Une guerre à l'auto? Voici combien de places de stationnement ont été retirées à Montréal depuis 2018

Andrea Lubeck
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, livre-t-elle une guerre à l’auto, en retirant toujours plus de places de stationnement pour y aménager des pistes cyclables? On a posé la question à un expert en mobilité.
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Entre 2018 et septembre 2022, 5834 places de stationnement sur rue ont été retirées ou réallouées dans la métropole, selon les données les plus récentes de la Ville consultées par 24 heures.
Il s’agit d’«une infime partie de l’offre totale de stationnement sur rue sur le territoire montréalais», soit entre 1,1% et 1,2%, assure un porte-parole de la Ville par courriel. Il y aurait entre 475 000 et 515 000 places de stationnement sur l’ensemble du territoire.

«Les espaces de stationnement retirés visent principalement à rééquilibrer le partage de la route et assurer la sécurité de tous les déplacements, alors que Montréal et les autres villes du Québec observent une hausse importante des collisions impliquant des piétons», poursuit-il.
Il faut savoir que le retrait des espaces de stationnement sur rue ne sert pas juste à ajouter des pistes cyclables. Certaines rues sont réaménagées pour assurer la sécurité des enfants, des piétons et des cyclistes, notamment avec l’ajout de saillies de trottoir qui empêchent les voitures de se stationner à moins de 5 mètres d’une intersection.
Pas de révolution...
«Enlever 1% ou 2% des stationnements, ce n’est pas une révolution, lance d’emblée le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche. Si on parlait de 30% ou 40%, je vous dirais “Mon Dieu, ça ne marchera pas!”.»
Pour lui, une partie de la population comprend mal qu’une ville comme Montréal se doit d’offrir des modes alternatifs de transport aux citoyens qui veulent tourner le dos à l'automobile.
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«Le problème des citoyens de Montréal, c’est de penser que la rue leur appartient et qu’ils peuvent mettre leur voiture dedans comme ils veulent et que ce serait tout à fait normal», déplore M. Meloche.
Le plus récent exemple des critiques arrive de Parc-Extension, où l’aménagement de pistes cyclables sur la rue Querbes entraînera le retrait de 250 places de stationnement.
Toujours plus de voitures
Le stationnement sur rue demeure «tout à fait correct», dans la mesure où les rues sont capables d’absorber les voitures que les citoyens possèdent, poursuit M. Meloche. Mais c’est de moins en moins le cas.
Juste dans l’agglomération de Montréal, on comptait 811 815 véhicules en circulation en 2020, une hausse de 42 662 voitures et autres camions légers sur les routes par rapport à 2015, selon les plus récentes données de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).
Le retrait d’espaces de stationnement sur rue représente une solution efficace pour ralentir la hausse constante du nombre de voitures, surtout dans les quartiers centraux, estime Jean-Philippe Meloche.
«Si on garde toutes les places de stationnement, on n’aura pas d’espace pour les pistes cyclables ou pour les transports en commun, donc les gens vont être incités à utiliser leur automobile et ils vont avoir du mal à se stationner. Plus on est contraints à se déplacer en voiture, plus de gens vont utiliser leur véhicule et moins on aura de place pour se stationner», illustre-t-il.
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À la question à savoir si l’administration Plante livre une guerre à l’auto, Jean-Philippe Meloche répond donc que non.
«On peut dire que l’administration actuelle est favorable aux mobilités alternatives, plus, peut-être, que la précédente. Il y a des choix politiques qui sont faits, comme privilégier les pistes cyclables ou les voies réservées aux autobus, plutôt que le stationnement ou la voiture, ce qui peut choquer certaines personnes qui sont centrées sur l’auto par rapport à celles qui le sont moins», note-t-il.
Autre solution pour retirer des voitures des rues: des vignettes plus chères
Les vignettes de stationnement ne coûtent pas assez cher à Montréal, affirme Jean-Philippe Meloche.
«Il va falloir que les élus de Montréal comprennent qu’une bonne politique de stationnement, c’est une politique où on vend des vignettes à un prix relativement élevé, pour que les gens soient dissuadés de les payer et qu’ils utilisent un mode de transport alternatif», soutient-t-il.

Dans les endroits où l’on trouve des parcomètres, il suggère de calquer l’idée de San Francisco, qui a implanté en 2018 la tarification dynamique en fonction de la demande.
«Ça démontre que la personne qui gère le stationnement sur rue n’a pas compris la valeur de ce qu’elle essayait de vendre, poursuit le professeur. Parce que la personne à côté qui a fabriqué un espace de stationnement le vend deux fois plus cher. Pourquoi la Ville sacrifie-t-elle des ressources?»
Avec l’argent supplémentaire des vignettes et des parcomètres, la Ville pourrait réinvestir dans des solutions de transport alternatif pour les citoyens «frustrés de ne pas trouver un espace de stationnement pour leur auto», souligne M. Meloche.
Autre solution pour retirer des voitures des rues: se stationner ailleurs
Le stationnement sur rue n’est pas le seul mode de stationnement possible, rappelle Jean-Philippe Meloche. Il pense aux stationnements à étages.
«Si, dans Le Plateau-Mont-Royal ou dans Parc-Extension, vous manquez de stationnement, ce que vous avez à faire, c’est de racheter un bâtiment, de l’exproprier, de le détruire, de creuser un gros trou et d’y construire [une structure] pour faire plein d’espaces de stationnement dedans. Les gens vont dire “oui, mais ça coûte cher”. Et voilà! Ce n’est pas gratuit. Mais sur la rue non plus, ce n’est pas gratuit. Il y a un coût d’opportunité à dédier au stationnement», insiste-t-il.
«C’est possible de trouver une place de stationnement pour tout le monde, même dans les quartiers centraux qui n’ont pas été construits pour accueillir autant de voitures. Mais ça va coûter cher, et il va falloir que quelqu’un paie la facture», précise le professeur.
La voiture toujours au sommet
À l’échelle de la Ville de Montréal, 73,8% de la voirie est consacrée aux voitures, 1% au transport collectif (voies réservées), 1,3% aux vélos (pistes cyclables protégées et bandes sur la voirie) et 18,8% aux piétons (trottoirs), selon des données recueillies en 2018 par la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal et publiées en 2021. Ces proportions varient d’un arrondissement à l’autre.
La proportion d’espace dédié aux cyclistes est la plus haute dans Le Plateau Mont-Royal et Rosemont−La Petite Patrie, qui y consacrent 2,5% chacun. Ces arrondissements proposent également le plus d’espace pour les piétons, avec 28,7% et 26,3% respectivement.
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Compte tenu de la taille des véhicules et du volume de la circulation, il est normal qu’une plus grande proportion de la voirie soit consacrée aux automobiles, rappelle Jean-Philippe Meloche.
En ce qui concerne les cyclistes, le professeur juge que l’espace qui leur est réservé est équitable compte tenu du fait que les déplacements à vélo comptent pour environ 3,3% de tous les déplacements dans la métropole, selon l’État du vélo à Montréal en 2020, un rapport publié par Vélo Québec.
L’administration Plante espère que d’ici 2030, 15% des déplacements se fassent sur deux roues.