Hydro-Québec fondée en 1944: la société d'état a été mise sur pied pour contrer la cupidité des producteurs d'électricité privés il y a 80 ans
Martin Landry
Lors de l’Exposition universelle de Paris en 1878, le monde découvre l’éclairage électrique.
Les visiteurs sont émerveillés par les globes de verre, pourvus de lampes à arc électriques, disposés le long de la promenade de la rue de l’Opéra, lumières que l’on appelle naturellement «bougies Jablochkoff» du nom de son inventeur Pavel Jablochkoff. Un de ces visiteurs, impressionné par l’illumination, est Québécois, il se nomme Joseph Ambroise Isaïe Craig. À son retour à Montréal, il accompagnera les Jésuites dans ce qui deviendra la première lumière électrique de Montréal installée devant le Collège Sainte-Marie au coin de la rue de Bleury et du boulevard Dorchester (aujourd’hui René-Lévesque).

L’ÉLECTRICITÉ REMPLACE LE GAZ
Cette innovation, découverte à Paris, déclenche une rivalité entre le gaz et l’électricité, autant ici, au Québec, que dans le reste de l’Occident. Le gaz se fera surclasser principalement parce que l’alimentation électrique est jusqu’à 100 fois plus puissante que celle au bec de gaz. Deux ans après l’exposition de Paris, on signe un premier contrat pour de l’éclairage public à Montréal. On installe alors 16 lampadaires à arc le long des quais du port (actuel Vieux-Port).
Rapidement, les nouvelles compagnies d’électricité tentent de se tailler une place de choix dans l’obtention des contrats d’éclairage des rues des grandes villes. Elles rivalisent entre elles pour mettre sur pied leur propre réseau de distribution. Au tournant du siècle, au Québec, l’hydroélectricité s’impose naturellement grâce à l’abondance du réseau hydrographique de la province. On assiste alors à un virage technologique qui a un impact décisif sur le développement industriel du territoire québécois et sur l’exploitation des ressources forestières et minières en région. À l’éclairage et au développement industriel s’ajoute une nouvelle façon de faire en matière de transport dans les villes. Graduellement, les tramways hippomobiles seront remplacés par les tramways électriques.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, plus de 80 centrales hydroélectriques s’implantent au Québec, ce qui multiplie par cinq la production d’électricité de la Belle Province. Pendant qu’à Montréal, la Montreal Light, Heat and Power Consolidated s’impose et avale ses concurrents, en Mauricie, la Shawinigan Water and Power Company investit massivement dans les infrastructures hydroélectriques sur le Saint-Maurice pour alimenter un vaste complexe industriel à Shawinigan.



NAISSANCE D’HYDRO-QUÉBEC
Les entreprises d’électricité connaissent une période de prospérité. Si les profits sont au rendez-vous, la réputation de ces producteurs d’hydroélectricité est loin d’être positive. Au Québec, de nombreux leaders politiques, mais aussi des journalistes et des intellectuels dénoncent vigoureusement leurs pratiques abusives. On leur reproche d’imposer des tarifs excessifs, d’offrir un service plutôt médiocre, d’empocher des profits mirobolants, d’avoir de pratiques comptables douteuses et de négliger l’alimentation électrique à l’extérieur des grands centres urbains. Il semble que nos politiciens n’ont pratiquement pas de poigne sur ces industriels. Ceux-ci sont, au fil du temps, de plus en plus arrogants. Par exemple, la Montreal Light, Heat and Power refuse catégoriquement d’ouvrir ses livres malgré les demandes répétées du gouvernement et des ministres les plus influents.
Ce mépris pour nos institutions amènera le ministre Télesphore-Damien Bouchard à régler le problème en forçant la nationalisation de la Montreal Light, Heat and Power. Cependant, l’arrogante compagnie n’entend pas se laisser faire, elle riposte et lance une campagne publicitaire agressive pour dénoncer les intentions du gouvernement libéral d’Adélard Godbout. En 1944, malgré les immenses défis qu’amène la Seconde Guerre mondiale et les critiques incessantes de la Montreal Light, Heat and Power, Godbout persiste et impose son autorité pour le bien commun du Québec.

Le vendredi 14 avril 1944, après la fermeture des marchés boursiers, le gouvernement libéral vote la loi établissant la Commission hydroélectrique de Québec. La loi exproprie littéralement tous les biens meubles et immeubles servant à la production, à la transmission et à la distribution du gaz et de l’électricité de la Montreal Light, Heat and Power Consolidated et de ses filiales. La nouvelle société d’État, Hydro-Québec, prend en charge le réseau de gaz et les centrales hydroélectriques de Chambly, des Cèdres, de la Rivière-des-Prairies et de Beauharnois.

En 1944, on est encore bien loin du « Maître chez nous » du gouvernement Lesage de 1962. Le Canadien français moyen ne se sent pas maître de grand-chose. Au milieu des années 1940, les patrons sont toujours les multinationales dirigées par des anglophones d’ici ou d’ailleurs. Avec cette loi, le gouvernement Godbout vient toutefois remettre à sa place une des entreprises les plus provocantes de l’histoire du Québec et du même coup jeter les bases de ce qui deviendra le levier économique le plus puissant de la nation québécoise.
Référence
- BELLAVANCE, Claude, Histoire de la Shawinigan Water and Power 1898-1963 : formation et déclin d'un groupe industriel au Québec, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1994.
- BOLDUC, André, Clarence HOGUE et Daniel LAROUCHE, Québec, un siècle d'électricité, Montréal, Les Éditions Libre Expression, 1979.
- Histoire de l’électricité au Québec, Hydro-Québec