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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Les débuts de l’aviation au Québec : de merveilleux fous volants et leurs drôles de machines

Le comte Jacques de Lesseps
Le comte Jacques de Lesseps Wikimedia Commons / Domaine public
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Photo portrait de Normand Lester

Normand Lester

2024-07-06T11:00:00Z
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Le premier vol motorisé au Québec eut lieu pendant la semaine de l’aviation organisée à l’été de 1910 en banlieue ouest de Montréal, présentée exagérément comme le « plus grand meeting d’aviation au monde ». Durant dix jours, des pilotes rivalisent pour obtenir divers prix : vol le plus long, le plus haut, le plus rapide, etc. En 1903, les frères Orville et Wilbur Wright avaient fait le premier vol d’un avion à moteur de l’histoire à Kitty Hawk en Caroline du Nord.

Le 2 juillet 1910, le comte français Jacques de Lesseps suit les berges du Saint-Laurent, avant de tourner directement vers la ville à la hauteur de la rue McGill et du pont Victoria. Il survole le Vieux-Montréal et l’hôtel de ville avant de revenir à son point de départ à Pointe-Claire réalisant un vol de 60 kilomètres. Le son sans précédent d’un moteur bruyant dans les airs fait sortir les Montréalais dans les rues. La Gazette écrira « Les gens se sont précipités hors de leurs maisons, les magasins se sont vidés de leurs clients et de leurs commis, les tramways se sont arrêtés pour permettre à leurs passagers de voir le Français volant. » 

Le comte Jacques de Lesseps
Le comte Jacques de Lesseps Wikimedia Commons / Domaine public

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Le fils de Ferdinand de Lesseps - à qui on doit le percement du canal de Suez - est aux commandes d’un Blériot XI « Scarabée », le même modèle que lui et Louis Blériot ont utilisé pour traverser la Manche. Il est dans les airs pendant 49 minutes et 3 secondes, 12 minutes de plus que son vol au-dessus de la Manche qu’il vient tout juste de faire, le 21 mai 1910. De Lesseps devint le deuxième pilote, un an après Louis Blériot qui le 25 juillet 1909 fut le premier à franchir le pas de Calais. La manchette du Daily Mail du lendemain criait « L'Angleterre n'est plus une île ». 

Wikimedia Commons / Domaine public
Wikimedia Commons / Domaine public

Timbre - 100e anniversaire de la traversée de la Manche
Timbre - 100e anniversaire de la traversée de la Manche Wikimedia Commons / Domaine public

Après avoir servi dans l’armée de l’air française durant la Première Guerre mondiale, Jacques de Lesseps s'établit à Montréal où il fonde la Compagnie aérienne franco-canadienne (CAFC). En 1926, le Québec lui donne le contrat de réaliser la reconnaissance aérienne de la péninsule gaspésienne - qu'il fut le premier à survoler - afin de suppléer aux levés topographiques terrestres, coûteux et complexes.  Il photographia plus de 80 000 km2 du territoire de la Gaspésie une région accidentée à l'intérieur pratiquement inhabité. Le 18 octobre 1927, de Lesseps disparut en vol au-dessus du Saint-Laurent, alors qu'un épais brouillard couvrait le fleuve. Son corps, retrouvé quelques jours plus tard sur les côtes de Terre-Neuve, a été inhumé à Gaspé où une stèle rappelle sa mémoire. 

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Blériot XI “Le Scarabée” reconstruit à partir de plans originaux par un groupe de passionnés.
Blériot XI “Le Scarabée” reconstruit à partir de plans originaux par un groupe de passionnés. Musée de l’aviation de Montréal - Sainte-Anne-de-Bellevue

Blériot XI “Le Scarabée”
Blériot XI “Le Scarabée” Photo Matthew Carson - Musée de l’aviation de Montréal

Son entreprise se retrouva au centre d'une dispute constitutionnelle. Ottawa qui  revendiquait la compétence législative en matière d'aviation, exigeait que les ingénieurs et les pilotes soient sujets britanniques et que la CAFC soit constituée en vertu de lois fédérales. Son personnel technique était surtout Français.

Étonnamment, la Cour suprême du Canada trancha en faveur du Québec et de la CAFC, mais le Conseil privé de Londres - le Canada était encore une colonie britannique - infirma le jugement. La compagnie pionnière de la photographie aérienne au Québec, due cesser ses activités en 1931.

Un vol « hippomobile » à bride abattue

Image de couverture du livre publié par l’auteur disponible à pierrot.volant@gmail.com
Image de couverture du livre publié par l’auteur disponible à pierrot.volant@gmail.com Pierrot Volant

Le vol de Jacques de Lesseps ne fut pas le premier vol d’un « plus lourd que l’air » à Montréal.  Cet exploit revient à un adolescent de 14 ans, Larry Lesh, qui réalisa ici en 1907 une série de vols dans un planeur biplan de sa fabrication... tiré par un cheval au galop !  Leash se passionnait pour l’aviation depuis l’âge de dix ans. 

L’auteur Pierre Thiffault rapporte dans « Un Gamin dans le ciel - Larry Lesh » qu’il récidiva le 20 août, en faisant un vol de 24 minutes au-dessus du fleuve Saint-Laurent, tiré par une embarcation à moteur, parcourant une distance d’une dizaine de kilomètres, une première mondiale. L’envolée fut passablement mouvementée, alors que les attaches du siège se brisèrent en vol et que le planeur fut détruit durant sa récupération hors de l’eau. Lesh entama la construction d’un second planeur, plus évolué, avec lequel il réalisa une cinquantaine d’envolées tirées par un cheval à Montréal.

Le garçon, Américain d’origine, fit l’objet d’un reportage photo dans le prestigieux magazine Scientific American. Invité par l’Aeronautic Society of New York en novembre 1908, son planeur s’écrasa devant plus de 10 000 spectateurs. Larry s’y fractura la cheville.

Il fut le premier à introduire l’usage d’ailerons, en plus d’expérimenter divers autres dispositifs aéronautiques.  Il publia ses découvertes dans des magazines influents dont l’American Magazine of Aeronautics. Lesh entreprit en 1910 la construction de deux aéroplanes motorisés et devint ingénieur en aéronautique. Il est décédé en Floride le 15 décembre 1965 à 73 ans. Il fait partie des Early Birds of Aviation qui réunit ceux qui ont piloté des aéronefs au cours des treize premières années de l'aviation. En 2008, il a été intronisé au Panthéon de l'air et de l'espace du Québec.

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