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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Montgolfier, seigneur de l’île de Montréal et homme d’affaires

Le sulpicien entre Rome, Paris et Londres

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Photo portrait de Normand Lester

Normand Lester

2024-08-10T11:00:00Z
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La Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice obtient la seigneurie de l'île de Montréal en 1663. Étienne Montgolfier, l’oncle des frères Joseph-Michel et Jacques-Étienne Montgolfier, les inventeurs du ballon à air chaud, était en 1763 supérieur des Sulpiciens, seigneur de Montréal et évêque de Québec lorsque la France céda le Canada à la Grande-Bretagne.

Arrivé à Montréal en 1751, il obtient rapidement la reconnaissance de ses pairs et est nommé supérieur des Sulpiciens en 1759, date de la prise de Québec par les Anglais.

Après la cession du Canada à la Grande-Bretagne (1763), Montgolfier se rend en France et en Angleterre pour assurer aux Sulpiciens de Montréal la jouissance de leurs biens, obtenant que leurs confrères français s’en départissent en leur faveur.

À Londres, il explique aux Anglais, qui avaient interdit les congrégations religieuses masculines dans la colonie, que sa compagnie n'était pas une congrégation, mais bien une association de prêtres assurant le ministère paroissial. Londres accepta ses arguments à condition que les sulpiciens rompent tout lien avec la France.

Étienne Montgolfier
Étienne Montgolfier Domaine public, Wikimedia Commons

Montgolfier évêque de Québec: pas question!

Choisi par le Saint-Siège pour succéder à Mgr de Pontbriand, décédé en 1760, au siège épiscopal de Québec, personne ne s’y oppose à Paris et à Londres. Mais le gouverneur général du Canada, James Murray, y oppose un refus catégorique.

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Montgolfier avait soulevé l’ire de Murray en invitant par écrit le récollet apostat Jean-Michel Houdin à quitter sa femme, à faire pénitence et à réintégrer l’Église catholique (voir ci-dessous). Houdin s’était empressé d’en avertir Murray, qui lui en voulait aussi pour avoir refusé l’inhumation de soldats protestants dans un cimetière catholique.

Dans une lettre à Lord Shelburne, proche de George III, Murray écrit au sujet de Montgolfier:

«Il a poussé les choses au point de faire déterrer les cadavres de plusieurs soldats parce qu’étant hérétiques, ils ne devaient pas être enterrés dans une terre bénite. [...] Si un prêtre si hautain et impérieux bien connu en France est placé à la tête de cette église, il peut plus tard causer beaucoup de désagrément s’il trouve une occasion favorable d’exercer sa malice et sa rancune.»

Après avoir été informé que Murray favorise la candidature de Jean-Olivier Briand, il remet sa démission. Briand prête serment au roi d’Angleterre comme surintendant de l'Église romaine au Canada. Les Anglais lui refusent le titre d'évêque de Québec.

En échange du maintien de leur compagnie sous le régime anglais, les sulpiciens vont prêcher la soumission à la Couronne britannique. Ils contribueront même à faire élever à Montréal le premier monument de tout l’Empire britannique à la gloire de l’amiral Nelson pour avoir infligé à Trafalgar une humiliante défaite à Napoléon et à sa France impie.

Les sulpiciens sont des hommes de Dieu... et des hommes d’affaires. Ils interdisent sur l’île de Montréal la possession de moulins à vent nécessaires à la fabrication de la farine, dont ils ont le monopole, et poursuivent en justice ceux qui tentent de s’affranchir de cette interdiction.

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Le Séminaire de Saint-Sulpice, le plus vieil édifice de Montréal – 1684
Le Séminaire de Saint-Sulpice, le plus vieil édifice de Montréal – 1684 Répertoire du patrimoine culturel, Andréane Beloin 2019

Catholiques d’ici tolérés comme en Angleterre

La Proclamation royale de 1763 avait autorisé la pratique de la religion catholique au Canada dans les mêmes limites qu’en Grande-Bretagne.

Mais pour s’assurer de la fidélité des Canadiens, alors que la révolte gronde dans les treize colonies, l’Acte de Québec de 1774 reconnaît le libre exercice de la religion catholique, redonne à l'Église le pouvoir d'imposer la dîme et rétablit les lois civiles françaises. Ces concessions accordées aux «papistes» soulèvent la colère des marchands nouvellement arrivés des colonies américaines. Ils vandalisent le buste de George III de la place d'Armes à Montréal, inscrivant sur sa base «Voici le pape du Canada et l'idiot d'Angleterre». L’Acte de Québec sera l'un des catalyseurs de la révolution américaine.

Lors de l'invasion américaine, Briand et Montgolfier prêchent la loyauté à la Couronne britannique. On refuse les sacrements aux Canadiens qui manifestent des sympathies aux envahisseurs. Lorsqu’ils se retirent en 1776, un Te Deum est chanté dans toutes les églises. Durant les troubles de 1837-1838, les sulpiciens appuieront la répression des Patriotes.

Montgolfier a su habilement diriger la seigneurie de Montréal et sa communauté religieuse dans des circonstances difficiles, alors que la colonie transitait sous domination britannique. Il a joué un rôle clé dans la préservation au Canada de la religion catholique, de la culture française... et des intérêts économiques des sulpiciens.

On proposa une nouvelle fois l’épiscopat à Montgolfier en 1784, qu’il refusa à cause de son âge avancé. Il meurt à Montréal le 27 août 1791. Il est l’auteur d’une biographie de Marguerite Bourgeoys, qui sera publiée après sa mort.

Carte de Montréal et de ses environs, 1744
Carte de Montréal et de ses environs, 1744 Archives de la Ville de Montréal

Le récollet au service des Anglais

Curé de Trois-Rivières, le récollet Jean-Michel Houdin abandonne la bure en 1744 pour s’enfuir avec sa maîtresse, la veuve Catherine Thunay, chez les huguenots de Nouvelle-Angleterre.

L’apostat est reçu membre de l’Église d’Angleterre à New York en 1749 et devient pasteur anglican. Aumônier militaire, il participe à la prise de Québec où il avait déjà vécu comme interprète du commandant en chef britannique, le général James Wolfe. Il est suggéré dans le Dictionnaire biographique du Canada qu’il lui aurait conseillé le débarquement de l’Anse-au-Foulon (Wolfe's Cove, pour les Anglais), qui lui permit de prendre les Français à revers et de les vaincre. En tout état de cause, ses services furent si appréciés que Wolfe lui promit une récompense, qu’il réclama après la mort du général sur les plaines d’Abraham.

Débarquement à l’Anse-au-Foulon
Débarquement à l’Anse-au-Foulon Domaine public - Wikimedia Commons

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