Olivar Asselin: le fougueux journaliste pamphlétaire à la vie tumultueuse qui a laissé sa marque sur le Québec


Normand Lester
Asselin était, au début du 20e siècle, un géant du journalisme québécois. Fervent nationaliste canadien-français, il participa aux grands débats de son époque. Ses allégeances changeantes le firent virevolter sur l’échiquier politique. Mais le bouillant polémiste fut toujours soucieux de justice sociale et du bien-être des plus démunis.
Il est né à Saint-Hilarion, dans Charlevoix, le 8 novembre 1874. Son étrange prénom est inspiré du nom du leader indépendantiste latino-américain Simón Bolívar. Il fait ses études secondaires au Séminaire de Rimouski. Enfant chétif de petite taille, son air déterminé et son admiration pour Napoléon lui valent le surnom de «petit caporal».
La mort de sa mère et l’incendie de la tannerie de son père le forcent à abandonner ses études en 1892. Comme un grand nombre de Canadiens français, les Asselin migrent en Nouvelle-Angleterre pour chercher du travail dans les filatures de coton.
Le jeune Asselin à l’intention de devenir jésuite. Mais la lecture de vieux journaux français le pousse vers le journaliste. Pendant six ans, il travaille dans quatre journaux franco-américains. Devenu citoyen américain en 1898, il s’enrôle, mais n’a pas l’occasion de combattre dans la guerre américano-espagnole.
En 1900, Asselin s’établit à Montréal où il poursuit ses activités journalistiques. Il rencontre Henri Bourassa avec qui il participera à la fondation du Devoir en 1910.

Deux séjours en prison
Le bouillant pamphlétaire habile à manier l’ironie et le sarcasme purge une première peine de prison en 1907 pour libelle diffamatoire. La seconde fut plus spectaculaire. Durant une houleuse session parlementaire en 1909, Asselin se précipite de la tribune de la presse au parquet de l’Assemblée législative pour confronter le ministre des Travaux publics Louis-Alexandre Taschereau, au sujet d’allégations qu’il a proférées à son endroit. Asselin lui assène une gifle qui lui vaut un nouveau séjour en prison.
Furieux du conservatisme et de la suffisance du haut clergé, il s’éloigne de l’Église. Président de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1913, il se met le clergé à dos en critiquant notre système d’éducation et en laçant une campagne en faveur de l’enseignement public obligatoire qui ne le deviendra que dans les années 1940.
La conscription... pour sauver la France
La notoriété et l’influence d’Asselin sont telles qu’en 1915, le ministre de la Milice lui propose de recruter un bataillon pour le Corps expéditionnaire canadien en Europe et lui offre le grade de colonel. Il accepte la mission, mais pas le grade, ne s’estimant pas suffisamment compétent.
Le Québec se déchire au sujet de la conscription. Malgré la désapprobation des nationalistes, il recrute des volontaires canadiens-français pour former le 163e bataillon d’infanterie. Pour se justifier, il dit aller se battre pour sauver la France.
Une fois en Angleterre, le 163e bataillon est rapidement dispersé pour renforcer d’autres unités décimées par les combats. Transféré au 22e Bataillon (futur Royal 22e Régiment), Asselin s’illustre aux batailles de la crête de Vimy et d’Acheville. La France lui accordera la Légion d’honneur.
Il participe à titre de conseiller de la délégation canadienne à la Conférence de paix de Paris, qui mènera au Traité de Versailles de juin 1919.
Lorsqu’Asselin rentre au Canada, le pays est toujours fracturé par la crise de la conscription. Sa participation active au recrutement lui ferme bien des portes. Pour faire vivre sa famille, il devient publiciste dans une firme de courtiers en placements.

Un pamphlétaire humanitaire
Durant toute sa vie, Olivar Asselin se dévoue pour les pauvres et les laissés-pour-compte de la société. Membre de la Société de Saint-Vincent de Paul, il prend, en 1925, la direction du Refuge Notre-Dame-de-la-Merci, qui accueille de vieux itinérants malades abandonnés. Il fait venir de France, en 1927, les Frères hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu pour prendre en main l’institution. Son artériosclérose l’oblige à démissionner.
En 1930, il se cherche du travail en pleine crise économique. L’homme qu’Asselin a giflé, le premier ministre libéral Taschereau, lui offre la direction du journal du parti, Le Canada. Les libéraux comptent sur lui pour contrer la montée du conservateur populiste Camillien Houde.
Asselin renie ce qu’il a été
Quatre ans plus tard, il quittera ce journal pour fonder son propre quotidien, L’Ordre, qui encourage le mouvement coopératif, dénonce le nazisme et le fascisme aussi bien que les abus du capitalisme. Asselin prône la restauration de l’ordre social chrétien autoritaire. Il renie ses prises de position de jeunesse comme étant le fait d’un esprit aveuglé: «Le suffrage universel est une doctrine de primaires et d’illettrés.» Il s’oppose au vote des femmes.
Il obtient de Charles Maurras, le maître de l’extrême droite en France, le droit de reprendre des articles de L’Action Française, qui prône le retour de la monarchie en France.
Le journal se vend bien jusqu’à ce que le cardinal Rodrigue Villeneuve le dénonce comme ne reflétant «ni l’esprit chrétien ni le respect dû au Saint-Siège». Condamné par l’Église, L’Ordre doit fermer. Asselin lance alors La Renaissance, qui ne publiera que quelques numéros. Il mettra fin à sa carrière de journaliste en décembre 1935.
Alors qu’Asselin est sans emploi, avec de graves problèmes financiers, le gouvernement libéral le nomme président de la Commission des pensions de vieillesse en 1936. Duplessis, élu quelques semaines plus tard, le garde à l’emploi du gouvernement à cause de son passé nationaliste.
Sa maladie s’aggrave. Sentant sa fin proche, il accepte de s’affilier à la communauté des Frères hospitaliers. Entouré de sa famille et ayant reçu les derniers sacrements, il meurt le 18 avril 1937 à 62 ans. Le fougueux journaliste aux volte-face surprenantes sera inhumé vêtu de la bure d’un Frère hospitalier de Saint-Jean-de-Dieu.
Selon sa biographe, Hélène Pelletier-Baillargeon, Asselin a dit que sa foi catholique et ses œuvres de charité lui ont procuré «les plus heureuses années de sa vie».
