Aux 18e et 19e siècles, les Québécoises avaient le droit de voter à cause d’une brèche dans la loi

Martin Landry
Les Québécoises ont-elles été les premières à voter dans tout l’Empire britannique?
En vertu de l’Acte constitutionnel de 1791, probablement que oui!
C’est par l’imposition de cette nouvelle constitution britannique qu’est née dans notre colonie la première Assemblée législative de notre histoire. Pour la première fois, les citoyens de chez nous vont pouvoir élire des députés pour les représenter au Parlement. Dans le texte constitutionnel de 1791, le législateur britannique accorde la qualité d’électeur à tous les propriétaires terriens, mais sans faire de distinction de genre. Est-ce un oubli? Probablement, mais c’est ainsi qu’en cette fin du 18e siècle, de nombreuses veuves et héritières célibataires propriétaires vont obtenir le droit de voter. Cette brèche légale inédite dans la constitution permettra à des centaines de femmes d’ici de participer à la vie démocratique entre 1792 et 1849.
RETRAIT DU DROIT DE VOTE
En 1848, le Parti réformiste de Louis-Hippolyte Lafontaine et Robert Baldwin remporte les élections. Un an après cette prise de contrôle du Parlement, les législateurs retirent dans l’indifférence quasi générale le droit de vote aux femmes au Canada.
Un droit considéré par plusieurs, dont Louis-Joseph Papineau, comme une anomalie de l’histoire.
On exclut ainsi les femmes, mais soulignons que les Autochtones et les membres de certaines confessions religieuses n’ont pas non plus le droit de voter.
PREMIÈRE BRÈCHE
En 1892, le premier ministre du Québec, Charles-E. Boucher de Boucherville, fait toutefois voter par le Parlement une loi accordant le droit de vote aux femmes célibataires et propriétaires ainsi qu’aux veuves pour les élections municipales et scolaires. Le législateur prend bien soin de spécifier dans la loi qu’elles pourront voter, mais ne pourront pas se présenter comme candidates.

SUFFRAGETTES AU CANADA
Le gouvernement du Canada accorde finalement le droit de vote aux femmes au palier fédéral en 1918, plus de deux ans après les Manitobaines sur la scène provinciale.
Le Manitoba sera suivi au plan provincial par la Saskatchewan et l’Alberta. Ensuite la Colombie-Britannique et l’Ontario l’accordent également, puis la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard l’autorisent quelques mois plus tard. Huit provinces sur neuf; seules les Québécoises n’ont pas encore ce droit de vote au palier provincial.
DES QUÉBÉCOISES AVANT-GARDISTES EN CROISADE
Au Québec, il faudra attendre le début des années 1900 pour qu’un vent féministe mobilise significativement la province. Il se fait surtout sentir dans de grandes villes comme Montréal, à travers des mouvements comme le Montreal Suffrage Association et la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Le message des suffragettes sera porté par des leaders chevronnées comme Marie Gérin-Lajoie et Mme Walter Lyman.

Des suffragettes qui vont subir les sarcasmes des gouvernements au pouvoir, particulièrement ceux des premiers ministres Louis-Alexandre Taschereau et Maurice Duplessis. Cette quête pour les droits de vote des Québécoises au palier provincial sera bien longue. Elles devront affronter les critiques acerbes du puissant clergé, la condescendance des hommes politiques, le paternalisme de nombreux journalistes et même l’opposition de la grande majorité des Québécoises. L’argumentation des opposants repose principalement sur la conception que le rôle de la femme est d’être la gardienne de la «race canadienne-française».
«[...] les Canadiennes françaises risquent de devenir [...] de véritables femmes-hommes, des hybrides qui détruiraient la femme mère et la femme-femme».
Henri Bourassa, fondateur du quotidien Le Devoir ; source: Cap-aux-Diamants, no 21, printemps 1990

Pour se faire entendre, les suffragettes vont utiliser tous les leviers à leur portée. Par exemple, en 1935, lors de la commémoration du 25e anniversaire du règne du roi George V, elles vont lui envoyer, en guise de cadeau, une pétition de 10 000 signatures de citoyens en faveur du suffrage féminin dans la Belle Province. Chaque année, avec l’aide d’un député sympathique à la cause, elles déposent des projets de loi sur le suffrage. Malgré tout, les différents gouvernements au pouvoir au Québec résistent à modifier la loi électorale.
«Donnez un vote libérateur, ouvrez la porte de l’arène politique aux femmes de chez vous qui sauront rester dans la vie provinciale aussi dignes qu’elles le sont dans la vie fédérale à laquelle elles participent depuis plus de vingt ans.»
Idola St-Jean devant les députés de l’Assemblée nationale.
Après quatorze projets de loi déposés et rejetés, le projet de loi no 18 est adopté le 18 avril 1940. Le Parlement, dirigé par le premier ministre Joseph-Adélard Godbout, vote enfin la loi accordant aux femmes le droit de vote.

FEMMES CANDIDATES ET DÉPUTÉES
À partir de 1940, les femmes au Québec ont gagné le droit de participer au suffrage universel, mais également de se porter candidates.
Lors des élections de 1944, aucune candidate ne se présente. Mme Dennis James (Mae) O’Connor sera la première à tenter sa chance à l’élection partielle du 23 juillet 1947, dans la circonscription de Huntingdon.
Il faudra attendre plus de 20 ans, soit en 1961, pour que les femmes aient une voix à l’Assemblée nationale. Marie-Claire Kirkland-Casgrain sera la première Québécoise élue et la première femme à être nommée ministre dans notre Parlement provincial.
