Enquête publique Carpentier: une alerte Amber «qui n’a pas donné grand-chose»
Le coroner Luc Malouin s’est fait cette réflexion en analysant le processus ayant mené au déclenchement de l’alerte 18 heures après la disparition de Norah et Romy

Pierre-Paul Biron
Déclenchée à 15h le 9 juillet, soit 18 heures après la disparition de Norah et Romy Carpentier et environ au même moment où leur père prenait leur vie, l’alerte Amber n’aura finalement «pas donné grand-chose», a souligné le coroner Luc Malouin à la reprise de l’enquête publique lundi.
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Avec ce que l’on sait aujourd’hui, notamment le moment approximatif du décès des fillettes, les délais avant de médiatiser la disparition de Norah et Romy ont fait en sorte que l’alerte n’avait que peu de chance de porter fruit.
«Ma lecture, et je suis très transparent dans cette enquête, c’est que l’alerte Amber n’a pas donné grand-chose», a analysé le coroner Luc Malouin lundi matin.
Évidemment, les ratés de communications expliqués la semaine dernière et ayant mené à une mauvaise analyse du risque que couraient les enfants auront mis du plomb dans l’aile de l’alerte. En fin de compte, l’alerte aurait pu être remplacée par un avis aux médias tôt le matin du 9 juillet, a convenu le policier.

«Je ne peux effectivement pas dire non à ça. [...] C’est une autre alternative qu’on a», a affirmé Marc Lépine, qui était responsable de la décision de lancer ou non une alerte lorsqu’on lui a demandé si le simple avis aux médias aurait pu être une option.
Cette alternative, contrairement à l’alerte Amber, ne vient pas avec des critères à remplir pour permettre la diffusion (voir encadré ci-bas).
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Message trop long
Entre la décision de l’état-major de déclencher l’alerte Amber à 13h20 et sa publication à 14h51, il se sera écoulé un total de 1h30. Ce délai a servi, selon les témoins entendus lundi, à la collecte d’information et à la rédaction de l’avis.
Et 32 minutes supplémentaires ont été nécessaires pour l’envoi de «l’alerte intrusive» sur les téléphones mobiles et téléviseur en raison d’une erreur sur la longueur de l’avis envoyé au service gouvernemental. Ce dernier accepte des messages de 300 caractères maximum dans chacune des langues et celui envoyé par la SQ était trop long.
«Je n’avais pas cette information-là», a confié Benoit Richard, responsable de la rédaction ce jour-là à la Sûreté du Québec.
L’analyse du risque, encore
Largement abordée lors des premières journées d’audience, la question de l’analyse du risque que représentait Martin Carpentier est encore revenue dans les discussions lundi.
Le capitaine Lépine a confié qu’à son premier contact avec l’enquête à 11h35 le matin du 9 juillet, on l'a informé lui aussi que Carpentier était un bon père aimant qui avait même une bonne relation avec son ex.
«On ne vous parle pas d’autres personnes qui ont une vision différente?» l’a questionné le coroner Luc Malouin, faisant allusion au conjoint de la mère et à un ami de Carpentier qui ont signé des déclarations faisant état d’inquiétudes la veille, ce à quoi le policier a répondu par la négative.

«Eh ben...», s’est contenté de rétorquer le coroner, cachant encore une fois bien mal son étonnement face à ce fait qui a visiblement désaligné l’enquête dès les premières heures.
Même chose dans le cas du capitaine Martin Robert, entré dans l’enquête à 11h30 le matin du 9 juillet et qui a confié qu’on lui avait mentionné à 11h55 que Carpentier n’allait peut-être pas bien. Pourtant, l’enquêtrice Annie Thériault avait témoigné la semaine dernière que le drapeau rouge avait été levé vers 10h30 après une discussion avec le nouveau conjoint de la mère des petites.
«Comment vous expliquez que ça prenne une heure et demie pour qu’on vous dise qu’il y a un problème? [...] Est-ce qu’on n’aurait pas dû être proactifs et vous appeler?» a questionné le coroner Malouin.
L’alerte Amber de minute en minute
8 juillet 2020
21h20
- Accident impliquant la voiture de Martin Carpentier sur l’autoroute 20.
Entre 22h et minuit
- Des patrouilleurs prennent les déclarations de la mère des fillettes, Amélie Lemieux, de son conjoint et d’un collègue de Martin Carpentier. Les deux derniers font état de craintes, de l’état dépressif du père, tandis que la mère dit qu’il est un bon père.
9 juillet 2020
10h08
- Une coordonnatrice en disparition et enlèvement est mobilisée sur le dossier. L’inquiétude grimpe, mais les critères de l'alerte Amber ne sont pas remplis.
11h30
- Un responsable du déclenchement d’alerte, Marc Lépine, est appelé au dossier.
11h35
- Le premier officier à lui faire un topo parle «d’un bon père», «pas violent». Le critère «d’intention criminelle» n’est pas rempli.
12h45
- Début d’une conférence téléphonique entre les différents officiers attitrés à l’enquête.
13h20
- La décision de lancer l’alerte est prise et la commande est envoyée aux communications de la SQ.
13h30 à 13h50
- Le responsable de la rédaction reçoit les premières informations et entreprend la rédaction de l’avis.
14h30
- Les dernières informations sont récoltées et l’autorisation de diffusion est accordée.
14h51
- Envoi de l’alerte aux médias et aux autres partenaires de la SQ, dont le Centre des opérations gouvernementales, qui s’occupe de la plateforme Québec en alerte, qui diffuse «l’alerte intrusive» sur les téléphones mobiles, la télé et la radio.
15h23
- Diffusion de l’alerte intrusive. Le délai de 32 minutes s’explique par un problème de longueur de message. Ce dernier contient trop de mots pour la plateforme et doit être modifié.
Les trois critères à remplir pour déclencher l’alerte Amber
- L’intention criminelle - Un enlèvement est-il prouvé?
- L’intégrité des personnes impliquées – Y a-t-il un risque de blessures graves ou de décès?
- Identification – Identité des personnes impliquées et véhicule ou moyen de transport identifiable
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