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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Des vestiges de la Guerre froide en pleine forêt

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Photo portrait de Mathieu-Robert Sauvé

Mathieu-Robert Sauvé

2023-06-10T23:00:00Z
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À 135 km à peine à l’est de la ville de Clova, actuellement menacée par les feux de forêt, se trouve un impressionnant vestige de la Guerre froide : une immense piste d’atterrissage datant de 1953, capable d’accueillir des B-52 américains. Elle s’étend en pleine zone forestière de Haute-Mauricie.

• À lire aussi: Clova a vu des soldats allemands défiler: le village de Haute-Mauricie résiste au temps et aux flammes

« Cette piste faisait partie d’un système de défense canado-américain appelé la ligne Pinetree, qui comprenait 52 stations de radar d’un bout à l’autre du Canada », explique l’historien militaire Michel Litalien.

La ligne Pinetree telle que représentée en 1960
La ligne Pinetree telle que représentée en 1960 Illustration fournie par Mathieu-Robert Sauvé

L’élaboration de ce système de défense date de l’époque de l’après-guerre, à un moment où les tensions entre les Américains et les Russes de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) sont au maximum. Ce qu’on a appelé la Guerre froide opposait le bloc de l’Ouest, formé des États-Unis et leurs alliés, à celui de l’Est, formé de l’URSS et des États satellites.

Craignant une attaque venant du Nord, les États-Unis ont obtenu la collaboration du Canada pour un projet ultra-secret : installer un système de détection des activités militaires ennemies provenant non pas des océans, mais du Grand Nord.

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33 bases

La ligne Pinetree était un réseau de 33 stations radars installées le long du 49e parallèle entre Holberg, en Colombie-Britannique, et Saint-Jean, à Terre-Neuve. Sept de ces stations radars ont été construites au Québec.

« Les bâtiments du mont Radar sont encore en bon état, même si le toit du bunker principal coule », explique Chantal Deschênes, qui travaille à la base de plein air Domaine du Radar, un terrain de camping de Saint-Sylvestre, au sud de Lévis.

Chaque année, des visites guidées sont organisées pour permettre au public de découvrir cette ancienne base militaire. Baptisée du nom du village où elle se trouve, elle a compté à un moment jusqu’à 2500 personnes, qui y vivaient en permanence.

Les bâtiments de ces bases militaires, qui entourent les installations, étaient « de véritables mini communautés » qui devaient être totalement autosuffisantes, peut-on lire sur le site du Regroupement d’informations sur les vestiges oubliés du Québec.

Ces mini villages comptaient écoles, salles communautaires et même une piscine, une allée de quilles. Sans compter les garages, le système d’eau courante et d’électricité pour les habitations.

Démantelées en 1964

En fait, les systèmes de défense de la ligne Pinetree n’ont jamais servi. Plus modernes et plus efficaces, les radars de la « Mid-Canada Line » et de la « DEW Line », établis jusqu’au cercle polaire, les remplaceront peu à peu.

Les installations de la ligne Pinetree ont été démantelées dans les années 1960. Mais de nombreux bâtiments sont encore en place.

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L’entretien de ces vestiges d’une époque révolue pose d’ailleurs des problèmes, car plusieurs sont situés sur des terrains privés.

Des explorateurs de Haute-Mauricie ont par exemple découvert, dans les environs de la piste de Casey, des puits désaffectés autour de l’ancienne tour de contrôle. 

Stations radars de la ligne Pinetree au Québec

La base de radar de Casey, en Haute-Mauricie, dans les années 1950. Elle faisait partie de la ligne Pinetree, mise sur pied pour surveiller les activités militaires soviétiques.
La base de radar de Casey, en Haute-Mauricie, dans les années 1950. Elle faisait partie de la ligne Pinetree, mise sur pied pour surveiller les activités militaires soviétiques. Photo fournie par RIVOQ

Senneterre : Située à 70 km au nord de Val-d’Or. Mise en service en 1953. Elle a été le centre de commandement alternatif d’une éventuelle attaque nucléaire. Mise hors service en 1988.

Chibougamau : Mise en activité en 1962. Modifiée un an plus tard pour contribuer aux nouvelles technologies d’imagerie aérienne. Mise hors service en 1988.

St-Denis : Mise en service en 1952. La station a changé plusieurs fois de noms et de vocations. Elle a été base radar, base d’entraînement pour les contrôleurs d’avions de chasse et école de formation. Mise hors service en 1985.

Parent (Casey) : Entrée en fonction en 1953. Elle fut modifiée 10 ans plus tard pour contribuer aux technologies d’imagerie aérienne, mais fut rapidement considérée comme inutile, car d’autres stations plus modernes couvraient déjà son secteur. Mise hors service en 1964.

Apica : Mise en service en 1952. Elle compta à un moment environ 500 officiers en service. Sa fermeture fut forcée en 1990. Le radar météorologique de la station est encore entretenu par Environnement Canada. Son village militaire, lui, a été démoli.

Saint-Sylvestre : Mise en service en 1953. Cette station est plus au sud que les autres de la ligne Pinetree afin de couvrir une partie de la côte est des États-Unis. Mise hors service en 1964.

Moisie : Mise en service en 1953. Elle fut plutôt utilisée pour la recherche et le sauvetage. Mise hors service en 1988.

Source : Regroupement d’informations sur les Vestiges Oubliés du Québec rivoq.ca/pinetreeline 

Casey, la piste secrète des contrebandiers 

La piste de Casey, en Haute-Mauricie, date de 1953. Elle a été abandonnée officiellement en 1964, mais demeure utilisable.
La piste de Casey, en Haute-Mauricie, date de 1953. Elle a été abandonnée officiellement en 1964, mais demeure utilisable. Photo fournie par pilotes.quebec

Toujours utilisée de nos jours par des pilotes d’avion privés, la piste de Casey a connu son heure de gloire quand le trafiquant de cocaïne Raymond Boulanger a tenté d’y livrer la plus importante cargaison de drogue de l’histoire canadienne.

Ce sont 4000 kg de cocaïne en provenance de la Colombie que l’avion Convair transporte dans sa soute. Six personnes seront arrêtées dans cette affaire, dont trois fuyards transis retrouvés dans les bois. Raymond Boulanger écope d’une peine de 23 ans de pénitencier.

Le pilote fera parler de lui en raison d’un clin d’œil qu’il lance au photographe de La Presse, Robert Nadon, à son arrestation pour les deux évasions qu’il réalise au cours de sa sentence. 

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