Tramway de Québec, REM de l’Est: 5 raisons qui expliquent pourquoi les coûts des projets explosent toujours


Andrea Lubeck
Vous avez l’impression que chaque fois qu’un projet de transport en commun est annoncé au Québec, les coûts finissent par exploser à un moment ou à un autre? Vous n’avez pas tort: pas moins de 90% de ces projets dépassent leur budget initial. Deux expertes nous expliquent pourquoi.
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1- On annonce les coûts trop tôt
Le premier chiffre mis de l’avant lors de l’annonce d’un projet structurant de transport en commun est un «coût politique» qui sert à «faire passer le projet», soutient la professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, Florence Junca-Adenot.
«Le projet n’est pas défini, les plans et les tracés ne sont pas faits, mais il y a un premier coût qui va sortir. C’est le chiffre que les gens vont retenir», précise celle qui est également cofondatrice de l’Alliance pour le financement des transports collectifs du Québec.
Or, sans les données de base – où va passer le projet, sa longueur, selon quel mode (hors-terre, souterrain, etc.), quand il sera réalisé –, difficile de savoir exactement à combien s’élèvera la facture.
Durant toutes les étapes qui précèdent la construction, qu’il s’agisse des plans préliminaires, des analyses de besoins, des tracés ou de l’intégration urbaine, «les coûts vont s’ajuster et vont varier jusqu’au moment où on a des plans et devis définitifs et qu’on aille en appel d’offres pour les travaux, pour l’achat de matériel, etc.», note Mme Junca-Adenot.
«Pendant cette période, il y a des chiffres qui vont circuler. Ça mélange [le public] un peu parce que le projet se planifie, se précise», ajoute-t-elle.
2- On a du mal à planifier les meilleurs projets
C'est l’un des plus grands défauts des projets d’infrastructure au Québec, soutient Fanny Tremblay-Racicot, professeure agrégée à l’École nationale d’administration publique (ENAP). Elle cite notamment le projet de tramway dans la capitale nationale.
«C’est le paradoxe des grands projets, comme le tramway de Québec, par exemple. On surestime les bénéfices et on sous-estime les coûts, et les projets, c’est très rare qu’ils atteignent les objectifs qu’on a déterminés à l’avance», remarque la professeure.
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Elle rappelle qu’un rapport de 2020 du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ne recommandait pas le projet du tramway tel que présenté par l’ancienne administration du maire Régis Labeaume.
«Le BAPE a dit qu’il y avait certains modes qui n’avaient pas été suffisamment analysés, que les études d’opportunité étaient biaisées et qu’il y aurait peut-être d’autres projets qui auraient eu un meilleur rapport coûts-bénéfices», relate Fanny Tremblay-Racicot.

Le rapport citait notamment le métro léger, le service rapide par bus ou encore le monorail comme options n’ayant pas été convenablement considérées.
Pour arriver à développer les meilleurs projets qui auront un plus grand retour sur l’investissement, il faut ainsi «renforcer notre capacité de planification et de réalisation», croit Fanny Tremblay-Racicot.
«Quand on sait qu’on a le meilleur projet, on peut justifier l’investissement, même s’il coûte cher. On peut mieux accepter les explosions de coûts. Or, le contraire est beaucoup plus difficile», souligne-t-elle.
Fanny Tremblay-Racicot fonde en ce sens beaucoup d’espoir sur la nouvelle agence, indépendante du ministère des Transports, que le premier ministre François Legault veut mettre sur pied pour gérer les projets structurants de transport en commun.
«Ce n’est pas parce que tu as une agence que c’est nécessairement plus efficace, mais ça peut faire en sorte qu’on améliore le processus de planification et de réalisation.»
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3- On apporte des changements au projet
Les changements apportés à un projet après son lancement, «c’est mortel» pour les coûts, estime Florence Junca-Adenot.
On l’a vu notamment dans le Projet structurant de l’Est – autrefois appelé REM de l’Est. C’est le changement du mode, allant d’un tracé aérien à un projet 100% souterrain, qui a fait passer son coût de 17 milliards $ à 36 milliards $.

La première mouture ne passait pas le test de l’acceptabilité sociale pour les résidents des quartiers qu’il traverserait. Mais coût du projet souterrain, dévoilé cet été, ne fait pas l’affaire de Québec.
Le premier ministre, François Legault, a donc renvoyé l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) à la table à dessin.
Les études pour voir comment le REM se connectera à l’est et au nord de Montréal, en plus de se rendre jusque dans Lanaudière et à Laval, tout en étant «financièrement responsable», se font toujours attendre.
Ce genre de pressions (politiques ou citoyennes) ou les erreurs dans la planification qui surviennent une fois que le projet est lancé font inévitablement hausser les coûts.
4- Public c. privé
L’organisme derrière le projet – que ce soit le gouvernement, une entreprise privée ou la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – a aussi un impact sur la facture totale.
Les sociétés publiques de transport, comme la Société de transport de Montréal (STM), doivent payer beaucoup plus cher lorsqu’elles exproprient que les entreprises privées, qui peuvent débourser la valeur marchande plutôt que la valeur propriétaire, illustre Fanny Tremblay-Racicot.
La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, a justement déposé un projet de loi, en mai dernier, qui permettrait aux sociétés publiques d’exproprier à la valeur marchande elles aussi. Il n’a toujours pas été adopté.

Par ailleurs, dans les projets privés, comme le Réseau express métropolitain (REM), les coûts engendrés par d’autres partenaires ne sont parfois pas comptabilisés dans les chiffres rendus publics.
Fanny Tremblay-Racicot pense notamment aux études indépendantes réalisées en amont d'un projet par les gouvernements ou aux travaux effectués par les villes sur la voirie pour l’adapter à un projet, «qui peuvent ajouter quelques milliards à la facture».
5- Quand l’inflation s'en mêle...
L’inflation affecte tous les secteurs économiques, y compris l’industrie de la construction.
C’est encore plus vrai pour les projets de transport en commun, puisqu’ils se réalisent sur plusieurs années, note la professeure Junca-Adenot.
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«Ce sont toujours des projets qui sont longs dans la durée et qui subissent des retards dans l’échéance, pour plusieurs raisons. Il n’y en a pas un [projet] pour lequel on peut appuyer sur un bouton et, en six mois, le projet est terminé», poursuit-elle.
«Quand le coût total projeté sort au début, il ne tient généralement pas compte de l’inflation, ajoute-t-elle. Mais quand il va être terminé, il va être fait avec le coût réel qui l’incorpore.»