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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

La coalition nationaliste d’Honoré Mercier: la renaissance du Québec francophone après la rébellion des Patriotes

Honoré Mercier, avocat, homme politique et premier ministre du Québec
Honoré Mercier, avocat, homme politique et premier ministre du Québec Crédit : Bibliothèque et Archives nationales du Québec
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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2024-02-07T05:05:00Z
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À la tombée de la nuit, le 12 mai 1885, le village de Batoche en Saskatchewan est envahi par la milice canadienne. Les autorités canadiennes viennent de porter un coup fatal au soulèvement des Métis de l’Ouest.

Trois jours plus tard, se sentant abandonné et souffrant du froid, le leader métis Louis Riel se livre aux éclaireurs de la Police montée du Nord-Ouest. Il sera arrêté, emprisonné, enchaîné à un boulet, jugé, puis condamné pour trahison.

L’intransigeance du premier ministre canadien John-A Macdonald face à la cause des Métis et des Premières Nations provoque un soulèvement de colère chez les francophones au pays. Honoré Mercier est alors un politicien respecté, il se servira habilement de cette tragédie pour rassembler les francophones du Québec. 

LE NATIONALISME CANADIEN-FRANÇAIS

Honoré Mercier grandit auprès d’un père admiratif du leader patriote Louis-Joseph Papineau. Jean-Baptiste Mercier avait même été emprisonné lors de la rébellion des Patriotes pour avoir caché dans la maison familiale deux révolutionnaires et les avoir aidés à s’évader aux États-Unis. 

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Honoré Mercier est studieux et entreprend des études classiques. Il fait un peu de journalisme, devient avocat et commence sa vie politique dans la jeune trentaine. Il est élu député au Parlement fédéral au moment où l’on vient d’abolir le principe du double mandat. Il est intéressant de se rappeler que depuis le début de la Confédération, les députés pouvaient siéger en même temps comme député à Ottawa et comme député dans une province. 

Les débuts de Mercier à la Chambre des communes sont légèrement décevants et il retourne rapidement à la pratique du droit. Malgré tout, l’appel de la politique est fort et, en 1879, il se fait élire comme député libéral de Saint-Hyacinthe, mais cette fois à l’Assemblée législative du Québec. Quatre ans plus tard, il devient même chef des libéraux au Québec.

UN VENT NATIONALISTE SOUFFLE AU QUÉBEC

Le 16 novembre 1885, au petit matin, le héros de la création du Manitoba Louis Riel est pendu. La nouvelle atteint Montréal dans l’avant-midi. Les gens se précipitent dans les rues, ils sont abasourdis. On sent monter l’indignation chez les francophones, puis un sentiment de deuil collectif. Certains portent le brassard noir du frère disparu. La mort de Riel sur l’échafaud devient le symbole d’une perception anti-francophone au pays. 

L’exécution de Louis Riel
L’exécution de Louis Riel Crédit : Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Six jours plus tard, 50 000 personnes se donnent rendez-vous sur le Champ-de-Mars de Montréal pour manifester leur peine et leur solidarité. Parmi les orateurs, on retrouve Honoré Mercier. La coalition francophone dont Mercier rêve depuis longtemps commence à prendre forme. Il fera un remarquable discours nationaliste dans lequel il invite les Canadiens français à s’unir enfin et explique qu’il est temps que le Québec se tienne debout face à Ottawa. 

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LE PARTI NATIONAL PREND LE POUVOIR AU QUÉBEC

Le 29 janvier 1887, Honoré Mercier devient le neuvième premier ministre de l’histoire du Québec. Il forme un gouvernement constitué de députés du Parti libéral et du Parti conservateur. On sent, pour la première fois depuis les insurrections patriotes, un grand vent nationaliste souffler sur le Québec.

En 1887, le Canada a 20 ans. Pour Mercier, c’est le temps de faire des bilans et son gouvernement en profite pour mettre en lumière l’épineux problème de l’autonomie des provinces dans le système fédéral canadien. À l’occasion de cet anniversaire, il convie les premiers ministres des six autres provinces canadiennes. Cinq provinces acceptent l’invitation. Elles en profitent pour contester en bloc la gouvernance beaucoup trop centralisatrice du gouvernement fédéral et plus particulièrement l’utilisation abusive du pouvoir de désaveu. Ce pouvoir-là, le droit de désaveu, permettait au gouvernement canadien d’annuler une loi légalement votée par un gouvernement provincial. 

L’AFFRONTEMENT FÉDÉRAL-PROVINCIAL

Cette rencontre interprovinciale permet aux premiers ministres de se concerter et d’élaborer une stratégie commune pour répondre à l’ingérence du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces.  

À la fin de cette première conférence interprovinciale, le premier ministre de l’Ontario Olivier Mowat souligne la contribution exceptionnelle de Mercier par les mots suivants: «Mercier nous dépasse tous de la tête et des épaules.» 

Leur travail portera ses fruits puisque quelques années plus tard, le Conseil privé de Londres confirmera l’égalité des deux ordres de gouvernement et reconnaîtra également la souveraineté des provinces dans leurs champs de compétence. 

