Neuf enfants innus disparus dans des hôpitaux de la Côte-Nord il y a 50 ans: de l’espoir pour les familles
200 enfants auraient subi le même sort. Sont-ils morts? Ont-ils été adoptés? Le mystère demeure, 50 ans plus tard


Mathieu-Robert Sauvé
L’annonce de l’exhumation de deux tombes d’enfants innus de Pessamit, près de Baie-Comeau, le 15 juin dernier, devrait permettre aux parents d’être enfin certains que les corps sont bien ceux de leurs bébés.
Première depuis l’adoption au Québec en 2021 de la loi 79, qui vise à faciliter les démarches des familles autochtones qui ont perdu un enfant à la suite d’une évacuation médicale ou d’une hospitalisation loin de leur communauté, l’exhumation des bambins d’un et quatre mois a été ordonnée par une juge le printemps dernier.
Au moment de mettre sous presse, l’exhumation n’avait pas encore eu lieu, mais l’annonce a soulevé une vague d’espoir chez les Autochtones du Québec.

«L’analyse génétique permettra aux familles de compléter leur deuil», commente le médecin Stanley Vollant, originaire de cette même communauté de la Côte-Nord. Le Dr Vollant est très sensible au sort des mères qui n’ont pas pu ouvrir le cercueil de leur enfant au début des années 1970. On leur avait dit que les bébés pouvaient être atteints de maladies contagieuses; c’est pourquoi les enfants ont été enterrés sans que les parents puissent les prendre une dernière fois dans leurs bras.
Deuil difficile
Les parents, qui désirent demeurer anonymes, ne se sont jamais remis de la mort de leurs enfants partis à l’hôpital et revenus dans des cercueils. Comment une telle chose a-t-elle pu être possible?
«À l’époque, les Autochtones n’avaient aucun droit. Ils ne pouvaient pas s’opposer aux décisions des autorités sanitaires. Les mères ne pouvaient même pas accompagner leurs enfants dans les hôpitaux», explique Pierre-Paul Niquay, un des fondateurs de l’association Awacak («petit être de lumière» en atikamekw), qui veut aider les familles à retrouver la trace de leurs enfants disparus.

Sa propre mère a perdu la trace de deux de ses enfants de cette façon dans les années 1950: Tony et Émilie ne sont jamais ressortis de l’hôpital d’Amos après avoir été conduits là pour des problèmes de santé mineurs.
On le sait aujourd’hui. Plusieurs enfants ne sont pas morts, mais ont été adoptés. C’est le cas du frère et de la sœur de Pierre-Paul Niquay, qui ont été retrouvés quelques années plus tard. Une des embûches auxquelles faisaient face les survivants vient du fait que les dossiers médicaux n’étaient pas accessibles. Mais les choses changent peu à peu, et la loi 79 permettra notamment de faire la lumière sur cette tragédie, qui est largement passée sous silence dans les médias québécois.
«On n’oublie jamais ça, la perte d’un enfant», ajoute la directrice générale d’Awacak, Françoise Ruperthouse, qui fera tout pour permettre aux familles de connaître la vérité.

Une enquête bouleversante
«Quand nous avons révélé cette histoire à la télévision en 2015, j’ignorais qu’elle prendrait cette ampleur», révèle au Journal de Montréal la conseillère spéciale au ministère des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Anne Panasuk.
Alors qu’elle était journaliste à Radio-Canada (où elle a travaillé 38 ans), l’anthropologue de formation avait eu vent de disparitions d'enfants en Basse-Côte-Nord. C’est au moment d’interviewer une mère de Pessamit qui était encore éplorée, 45 ans après le drame, qu’elle a commencé à mesurer l’ampleur de son enquête dont elle a tiré un livre, Auassat: À la recherche des enfants disparus (Édito, 2021). Son enfant avait été admis à l’hôpital de Blanc-Sablon pour une infection et n’en était jamais revenu. Un cas en appelant un autre, c’était neuf enfants innus qui avaient disparu du village.
Mais ce n’était encore que la pointe de l’iceberg. La diffusion du reportage allait révéler que d’autres communautés avaient été touchées par le phénomène. «J’ai reçu des appels des Atikamekw, puis des Algonquins et d’autres qui avaient des histoires semblables à raconter», poursuit Mme Panasuk.
Confiance à rebâtir
Tous ces enfants ne sont pas nécessairement décédés, mais on a perdu leur trace. «À cette époque, on donnait les enfants autochtones en adoption. C’était une vision colonialiste qui s’observait non seulement au Canada, mais partout en Occident», commente le Dr Vollant, qui a lui-même failli subir ce sort.
À sa naissance, il était en effet destiné à une famille adoptive blanche de Québec, et c’est son grand-père Xavier qui est intervenu pour l’élever avec les siens. «Mon grand-père a vendu ses peaux de castor pour venir me chercher à Québec!» relate-t-il.

Son frère Éric – mort accidentellement à 18 ans sans avoir connu Stanley – n’y a pas échappé parce qu’il a été mis en adoption secrètement dès sa naissance.
Pour le Dr Vollant, les Autochtones doivent reconstruire leur confiance dans le système de santé du Québec. «Je crois au système puisque j’en fais partie, mais il faut reconnaître ses failles. Le racisme systémique est bien présent», ajoute celui qui vient d’être décoré de l’Ordre du Canada par la gouverneure générale.
Si l’application de la loi 79 est une bonne chose à ses yeux, il faudra encore beaucoup de temps pour permettre aux Autochtones du Québec de se présenter aux urgences avec la certitude qu’ils seront soignés convenablement.
Possiblement 200 enfants
Ce sont plus de 120 enfants qui figurent actuellement sur la liste du ministère des Relations avec les Premières Nations et les Inuit. De ce nombre, on trouve 37 Innus, 48 Atikamekw, 22 Anishnabeg, 6 Cris, 4 Naskapis, 2 Inuit et un Mi'kmaw.
Ce nombre totalise les cas confirmés. Mais il serait largement sous-estimé.
Au total, ce sont plus de 200 enfants autochtones dont on aurait perdu la trace, reconnaît-on dans l’entourage du ministre Ian Lafrenière.