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L'article provient de Bureau d'enquête

Les policiers n’étaient «pas prêts» à arrêter Normandeau

Photo d’archives, Stevens Leblanc
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Photo portrait de Annabelle Blais

Annabelle Blais

2022-05-31T18:46:59Z
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Les arrestations des anciens ministres Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté, survenues le jour même du dépôt du budget, auraient été précipitées à la demande du commissaire Robert Lafrenière alors que les enquêteurs n’étaient pas prêts.  

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L’enquêteur au dossier, Mathieu Venne en est du moins convaincu et c’est ce qu’il a déclaré au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en 2019. Le BEI enquêtait et enquête toujours sur les pratiques de l’UPAC qui a mené une chasse aux sorcières à l’interne pour découvrir qui étaient les responsables des fuites d’informations aux médias.

«On a été rushé... on n’était pas prêt... je suis qui pour faire reporter des arrestations???», a déclaré M. Venne au BEI au sujet de la préparation d’une partie du dossier JOUG, en lien avec le financement politique. Mathieu Venne était affecté, depuis 2012, à cette enquête qui visait notamment l’ancienne ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau.

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«Pas de gaieté de cœur»

En février 2015, sa chef d’équipe Geneviève Leclerc lui aurait dit que «la direction voulait que le projet atterrisse».

La semaine précédant l’arrestation des ex-ministres, en mars 2016, l’enquêteur avait discuté avec les procureurs pour demander un mois supplémentaire d’enquête avant de porter des accusations, «ce qui ne semblait pas être un problème.»

Mais trois jours plus tard, soit le lundi matin, sa chef lui apprend que les arrestations sont finalement prévues dans deux semaines. «Dans la même journée, le plan change pour une semaine pour finalement se faire dire que l’opération aura lieu ce jeudi», peut-on lire dans le résumé de sa rencontre avec le BEI.

«L’argumentaire de Geneviève Leclerc était à l’effet que les chefs étaient prêts et qu’il y avait urgence d’agir, poursuit le résumé. Venne déclare que l’expression faciale de Leclerc [...] démontrait bien que cette demande ne se faisait pas de gaieté de cœur.» Selon M. Venne, la décision fut prise «au-dessus» de la chef d’équipe.

L’enquêteur dit avoir dû tout mettre de côté pour se consacrer aux préparatifs de l’opération. Ce n’est que la veille, alors qu’il était à Québec pour obtenir les mandats d’arrestation, qu’il apprend que la date des arrestations tombe le même jour que le dépôt du budget du gouvernement.

L’opération policière a bien évidemment eu l’effet d’une bombe et éclipsé les annonces du ministre des Finances Carlos Leitao.

«Je te dois une bière»

L’enquêteur Venne se rappelle aussi avoir rencontré le commissaire Lafrenière au Nautilus où s’entraînent plusieurs policiers de l’UPAC «bien avant le 17 mars 2016» et l’arrestation de Nathalie Normandeau.

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Alors que les deux hommes se trouvaient dans le vestiaire, le commissaire lui aurait dit: «Ça s’en vient-tu ton dossier, Ça va tu accouché [...] si ça peut aller vite, je te paye une bière». Lafrenière aurait alors tenu promesse en lui payant une bière au club de golf de Longueuil, en février 2017.

«Je te dois une bière, je te la paye», lui aurait dit Lafrenière.

«Agenda caché»

M. Lafrenière a toujours affirmé que les arrestations en plein jour de budget n’étaient qu’une coïncidence. 

M. Venne croit plutôt, selon ses propos rapportés par le BEI, que le commissaire avait un «agenda caché» et dit être «convaincu» que le devancement des arrestations est la «responsabilité du commissaire».

Il soutient aussi qu’une enquêtrice dans le dossier GRAVIER sur la ville de Mascouche a reçu «des pressions directement du commissaire pour que ça avance et qu’il y ait des arrestations». L’enquêtrice aurait refusé et aurait été tassée, selon Venne.

Dans une autre enquête, MEDIATORE, visant des stratagèmes de corruption à Terrebonne, cette fois, Venne affirme que sa collègue lui a confié que le commissaire Lafrenière avait demandé à devancer le dossier en plus d’ajouter des éléments qui auraient favorisé le renouvellement de son mandat. 

«Le but c’est pour les crédits – bien paraître... c’est tout au-dessus de nos têtes... quand tu regardes les arrestations du 17 [mars] tu te dis... on les lit les journaux aussi... On est juste des pions sur un échiquier...» peut-on lire dans le résumé de son entretien.

Les études des crédits ont toujours lieu chaque année au printemps. C’est l’occasion pour les ministres, les sociétés d’État et même l’UPAC de venir rendre compte de leurs activités devant les parlementaires qui peuvent les questionner sur leur bilan.

Dans les jours suivants, l’arrestation de Mme Normandeau, le commissaire Lafrenière s’était défendu d’avoir réalisé un coup d’éclat afin que le gouvernement libéral renouvelle son mandat qui arrivait effectivement à terme le 1er avril 2016, soit deux semaines après les arrestations. Hasard ou non, le commissaire a été reconduit dans ses fonctions quelques jours plus tard. 

Ces éléments de l’enquête Serment ont été présentés sous serment en 2020 au juge André Perreault, qui s’en est servi pour déclarer l’arrêt des procédures dans les dossiers de Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté. Aucune arrestation n’a été effectuée à ce jour dans l’enquête Serment.

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