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Rencontre interprovinciale en 1887
Rencontre interprovinciale en 1887 Crédit : Bibliothèque et archives du Canada

DES AVANTAGES SUR LE PLAN SOCIAL

Le gouvernement Mercier pose des gestes concrets pour tenter d’améliorer la vie des Québécois. Il crée des postes de commissaires pour surveiller le respect des heures de travail dans les usines. Il vote des lois pour améliorer les conditions des femmes et des enfants dans les manufactures. Il encourage la création de bibliothèques et augmente le financement de l’État en éducation. Il permet même l’ouverture d’écoles de soir pour combattre l’analphabétisme chez les ouvriers. 

UNE SOLUTION À L’ÉMIGRATION

Depuis le milieu du 19e siècle, chaque semaine, des centaines de famille partent vers les États-Unis. Pour freiner cette perte démographique, Mercier prend des mesures pour accueillir des immigrants français, suisses et belges au Québec, mais avec bien peu de succès. Il entreprend aussi le défrichement de nouvelles zones de colonisation dans la vallée de l’Outaouais, au Saguenay, au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et dans les Laurentides. Il ira même jusqu’à créer un ministère de la Colonisation. Il nomme le populaire curé Labelle de Saint-Jérôme, déjà impliqué dans le défrichement des Laurentides, sous-ministre au Développement colonial. 

Honoré Mercier en compagnie du curé Labelle et des membres du département de l’Agriculture et de la Colonisation
Honoré Mercier en compagnie du curé Labelle et des membres du département de l’Agriculture et de la Colonisation Crédit : BAnQ

Il faut savoir que ce curé-là avait la réputation d’être fort créatif pour attirer des colons dans les pays d’en haut. On raconte qu’au cours d’un hiver particulièrement froid, il serait descendu à Montréal en plein mois de janvier, à la tête d’une caravane de 24 traîneaux chargés de bois de chauffage, pour aider les ouvriers de la grande ville à se chauffer. Cette généreuse distribution de bois avait aussi pour but de faire la démonstration de la prospérité des colons des Laurentides et mousser les avantages d’un lien permanent entre le Nord et Montréal. 

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En fait, il souhaitait obtenir de l’argent pour la construction d’un chemin de fer pour relier Montréal aux Laurentides. Tenace et têtu, l’imposant curé (1,80 m, 140 kg) va réussir avec l’appui financier du gouvernement Mercier à financer son chemin de fer. Cette stratégie de développement économique et démographique par le chemin de fer se déploiera aussi au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie et en Outaouais.

Pour financer ces gros projets, Honoré Mercier va même aller en France pour solliciter des emprunts dans des banques européennes. On raconte qu’il aurait profité de son voyage de l’autre côté de l’Atlantique pour visiter une nouvelle attraction de la ville de Paris, la tour de M. Eiffel. D’ailleurs, lors de cette visite chez nos voisins, il rencontre les ingénieurs de l’entreprise Eiffel et leur parle d’un projet de construction d’un grand pont pour enjamber le fleuve Saint-Laurent, près de Québec. 

LE SCANDALE, LE DÉBUT DE LA FIN

Honoré Mercier est réélu à la tête de la province en 1890. L’année suivante, il est même anobli par le pape Léon XIII. 

Malgré sa forte popularité et son aura de quasi-héros, il sera associé à un scandale. Il faut dire qu’en cette fin de siècle, les dollars pour construire des kilomètres de chemin de fer pleuvent comme jamais sur le pays. La tentation, chez de nombreux politiciens, de détourner une partie de cet argent est bien grande. En 1890-1891, plusieurs journalistes et politiciens s’intéressent à un tronçon ferroviaire en Gaspésie qui n’en finit plus de se construire. On enquête pour comprendre pourquoi seulement 100 des 320 km du chemin de fer de la baie des Chaleurs sont complétés. On en conclut que le gouvernement du Québec s’est servi de ses propres subventions pour probablement financer des dépenses électorales. Sans preuve, certains accusent publiquement le premier ministre Mercier d’être directement lié à cette histoire. 

Photo fournie par Martin Landry
Photo fournie par Martin Landry

Quelques jours avant Noël 1891, Honoré Mercier est démis de ses fonctions de premier ministre par le lieutenant-gouverneur du Québec. Il sera remplacé par Charles-Eugène Boucher de Boucherville. Pourtant, même si le rapport avait conclu que des fonds publics avaient été détournés, aucun lien direct n’avait relié Mercier à ces transactions douteuses.

Il sera par la suite publiquement innocenté de ces accusations, mais les affirmations diffamatoires de ses adversaires auront sali sa réputation. 

Il sera quand même réélu comme simple député en 1892. Cependant, son parti ne reprendra jamais le pouvoir. Il meurt deux ans plus tard. Il est enterré au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. 

Les funérailles d’Honoré Mercier en 1894
Les funérailles d’Honoré Mercier en 1894 Crédit : Bibliothèque et Archives nationales du Québec

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