Adultère, cruauté et abandon: l’histoire du divorce au Québec

Martin Landry
Il y a 100 ans, ce n’était vraiment pas simple de divorcer au Québec. Pour rompre le contrat de mariage, il fallait évidemment affronter la rigidité du clergé catholique, mais aussi un système juridique peu accommodant.
Entre 1795 et 1879, il s’est tenu un peu plus de 250 procès pour divorce dans le district judiciaire de Montréal, un nombre peu élevé pour une période aussi longue. Dans 95% des cas, c’était des femmes qui demandaient le divorce. Ces épouses invoquaient principalement la violence et l’alcoolisme de leur conjoint pour justifier leur désir de rompre le contrat de mariage.
Pendant longtemps, les lois civiles et le dogme religieux servaient de base aux règles qui encadraient le mariage. Les hommes de pouvoir rappelaient continuellement aux épouses que leur mari était leur supérieur. La Coutume de Paris ou plus tard le Code civil du Québec mentionnaient noir sur blanc que la femme devait obéissance à son mari. D’ailleurs, il existait dans la loi deux poids, deux mesures en matière de genre. Par exemple, l’homme avait le droit d’accuser son épouse d’adultère, de la faire enfermer et d’obtenir sans trop de difficulté la séparation de corps, mais pas la femme. Le Code civil a maintenu cette injustice jusqu’au milieu des années 1950.
LE DIVORCE AU QUÉBEC AVANT LA LOI FÉDÉRALE DE 1968
Au Québec, pendant longtemps, les femmes mariées avaient besoin de leur mari pour signer en leur nom des contrats ou des documents officiels. Avant 1964, les Québécoises étaient littéralement considérées, sur le plan légal, comme des personnes mineures. En fait, elles avaient les mêmes statuts juridiques qu’un enfant ou un fou.
Les choses vont changer en 1964 avec l’application de la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée (loi 16). Elle corrige de graves lacunes en matière d’égalité des sexes, mais pas toutes. Par exemple, dans un couple marié, l’autorité du père prime toujours auprès des enfants.
Cette loi modifie le Code civil pour que les femmes mariées puissent exercer la pleine capacité juridique. La femme mariée acquiert la responsabilité civile et financière et le pouvoir d’exercer une profession sans l’autorisation de son mari.
Le projet de loi, mené par la première femme députée et ministre de l’histoire du Québec, Marie-Claire Kirkland-Casgrain, est adopté par l’Assemblée législative du Québec le 14 février 1964. La loi entre en vigueur le 1er juillet 1964.

Vers la fin des années 1960, le ministre de la Justice du Canada, Pierre Elliott Trudeau, souhaite réformer le Code criminel. Il fera amender notre code pénal pour recadrer la responsabilité individuelle de chacun face à des questions comme l’orientation sexuelle, la contraception, l’avortement ou le divorce.
«L’État n’a pas sa place dans les chambres à coucher de la nation.»
–Pierre-Elliott Trudeau, ministre de la Justice
Avant 1968, c’était aux provinces de baliser ce droit en matière de divorce et chacune d’elles avait ses propres particularités. Au Québec, la situation était quand même compliquée parce qu’il n’y avait tout simplement pas de législation sur ce sujet. Pour divorcer, on devait aller devant une cour fédérale. Les démarches juridiques étaient longues et bien souvent trop coûteuses, les frais d’avocat frôlaient fréquemment les 2000$.
LA LOI DE 1968 ENCADRE LE DIVORCE
La Loi sur le divorce au Canada de 1968 supprime les «deux poids, deux mesures» du Matrimonial Causes Act britannique. La nouvelle législation fédérale peut maintenant s’appliquer dans toutes les provinces. Les personnes désirant divorcer pourront être entendues chez elles en cour provinciale. La nouvelle loi spécifie les fautes conjugales qui peuvent conduire au divorce, comme l’adultère, la cruauté ou l’abandon du foyer. Le législateur impose une période de trois ans de séparation avant d’accorder le divorce. La loi a un impact assez important puisqu’entre 1970 et 1981, le nombre de divorces au Québec est multiplié par quatre.

L’ÉVOLUTION DE LA LÉGISLATION 1985-1986
Dans une société démocratique, les lois doivent être le reflet des valeurs de ses citoyens. Si ces valeurs évoluent constamment, ses lois doivent évidemment être revisitées. Au milieu des années 80, il apparaît de plus en plus clair que la loi fédérale de 68 comporte de nombreuses failles. Une nouvelle Loi sur le divorce est donc votée en 1985 dont la législation s’applique à partir de 1986. L’esprit de cette nouvelle loi change profondément la culture du divorce. Terminée l’obligation de lancer des accusations pour faire la démonstration qu’il y a eu une faute conjugale, on peut divorcer tout simplement parce que le mariage est un échec.
Depuis 30 ans, le nombre de divorces diminue progressivement, pas parce que les couples s’aiment plus que dans les années 70, mais tout simplement parce que les Québécois se marient de moins en moins. Nos mœurs conjugales ont changé au rythme de la baisse de l’influence de l’Église et de l’émancipation des femmes dans la société. Dans le Québec d’aujourd’hui, plus de 60% des enfants naissent dans des familles en union libre.