Mort des fillettes Carpentier: un enquêteur apprend l’existence de deux déclarations clés deux ans et demi plus tard


Pierre-Paul Biron
Le premier enquêteur à s'être occupé du dossier Carpentier a confié mardi ne pas avoir reçu l’ensemble des déclarations prises par les patrouilleurs sur place à son arrivée. Deux de ces déclarations mentionnaient l’état dépressif du père et sa crainte de perdre la garde de ses filles, une information pourtant primordiale.
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L’enquêteur Kevin Camiré a confirmé ne pas avoir eu en main les déclarations du conjoint d’Amélie Lemieux ni de Keven Lemieux, un ami de Martin Carpentier venu sur les lieux de l’accident en soirée.
Or, ce sont ces deux personnes qui avaient été les plus incisives sur l’état dépressif de Carpentier, son ami admettant même lui avoir demandé s’il songeait au suicide dans les semaines précédentes. De son côté, Alexandre Pelletier, le nouveau conjoint de la mère, avait rapidement évoqué une alerte Amber en raison d’une possible situation d’enlèvement avec le patrouilleur qui l’a interrogé.
«Les seules déclarations que j’avais à ce moment sont celles d’Amélie Lemieux et [d’une automobiliste témoin de l’accident]», a indiqué l’enquêteur Camiré.
Information clé
Pire encore, le policier a affirmé avoir appris l’existence de ces deux déclarations à l’enquête publique, mardi, lors du témoignage du patrouilleur Vincent Poirier. Plus de deux ans et demi après les événements.
Questionné par l’avocat de la famille sur cette situation, M. Camiré a admis qu’il s’agissait d’une situation inhabituelle.
«J’ai été surpris. [...] Normalement je devrais avoir accès à l’ensemble des déclarations», a-t-il affirmé, précisant que les documents se passent «de main à main» sur les lieux d’une enquête. «Normalement, c’est remis au chef d’équipe ou directement à l’enquêteur», a-t-il précisé.
Les informations dans ces déclarations étaient toutefois primordiales, abordant l’état instable de Carpentier et de l’importance d’une alerte Amber rapide.
«Personne ne m’a parlé d’Alerte Amber durant la nuit», a ajouté le policier.
Le policier Camiré a finalement discuté avec Alexandre Pelletier le matin du 9 juillet «entre 8h40 et 10h», soit plus de cinq heures après sa prise en charge de l’enquête. Le conjoint d’Amélie Lemieux a alors réitéré sa demande pour une alerte Amber.
L’alerte avait finalement été déclenchée en après-midi le 9 juillet et représentait le premier avis fait aux médias par les autorités du drame qui se jouait.
Pas de chance pour le maître-chien
Plus tôt mardi, le premier maître-chien appelé dans les minutes suivant l’accident a témoigné que l’état de la scène «complètement pillassé» par les premiers secours ne lui avait laissé aucune chance.
«Si j’avais été le premier sur place, il n’y aurait pas eu de contamination. Et, sachant qu’on a trois personnes qui marchent, imaginez l’autoroute d’odeurs», a imagé Stéphane Ranger pour expliquer à quel point tout aurait pu être différent.
Mais en même temps, il est impossible d’en vouloir aux premiers répondants arrivés sur place, soit une quinzaine de policiers et de pompiers.
«Je ne peux pas leur reprocher d’avoir voulu sauver des vies, mais je n’avais jamais vu ça. Juste quatre personnes, ça peut être assez pour me scrapper une scène», a exposé Stéphane Ranger à propos du niveau de contamination de la scène d’accident qui ne lui laissait aucune piste à explorer.
L’agent a décrit au coroner Luc Malouin comment se déroule une opération canine de recherches et a insisté pour déconstruire les croyances populaires.
«Oubliez ce que vous voyez à la télé», a lancé d’entrée de jeu M. Ranger. «On ne fait pas sentir le divan sur lequel le gars est assis et le chien part. Quand on fait du pistage, il faut que le secteur soit protégé. C’est ça qui fait que si le chien trouve une trace, il va se braquer et on va partir.»
«On ne peut pas faire de pistage dans une zone contaminée comme ça, le chien va être dans les nuages», a souligné le policier.
Manque de collaboration d’un hôpital?
Soulevé dans le rapport initial de la coroner Sophie Régnière, le manque de collaboration d’un centre hospitalier dans les premières heures de la disparition des fillettes et de Martin Carpentier a refait surface mercredi durant le témoignage du maître-chien Stéphane Ranger.
Le policier a expliqué qu’un centre hospitalier s’était réfugié derrière le secret médical pour refuser d’indiquer si Carpentier et ses filles étaient sur place, ce qui laissait croire qu’ils y étaient.
«Normalement, moi, quand je finis, je ferme toutes les portes. Et quand on me dit qu’un hôpital ne collabore pas, je me dis que c’est parce qu’ils sont là», a indiqué l’agent Ranger, révolté par une telle situation.
«Je ne peux pas croire que quelqu’un à l’hôpital aurait pris la décision de ne pas nous donner une information qui aurait pu nous aider», a-t-il martelé. «Tu t’exposes à quoi à collaborer avec la police?»
Impact important, mais pas de vitesse excessive
Autre témoin entendu mardi, le reconstitutionniste de la Sûreté du Québec en charge d’enquêter sur l’embardée de Martin Carpentier qui a mené à sa fuite vers les bois établit que la sortie de route n’est pas survenue à une vitesse excessive et ne représente pas une scène compliquée. Mais il est impossible pour cet expert d’établir si l’accident découle d’un geste volontaire ou non.
«Ce qui se passe dans la tête du conducteur, ce n’est pas mon expertise», a insisté l’enquêteur Martin Lessard, reconstitutionniste à la SQ depuis cinq ans.
Selon ses conclusions, la voiture de Martin Carpentier a quitté l’autoroute 20 en direction est pour traverser le terre-plein et a effectué un vol plané après avoir frappé un ponceau. «La voiture a passé 21,38 mètres en l’air approximativement», a précisé le policier au coroner Luc Malouin, qualifiant la scène de «pas compliquée».
Les photos fournies avec le rapport de l’enquêteur témoignent d’un impact quand même important, des coussins gonflables ayant été déployés et une fenêtre ayant été fracassée. Or, les dégâts font dire au policier que le véhicule ne circulait pas à une vitesse excessive.
«Les traces et les éléments vus sur la scène correspondent à une collision de ce genre [110-115 km/h]», a indiqué l’agent.
Le coroner Malouin a tout de même réclamé du policier qu’il effectue les calculs pour estimer la vitesse exacte au moment de la sortie de route.
L’enquête se poursuivra jeudi avec les témoignages d’enquêteurs aux crimes majeurs et d’un responsable du déclenchement de l’alerte Amber.