Publicité
L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Il y a 52 ans, l’île d’Anticosti a bien failli se vider de ses habitants

Camion de la Consolidated Bathurst par Jean-Luc Noël, le père de Mireille Noël.
Camion de la Consolidated Bathurst par Jean-Luc Noël, le père de Mireille Noël. Mireille Noël
Partager
Photo portrait de Mathieu-Robert Sauvé

Mathieu-Robert Sauvé

2023-09-21T04:05:00Z
Partager

En novembre 1971, les représentants de la papetière Consolidated Bathurst annoncent aux habitants de Port-Menier, à Anticosti, que leur village sera fermé et qu’ils doivent quitter les lieux.

« Les dirigeants de la compagnie nous ont expliqué qu’ils ne faisaient pas de bonnes affaires à Anticosti et qu’ils s’apprêtaient à vendre l’île. Le village sera fermé et tout le monde devra partir », raconte Mireille Noël, qui avait 23 ans à l’époque. 

Elle se souvient très bien de cette soirée d’information « cruelle » qui avait provoqué une vive commotion chez les quelque 450 habitants du seul village permanent de l’île d’Anticosti.

Comme d’autres familles présentes ce soir-là, les Noël ont durement encaissé le choc. « De nombreuses personnes âgées ont réagi spontanément en disant qu’elles ne quitteraient jamais l’île. Elles étaient prêtes à s’éclairer à la lampe à l’huile et se chauffer au bois ! », relate Mme Noël. 

Henri Menier, l’homme qui a introduit les cerfs de Virginie au tournant du XXe siècle sur l'Île, avec sa locomotive Decauville N° 416, en 1904 sur l'île d'Anticosti.
Henri Menier, l’homme qui a introduit les cerfs de Virginie au tournant du XXe siècle sur l'Île, avec sa locomotive Decauville N° 416, en 1904 sur l'île d'Anticosti. Wikimedia Commons / Domaine public
Vers Sept-Îles

Née à Anticosti d’une famille d’insulaires depuis plusieurs générations (son grand-père a côtoyé le fondateur Henri Menier, l’homme qui a introduit les cerfs de Virginie au tournant du XXe siècle), Mme Noël venait d’accoucher de son premier enfant le soir de l’annonce et n’avait aucunement l’intention de partir. Pas plus que son mari, qui travaillait au bureau de poste.

Publicité

Mais sans emploi, la jeune famille n’avait aucun avenir. Elle a déménagé en plein hiver par avion-cargo. 

Vue aérienne de Port-Menier. Le cliché a probablement été pris en 1920.
Vue aérienne de Port-Menier. Le cliché a probablement été pris en 1920. Domaine public

« Nous nous sommes installés à Sept-Îles où nous avons acheté une maison. Mais quelques années plus tard, nous sommes revenus car Anticosti nous manquait. »

Entretemps, l’État québécois avait acquis l’île et renoncé à fermer le village. 

  • Écoutez l'entrevue avec Hélène Boulanger, mairesse de la municipalité de L'Île-d'Anticosti à l’émission de Mario Dumont via QUB radio :

La trace de la Consol

Même si la compagnie forestière a cessé ses activités en vertu de l’acte de vente daté de 1974, elle est restée présente dans la mémoire collective. Par exemple, on trouvait encore dans les années 1980 une barrière qui permettait à la compagnie de contrôler les allées et venues des habitants de Port-Menier. Même quand la compagnie a plié bagage, la barrière a été maintenue par le ministère responsable. De nombreux habitants n’avaient jamais vu la magnifique chute Vauréal, par exemple. 

Chute Vauréal, Anticosti
Chute Vauréal, Anticosti BAnQ Saguenay P1 D299 P1-017 / Domaine public

Du temps de la « Consol », la compagnie assurait tous les services, de l’approvisionnement en eau à l’administration de l’école, du dispensaire et même de la prison. Mais comme les bâtiments appartenaient à la compagnie, les habitants étaient des locataires.

Les choses changeront quand le gouvernement du Québec permet l’acquisition de propriétés privées. Il faudra toutefois attendre 1984 pour que le village se dote d’un conseil municipal.  

Rivière Jupiter, sur l'île d'Anticosti
Rivière Jupiter, sur l'île d'Anticosti Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Domaine public

Quelques familles de résistants (les Poulin, Rodgers, Malouin, Blaney, Lelièvre...) ont tenu parole et sont restées à Port-Menier même après l’annonce de novembre 1971. Le village, lui, avec ses maisons placardées, a eu l’air abandonné pendant deux ans avant que l’exode prenne fin et que des familles reviennent.

« Nous ne l’avons jamais regretté », dit Mme Noël dont les deux petits-enfants constituent la cinquième génération d’Anticostiens. 

La ferme Saint-Georges à Port-Menier, Anticosti.
La ferme Saint-Georges à Port-Menier, Anticosti. BAnQ Sept-Iles - Fonds : Société historique de Havre-Saint-Pierre inc. - Cote : 09N_P19S1SS1P684 / Domaine public

Publicité
Publicité

Sur le même sujet