Notre fleuve aurait pu s’appeler le «Saint-Gaétan»: l’histoire du fleuve Saint-Laurent et de son nom

Martin Landry
Le fleuve Saint-Laurent, c’est notre géant.
Ce gigantesque cours d’eau de 1800 km a donné naissance au monde dans lequel nous vivons. C’est un point de repère naturel pour les Québécois. Il est l’élément géographique au cœur de notre civilisation. Saviez-vous qu’il aurait pu s’appeler «Saint-Gaétan» (qu'on célèbre le 7 août)? En fait, si les vents qui ont conduit Jacques Cartier en 1535 vers l’Amérique à bord de la Grande Hermine avaient soufflé un peu plus fort, il serait arrivé un peu plus tôt, et le fleuve ne porterait pas le nom de Saint-Laurent.
COMMENT EST-IL DEVENU LE SAINT-LAURENT?
Le fleuve porte le nom de Saint-Laurent parce que le navigateur français pénètre pour la première fois dans le fleuve le 10 août 1535, jour de la fête du saint Laurent de Rome. Ce saint patron des pauvres est né quelque part au troisième siècle en Aragon, dans l’Espagne d’aujourd’hui, et serait mort brûlé vivant à Rome. La chrétienneté célèbre la vie de martyr de cet homme généreux qui offrait des aumônes aux plus vulnérables, chaque année, le 10 août.
Mais Cartier ne donne pas ce nom-là au fleuve, non, il utilise plutôt le toponyme Saint-Laurent pour désigner une petite baie qu’on nomme aujourd’hui Sainte-Geneviève, tout près de Havre-Saint-Pierre. Quelques jours après avoir nommé cette baie, il entre dans le gigantesque fleuve et écrit:
Nous fusmes au dit hâble dempuis le dit jour jusque au Dimanche huitième jour d’Aoust, auquel jour appareillasmes et vinsmes querir la terre du Su vers le Cap de Rabast, [...]. Et le lendemain, le vent vint contraire; et pour ce que nous ne trouvâmes nul hâble à la dite terre du Su, fismes porter vers le Nort outre le précédent hâble d’environ dix lieues, où trouvasmes une fort belle et grande bay pleine d’Isles [...]. Nous nommasmes la dite baye La Baye Saint Laurent.

Le nom Saint-Laurent ne s’est donc pas appliqué au fleuve à l’époque de Cartier. Au fil du temps, il s’appellera «Grande rivière de Canada», «Grand fleuve de Chelogua», «Chemin de Canada» ou pour le navigateur anglais Humphrey Gilbert, «[...] the great river called S. Laurence in Canada». Il faut attendre 1604 pour que Samuel de Champlain fixe sans trop le savoir la toponymie du grand cours d’eau à travers ses cartes et ses écrits. Le fondateur de Québec désigne le fleuve en l’appelant «Grande riviere de sainct Laurens», mais aussi «Fleuve sainct Laurens». C’est cette dernière désignation qui s’imposera doucement au cours du 17e siècle.

LE FLEUVE PAR SEGMENT
Aux premières heures de la colonisation française, on a donné des noms spécifiques à des sections du fleuve. L’explorateur français Jean-François de La Rocque de Roberval, qui tente d’établir une colonie dans le fleuve en 1542-1543, va nommer «France Prime» le segment du fleuve entre la ville de Cap-Rouge et l’île d’Orléans, en l’honneur de François 1er. Particulier, non?

Aux 17e et 18e siècles, les segments du gigantesque cours d’eau entre les lacs Ontario et Saint-François ont parfois été identifiés sur les cartes sous les noms de «Rivière de Cataracoui» et de «Rivière des Iroquois». Aujourd’hui, le gouvernement fédéral le désigne officiellement par deux noms: fleuve Saint-Laurent et St. Lawrence River.
Évidemment, l’histoire de notre fleuve n’a pas commencé par l’arrivée des Européens. Les Premières Nations naviguaient et vivaient sur les berges du géant 10 000 ans avant la visite de Jacques Cartier. On ne connaît pas tous les noms que ces nations lui donnaient, mais on sait que les Innus l’appellent «Wepistukujaw Sipo», les Abénaquis «Moliantegok» et les Mohawks «Roiatatokenti» ou «Raoteniateara».
Peu importe le nom qu’on lui donne ou qu’on lui donnait, les plus grands voyageurs qui l’ont traversé s’entendent presque tous pour dire qu’il est l’un des plus beaux fleuves du monde.
