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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Au cœur d’un «double jeu»: Pierre Dupuy, le diplomate canadien entre Churchill et Pétain

Le général Dwight Eisenhower avec Pierre Dupuy
Le général Dwight Eisenhower avec Pierre Dupuy Wikimedia Commons / Domaine public
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Photo portrait de Normand Lester

Normand Lester

2024-05-12T04:05:00Z
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Après la reddition de la France en 1940, Ottawa a maintenu ses relations diplomatiques avec le gouvernement de Vichy. Le premier ministre Mackenzie King considère qu’une rupture avec la France serait désastreuse pour le Canada vu les sympathies vichystes d’une partie significative des Canadiens français.

La France avait rompu ses relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne après que la Royal Navy, le 3 juillet 1940, eut attaqué la flotte française au mouillage près d’Oran et coulé plusieurs navires. Churchill craignait que les Allemands s’en emparent.

Les premiers ministres Churchill et Mackenzie-King, 1941
Les premiers ministres Churchill et Mackenzie-King, 1941 Bibliothèque et Archives Canada

À la demande de Londres, un diplomate canadien, Pierre Dupuy, est chargé de rétablir le contact entre les Anglais et les Français. Même si Ottawa a maintenu ses relations diplomatiques avec Vichy, son ambassadeur, Georges Vanier, réside à Londres.

Entre novembre 1940 et août 1941, Dupuy se rendra trois fois en France, un pays qu’il connaît bien. Il fait partie de la légation canadienne à Paris depuis la fin de ses études à la Sorbonne en 1922. Il s’est constitué au fil des ans un réseau de contacts et compte parmi ses relations plusieurs personnalités de la droite française. Pierre Dupuy connaît Philippe Pétain. Le maréchal a honoré de sa présence en 1938 une réception en l’honneur du représentant canadien en France, Philippe Roy.

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Pétain est-il secrètement probritannique?

En novembre 1940, à son départ de Londres, les Anglais donnent instruction à Dupuy de sonder l’état d’esprit de Pétain et de son entourage et de leur faire connaître la détermination de la Grande-Bretagne de poursuivre le combat. Pour Churchill, seule la victoire totale sur Hitler est acceptable.

Lorsque Dupuy rencontre le Maréchal Pétain, il trouve le chef de l’État français «fatigué et assoupi». Il écrit dans son rapport qu’il ne parvient à éveiller le vieil homme «qu’en mentionnant, à plusieurs reprises et d’une voix forte le nom du Général de Gaulle».

Charles de Gaulle parle à la BBC, 1941
Charles de Gaulle parle à la BBC, 1941 Wikimedia Commons / Domaine public

Lors d’une seconde entrevue avec Pétain, Dupuy se convainc des sympathies probritanniques du maréchal et de son entourage à l’exception de l’amiral Darlan, qui oriente Vichy vers une coopération militaire avec Hitler et Pierre Laval, l’ex-socialiste, maître d'œuvre de la politique de collaboration avec l'Allemagne nazie.

Dupuy laisse croire aux Anglais que Vichy se prépare à reprendre le combat aux côtés des Alliés. Son rapport de mission rassura le Foreign Office et contribua, à la période de détente qui suivit son séjour à Vichy. La BBC cessa ses attaques contre Pétain.

Churchill remercia le gouvernement canadien de sa coopération et se dit profondément reconnaissant du «travail magnifique» de Dupuy, ajoutant que «la liaison canadienne est inestimable et, en fait, pour le moment, notre seule ligne que nous ayons».

L’Amiral Darlan, le Maréchal Pétain et Reichsmarschall Göring, décembre 1941.
L’Amiral Darlan, le Maréchal Pétain et Reichsmarschall Göring, décembre 1941. Wikimedia Commons / Domaine public

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Lorsque Dupuy revient à Vichy, l’environnement politique a changé. L’amiral Darlan, tout en restant maître de la marine, s’est fait nommer par Pétain, vice-président du Conseil, ministre des Affaires étrangères et ministre de l’Intérieur.

Pierre Dupuy reste quand même persuadé que les Français de Vichy, parce qu’ils souhaitent une victoire britannique, jouent un «double jeu» et n’acceptent le principe d’une collaboration franco-allemande que par nécessité.

Dupuy désormais persona non grata

Grâce aux contacts qu’il a pu établir avec les services de renseignements français, Dupuy est bien informé. Il rapporte beaucoup d’informations intéressantes au Secret Intelligence Service. D’ailleurs, les Allemands le soupçonnent de servir d’intermédiaire entre les services secrets français et britanniques. Ils demandent aux Français des explications pour ses visites. La Gestapo le met sous surveillance étroite.

Ses activités clandestines n’avaient pas la caution du gouvernement vichyste. Lors de sa dernière visite à Vichy, il ne peut rencontrer Pétain à cause du veto de l’amiral Darlan.

Les Britanniques finissent par établir un bilan très négatif des visites de Dupuy à Vichy, selon les recherches de l’historien Olivier Courteaux*. Il rapporte que les remarques défavorables à son sujet se multiplient dès l’automne 1941. «Il est parvenu à établir un certain nombre de bons contacts à Vichy, mais Vichy l’a utilisé autant que nous...», écrit le sous-secrétaire du Foreign Office Cadogan. Un de ses collègues note méchamment «Dupuy est le plus insupportable des bavards. [...] Ne peut-on rien faire pour réduire ce fatiguant petit homme au silence?» 

Le contre-torpilleur français Mogador atteint par des tirs britanniques à Mers-el-Kébir, 1940
Le contre-torpilleur français Mogador atteint par des tirs britanniques à Mers-el-Kébir, 1940 Wkimedia Commons / Domaine public

À la fin de la guerre, Pierre Dupuy servit successivement en Belgique aux Pays-Bas, en Italie et en France où il représenta le Canada jusqu’à sa retraite en 1963. Il fut alors nommé commissaire général de l’Expo 67. Pierre Dupuy est décédé d’une crise cardiaque le 21 mai 1969 à sa résidence de Cannes sur la Côte d’Azur. 

* Le Canada entre Vichy et la France libre 1940-1945, Les Presses de l'Université Laval, 2015

De Gaulle appelle le Québec au secours
Moins de deux mois après son historique appel aux Français du 18 juin 1940, le 1er août, le général de Gaulle, s’adresse de Londres aux Canadiens français via la BBC.
«L’âme de la France cherche et appelle votre secours, vous Canadiens français. Votre secours, elle le cherche et l’appelle parce qu’elle vous connaît. Elle sait quelle part vous avez dans le passé, dans le peuple et dans l’État auxquels vous appartenez.»
Le Québec d’alors tenait en estime le maréchal Pétain dont la devise était Travail, Famille, Patrie.
Pierre Dupuy, Commissaire-général de l’Expo 67
Pierre Dupuy, Commissaire-général de l’Expo 67 Bibliothèque et Archives Canada

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