Retour en arrière: la plus grande croissance démographique du Canada n'a pas lieu en 2022

Mathieu-Robert Sauvé
En 2022, la population canadienne a augmenté d’un million d’habitants ; un bond historique de 2,7 %. La dernière hausse comparable (+3,3 %) remonte à 1957. Ce boom démographique est dû à la natalité, mais aussi à l’exode massif des Hongrois qui ont fui l’invasion de leur pays par les Russes.

«Les Hongrois ont vu les tanks de l’Union soviétique envahir leur pays et une bonne partie de la population a pris le chemin de l’exil. Des milliers d’entre eux sont venus se réfugier au Canada», explique Michel Orban, le curé de l’église Notre-Dame-des-Hongrois, située à deux pas du parc Jarry, dans le quartier Villeray, à Montréal.
En faisant visiter le lieu de culte fréquenté par une partie des 5000 Montréalais d’origine hongroise, le jésuite montre des photos d’époque où on voit des foules déambuler dans le quartier à l’occasion de fêtes nationales. «Les Hongrois aiment bien la fête», résume-t-il.
Soulèvement anti-russe
C’est à l’occasion d’un soulèvement d’étudiants à l’automne 1957 que les Hongrois ont manifesté leur opposition au joug communiste. Les protestations se sont rapidement répandues dans tout le pays, s’amplifiant de jour en jour. Mais Moscou n’allait pas laisser ce vent de liberté gonfler. Le 25 octobre, les chars d’assaut de l’Armée rouge entraient dans Budapest. L’insurrection durera un peu plus de deux semaines et sera réprimée dans le sang: 2500 Hongrois et 700 Soviétiques ont péri, sans compter les blessés. Dans les mois suivants, pas moins de 200 000 Hongrois ont fui vers l’Occident en tant que réfugiés.
Pour les Hongrois, l’invasion de l’Ukraine rappelle le triste souvenir des événements de 1956. «Les gens sont solidaires des Ukrainiens, même si la Hongrie tente de rester neutre dans le conflit qui se déroule près de ses frontières», commente M. Orban.
Moment historique
Professeur au Département de démographie de l’Université de Montréal, Alain Gagnon qualifie cette vague de «moment historique» dans la démographie canadienne. «Les courbes montrent une hausse de l’immigration qui passe de 40 000 personnes en 1956 à environ 55 000 l’année suivante et l’exode hongrois y contribue grandement», explique-t-il. Environ 37 500 Hongrois, au total, déposeront leurs valises au Canada.
Dans son cours «Immigration et intégration», il parle de l’arrivée d’environ 9000 ressortissants hongrois à majorité catholique qui seront accueillis à bras ouverts par la population québécoise. Environ 7000 vivront à Montréal, mais 2000 demeureront dans la Vieille Capitale et les alentours.
«On est en pleine guerre froide et l’Occident se fait un point d’honneur d’accueillir les exilés du bloc de l’Est», résume M. Gagnon, qui a retrouvé des photos d’une foule acclamant l’arrivée de Hongrois dans le port de Québec.
Monument souvenir
Michel Orban est fier de l’église Notre-Dame-des-Hongrois, qui a été consacrée par le cardinal Paul-Émile Léger le 11 août 1963.
Ce bâtiment symbolise à ses yeux l’intégration de la communauté hongroise à Montréal. «Imaginez. Elle avait construit son église six ans après son arrivée en terre canadienne!»
C’est dans cette église qu’il a lui-même été ordonné prêtre en 2000. Il a vécu en Europe et en Amérique latine avant de revenir à Montréal pour occuper le poste de curé de la paroisse.
Un monument hommage en souvenir des événements de 1956 a été érigé par la suite. Il reproduit la carte du pays et une épée de métal est déposée sur une croix en béton.
Aujourd’hui, en plus des messes et cérémonies religieuses qui y sont célébrées en trois langues (français, anglais, hongrois), l’église Notre-Dame-des-Hongrois est le centre de multiples activités culturelles.
On y trouve depuis 1985 un centre des jeunes où se tiennent les rencontres des groupes scouts et des spectacles de danse folklorique, notamment.
Catholiques, protestants et juifs
Les catholiques forment le plus gros contingent de Québécois d’origine hongroise, mais une bonne partie d’entre eux sont de confession protestante. À Montréal, l’église unie hongroise a d’ailleurs été fondée en 1926, deux ans avant la paroisse catholique.
Les Hongrois d’origine juive sont également nombreux.
C’est surtout à Montréal que la communauté hongroise est concentrée. Mais on ne trouve pas de quartier hongrois formellement identifié.
837 M$ d’importations
La Hongrie est encore aujourd’hui un important partenaire commercial du Canada.
Les importations avaient en 2017 une valeur de 837 M$ et les exportations de 107 M$ selon Statistique Canada.
Les produits transigés sont principalement dans les secteurs de la machinerie mécanique et électrique ainsi que le matériel de transport.
Deux Hongrois qui ont marqué le Québec
DENIS SZABO
Né à Budapest en 1929, Denis Szabo arrive à Montréal en 1958 où il fonde en 1960 l’École de criminologie de l’Univer-sité de Montréal et le Centre international de criminologie comparée en 1969.
Il sera très engagé dans le développement de la criminologie, tant au Québec qu’à l’international, siégeant à l’ONU, à l’UNESCO et au Conseil de l’Europe. Denis Szabo meurt à Magog le 13 octobre 2018.
GABOR SZILASI

Fils d’une famille juive de Budapest persécutée par les nazis – sa mère meurt dans un camp en 1944 –, Gabor Szilasi survit à la Seconde Guerre mondiale et apprend le français à l’Alliance française. En 1956, il documente le soulèvement hongrois avec un appareil photo acquis en 1952. Quand la violence éclate, il fuit par l’Autriche et gagne le Canada en 1958. Installé à Montréal l’année suivante, il deviendra l’un des photographes les plus influents de sa génération. Il enseignera notamment à l’Université Concordia. Lauréat du prix Paul-Émile Borduas en 2009, il est aujourd’hui âgé de 95 ans.
3 vagues d’immigration
Les Hongrois qui ont mis le cap vers le Canada au cours du 20e siècle sont arrivés en trois grandes vagues.
1. LA CRISE ÉCONOMIQUE DE 1929
Aux prises avec un haut taux de chômage, les Hongrois fuient vers l’Occident pour trouver de meilleures conditions de vie.
2. LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Après la défaite allemande, la Hongrie perd les deux tiers de son territoire. C’est un dur coup qui pousse une partie de la population à l’exil.
3. L’INSURRECTION RÉPRIMÉE DE 1957
Des milliers de Hongrois trouveront refuge au Canada, mais aussi en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, entre autres.