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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Nous sommes des Américains francophones : la classe moyenne est née au Québec parce qu'on a voulu imiter le «rêve américain»

Partout en Amérique du Nord, la prospérité économique de l’après-guerre et le bébé-boum stimulent l’économie.
Partout en Amérique du Nord, la prospérité économique de l’après-guerre et le bébé-boum stimulent l’économie. Henri Rémillard, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Creative Commons
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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2024-07-05T11:00:00Z
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Pendant 30 ans, la croissance économique d’après-guerre permet à de vastes pans des populations américaines mais aussi canadiennes d’améliorer leurs conditions de vie. 

C’est l’époque de la naissance de la classe moyenne. L’expression American way of life décrit bien cette période où l’idéal de vie américaine, basé sur le bonheur à travers la consommation, devient une référence. Cette tendance à se définir en fonction de ses avoirs a inévitablement atteint les Québécois. C’est donc à cette époque que certains sont bien heureux de devenir, comme l’affirme si bien notre Elvis Gratton national, des «Américains francophones d’Amérique du Nord». 

LA PUBLICITÉ ET LE BONHEUR DE CONSOMMER

Après s’être serré la ceinture pendant plus d’une décennie, la population nord-américaine a envie de dépenser. Au Québec, après la guerre, entre 1940 et 1950, le salaire annuel moyen des hommes augmente de 34%. Les usines de guerre se convertissent et produisent des objets, auparavant réservés aux riches, maintenant accessibles à la population. Les Québécois se mettent à imiter leurs voisins du sud et achètent des appareils électroménagers. Machine à laver, cuisinière, réfrigérateur, grille-pain, aspirateur, téléphone, radio et bientôt téléviseur vont entrer dans nos maisons. Par exemple, en 1945, à peine la moitié des logements sont équipés d’un réfrigérateur, cette proportion grimpe à 92% en 1961. Pour le téléphone, c’est encore plus frappant. Pendant la guerre, il y avait seulement une résidence sur trois qui en possédait un. En 1960, c’est presque tous les foyers qui sont branchés. 

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Cette consommation est intimement liée à l’omniprésence de la publicité dans les médias. L’arrivée de la radio et la multiplication des postes pour l’écouter contribuent à ce phénomène. Dans les années 1960, 97% des foyers possèdent une radio à la maison. Cependant, la nouveauté par excellence, c’est de loin la télévision. Dans les premières années de l’arrivée de la télé, dans les années 50, ce n’est pas rare de voir des attroupements de personnes devant les vitrines des magasins qui vendent ces appareils. Tout le monde rêve de cette grosse boîte à images. 

Publicité pour une télévision en 1952
Publicité pour une télévision en 1952 Crédit : Flickr, libre de droit

L’arrivée de la télévision a fait très peur aux propriétaires de salles de cinéma. Voilà pourquoi ils ont inventé un nouveau format de film très large, le format CinémaScope. Ces films ne pouvaient pas vraiment être diffusés dans un écran de télé presque carré.

Certaines émissions de télé, comme The Ed Sullivan Show, influencent notre culture québécoise. Parallèlement, les premières émissions télévisées apparaissent à l’écran de Radio-Canada à partir de 1952. Jusqu’au début des années 1960, ce sera le seul poste disponible pour les francophones au pays. Évidemment, la télé était en noir et blanc. Par ailleurs, dans les premières années de la télé, on faisait une pause de programmation entre 18h et 19h30 pour laisser le temps aux gens de souper en famille, c’était vraiment une autre époque.

UN MODE DE VIE AMÉRICANISÉ

Même si chez les francophones l’influence culturelle de la France reste présente dans les nouveaux médias de masse, on peut dire que la jeunesse québécoise s’américanise en admirant des stars comme James Dean ou Marilyn Monroe.

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En musique, grâce à la radio mais aussi à l’invention du disque vinyle, le rock and roll américain fait des adeptes au Québec au grand désarroi de l’Église qui condamne entre autres les déhanchements décadents d’Elvis Presley. En 1957, la célèbre vedette américaine fait sa première grande tournée à l’extérieur des États-Unis. On annonce qu’il fera un spectacle au Québec, à Montréal, au grand bonheur de ses admirateurs québécois. Mais la résistance des autorités est tellement forte qu’il se produira à Ottawa, à Toronto, puis à Vancouver, mais jamais à Montréal. Il faut dire qu’en 1959, l’Union nationale de Duplessis est toujours bien en selle et que l’influence de Mgr Léger, l’archevêque de Montréal, est toujours bien puissante.

UN NOUVEAU MODE DE VIE

La croissance de la population urbaine et la popularité de la voiture entraînent le début de l’étalement urbain. Grâce à leurs belles grosses Chrysler, Ford ou General Motors, les Québécois comme les Américains achètent des bungalows, des cottages ou des split-levels sur des terres autrefois réservées à l’agriculture. Dans ce style de vie de la famille en banlieue, la mère reste à la maison. Le modèle s’appuie sur une nouvelle image de la femme qui est largement présentée dans le cinéma américain. Cette reine du foyer garde son rôle traditionnel, mais ses tâches sont allégées grâce aux nouveaux appareils électroménagers.

Publicité pour une voiture en 1955
Publicité pour une voiture en 1955 Domaine public

Un couple près de sa voiture regarde une maison en construction en 1966.
Un couple près de sa voiture regarde une maison en construction en 1966. Crédit : Warren K. Leffler, Library of Congress, 2014647929. Licence : domaine public.

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Avec la nouvelle loi qui oblige les employeurs à payer une semaine de vacances par année à leurs employés ayant un an de service, les Québécois vont prendre la route des vacances pour s’évader du quotidien. Les vacances se passent surtout au Québec, mais plusieurs se rendent en été sur les plages de la Nouvelle-Angleterre, destination Old Orchard ou Plattsburgh.

« Ils l’ont l’affaire, les Amaricains »
Elvis Gratton
LE QUÉBEC CHANGE

Malgré un discours politique parfois très conservateur des années 1950, le Québec se transforme. À la fin de la guerre, après le retour des soldats, la population du Québec connaît une croissance remarquable. Entre 1951 et 1961, elle passe de 4 à un peu plus de 5 millions d’habitants. Au Canada, la population grimpe de 14 à 18 millions. Cet accroissement est dû en partie à la reprise de l’immigration, mais surtout à l’augmentation fulgurante du nombre de naissances.

En 1961, plus de 44% des Québécois ont moins de 19 ans! Toute cette jeunesse force le gouvernement provincial de Maurice Duplessis à construire des centaines d’écoles primaires. Il fallait respecter la fameuse loi sur l’instruction publique adoptée pendant la guerre. L’école était dorénavant gratuite et obligatoire jusqu’à 14 ans.

La surprenante croissance économique de cette période que plusieurs appellent les «Trente glorieuses» ralentira dans les années 1970, principalement à cause des crises du pétrole de 1973 et de 1979, mais l’américanisation de notre mode de vie était déjà bien enracinée.

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