contrôle émotionnel. Dans notre cerveau, les normes sociales sont associées à des petits signaux émotifs (des intuitions anti-gaffes) qui nous font anticiper les conséquences possibles de nos paroles et de nos actes sur les autres. Ces intuitions nous servent de gouvernail personnel, et quand elles sont trop faibles, les faux pas apparaissent. Quand notre empathie fait défaut, nos propos peuvent être plus blessants. Quand nous ne ressentons pas de culpabilité, nous pouvons manquer de civilité.

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Notre jugement est sensible à nos états émotionnels (stress, fatigue, frustrations).

Nos intuitions interpersonnelles peuvent aussi être étouffées par des envies irrésistibles (impressionner, provoquer, se venger...). Dans ces cas, certaines personnes peuvent perdre leurs inhibitions et laisser échapper des commentaires plus crus, maladroits ou blessants. L’alcool et l’euphorie favorisent aussi la perte de filtres par une excitation contagieuse qui soulage notre stress, mais qui étouffe aussi notre instinct social.

Certaines personnes sont plus sujettes aux gaffes sociales à cause de leur impulsivité, et d’autres le sont à cause de leur manque d’intuitions sociales. Ces erreurs peuvent augmenter chez les personnes qui ont subi des dommages au cerveau (commotions cérébrales, maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale). En quelques minutes, une personne charmante peut devenir embarrassante ou insupportable.

Les erreurs de jugement peuvent aussi être favorisées par notre environnement social. Quand celui-ci banalise les jugements personnels sur les réseaux sociaux parce que «c’est juste pour rire», certaines personnes perdent leurs intuitions sur ce qui est acceptable, ce qui favorise les incivilités et l’intimidation. Quand des individus influents (politiciens, célébrités...) font preuve d’un manque de jugement important, ils peuvent amplifier les divisions et créer des conflits extrêmement coûteux. Notre civisme et notre capacité de discernement dépendent d’intuitions délicates et sont faciles à manipuler.

Développer son jugement

Les gaffes de jugement sont difficiles à prévenir. Reconnaître les nôtres peut nous rendre plus indulgents face à celles des autres. Quand leurs effets négatifs sont majeurs (réprobation sociale ou perte de soutien), elles peuvent parfois mener à des remises en question et à des augmentations d’altruisme.

À part les pires narcissiques et les personnes avec des atteintes cérébrales importantes, il est possible, avec de l’aide, d’apprendre à mieux anticiper les conséquences affectives de nos mots et d’apprendre à multiplier les impacts positifs pour en récolter les fruits plutôt que de chercher à valider nos frustrations et autres états négatifs. Nous avons tous intérêt à tempérer nos excès en nous rappelant régulièrement les bienfaits du contrat implicite qui nous lie les uns aux autres.

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