Une forêt rare datant de la glaciation en Abitibi pourrait avoir été complètement rasée par les feux de forêt
Les surfaces forestières touchées totalisent quelque 10 000 km2 de superficie, soit environ 3,5% de toutes les aires protégées de la province

Mathieu-Robert Sauvé et Philippe Langlois
Les feux de forêt des dernières semaines au Québec menacent de ravager en aires protégées l’équivalant d’un pays comme le Liban. Une forêt rare de thuyas en Abitibi datant de la dernière glaciation pourrait avoir été décimée.
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Selon les données recueillies par notre bureau d’enquête, pas moins de 132 aires protégées se retrouvent en tout ou en partie dans les zones d'incendie. Parmi celles-ci, 38 refuges biologiques (voir encadré plus bas) et la forêt rare du Lac-Pichette pourraient être entièrement décimés.
Pour notre analyse, nous avons superposé les périmètres des feux de forêt rapportés par la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) et des aires protégées du Québec, afin de déterminer la superficie des aires touchées par les incendies. Le porte-parole de la SOPFEU, Stéphane Caron, mentionne toutefois qu’à l’intérieur d’un contour de feu, «ce ne sont pas tous les secteurs qui sont nécessairement brûlés».
Consultez notre carte interactive de l'ensemble des feux de forets depuis le 15 avril dernier.
Mises ensemble, les surfaces forestières touchées totalisent quelque 10 000 km2 de superficie, soit l’équivalent du Liban (10 452 km2). C’est environ 3,5% de toutes les aires protégées de la province.
«C’est une triste perte pour le patrimoine forestier du Québec», mentionne le professeur de foresterie à la retraite de l’Université Laval Louis Bélanger, qui a participé à la création des «refuges biologiques» (voir l’encadré) au tournant des années 2000. Mais il ajoute du même souffle que la forêt boréale a beaucoup de résilience et saura s’adapter à la situation.
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Forêt rare perdue?
À ces incendies survenus entre le 14 avril et le 10 juillet dernier, il faut ajouter certaines grandes aires protégées ou en voie de l’être qui ont été entourées par le feu. La réserve de Wichishkw-Uubauquushduuk, dans la région de la Baie-James, d’une superficie de 3516 km2, se trouve ravagée aux deux tiers par les flammes.
Plus délicate est la situation de la forêt du Lac-Pichette, située à 25 km au sud de Lebel-sur-Quévillon. À cause de sa population de thuyas occidentaux (une espèce de conifère couramment appelée «cèdres») datant de la dernière glaciation il y a 10 000 ans, cette forêt est considérée comme un «écosystème forestier exceptionnel de la région de l’Abitibi-Témiscamingue» par le gouvernement du Québec.
Les thuyas qui s’y trouvent sont de rares survivants de populations qui se sont retrouvées beaucoup plus au sud du Québec, où le climat était plus favorable. Ces arbres «portent en eux un bagage génétique qui est probablement unique et spécifique à cette population isolée. Dans un contexte de réchauffement climatique, la protection des peuplements de cèdres isolés revêt donc une importance particulière», peut-on lire dans un document officiel.
Appelé à commenter cette possible perte, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) a fait savoir par courriel qu’il ne procédera pas à la replantation de thuyas.
Pas inquiet
Le grand nombre de «refuges biologiques» touchés n’inquiète pas le MRNF, car les feux sont un processus naturel avec lequel la forêt boréale est habituée de composer.
«On compte un peu plus de 3700 refuges biologiques distribués sur le territoire québécois. Le Québec a comme orientation, en matière d’aires protégées, de laisser cours aux processus écologiques naturels dans les territoires qui ont été affectés par une perturbation naturelle. Le passage du feu dans un refuge biologique ne signifie donc pas nécessairement une perte, mais une évolution naturelle de la forêt», a-t-on indiqué au Journal.
Pierre-Olivier Boudreault, de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), section Québec, est conscient que les feux permettent de régénérer la forêt boréale. Mais il se désole qu’on ne fasse pas plus d’efforts pour protéger les aires fragiles.
«Les pompiers forestiers vont tout faire pour protéger les zones habitées, et c’est bien normal. Mais on aimerait voir un plan d’urgence pour sauver certains écosystèmes fragiles», explique-t-il.
Tout en reconnaissant que les aires protégées se sont agrandies au Québec depuis deux décennies, il signale qu’on a encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre l’objectif de 30% de la superficie du Québec d’ici 2030 (on est actuellement à 17%).
Pour cela, la SNAP privilégie les grands parcs plutôt que de petites parcelles comme les réserves biologiques.
«Quand on pense au caribou forestier, par exemple, ce ne sont pas des refuges biologiques dont ils ont besoin, mais d’immenses territoires», signale le biologiste responsable de la conservation à la SNAP.
Aires protégées, refuges biologiques, réserve de la biodiversité...
Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, une «aire protégée» est «un espace géographique clairement défini», où une collectivité s’est engagée à «assurer à long terme la conservation de la nature».
Propres au Québec, les «refuges biologiques» sont «de petites aires forestières d'environ 200 hectares, soustraites aux activités d'aménagement forestier et dans lesquelles des habitats et des espèces sont protégés de façon permanente», selon le ministère des Ressources naturelles et des Forêts.
Une «réserve de biodiversité» est un site créé dans le but de «favoriser le maintien de la biodiversité en milieu terrestre et plus spécialement de la représentativité des différentes régions naturelles», selon le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Le Québec en compte 15.
À la différence des parcs nationaux, aucune infrastructure de service n’y est installée de façon permanente.
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