La SQ reconnaît des lacunes de communication dans les premières heures du dossier Carpentier
Une enquêteuse admet que le partage d’informations n’était pas «optimal» et que des correctifs ont suivi l’événement


Pierre-Paul Biron
Des enquêteurs de la Sûreté du Québec ont admis jeudi que l’opération visant à retrouver les sœurs Carpentier et leur père Martin avait connu des ratés sur le plan des communications.
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Questionnée sur le fait que le premier enquêteur arrivé sur place n’avait pas reçu l’ensemble des déclarations recueillies par les patrouilleurs, dont deux qui mentionnaient l’état dépressif de Martin Carpentier et sa peur de perdre ses filles, la lieutenante Annie Thériault a admis que le partage d’information, en rétrospective, n’avait pas été «optimal».
Pour preuve, la SQ a changé ses méthodes après l’affaire Carpentier a-t-elle précisé.
«Des actions ont été posées par l’organisation par la suite», a insisté l’officière, citant en exemple d’autres interventions où des conférences téléphoniques immédiates et des lignes téléphoniques dédiées aux officiers ont été mises en place «pour éviter la cacophonie» vécue en juillet 2020.
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«Je vais vous dire les vraies affaires»
Ces problèmes de transmission d’informations primordiales ont résulté dans le fait que la lieutenante Thériault n’a pris la mesure totale du risque que couraient les fillettes qu'à 9h45 le matin du 9 juillet, soit 12 heures après l’accident initial.
À ce moment, Alexandre Pelletier, le nouveau conjoint de la mère des fillettes, insiste auprès de l’enquêteur Kevin Camiré pour parler à sa supérieure, Mme Thériault.
«J’ai senti qu’il lui avait presque arraché le téléphone des mains», a-t-elle décrit au coroner Luc Malouin.
«Il m’a dit: "Je vais vous dire les vraies affaires. Martin, il a perdu beaucoup de poids, ça ne va pas bien au travail, il a des problèmes d’argent et il a énormément peur de perdre la garde de ses enfants, puis ce n’est pas facile au niveau du divorce"», a relaté l’enquêteuse, ajoutant qu’à ce moment précis «l’idée du pire scénario grossit» alors qu’il n’était qu’une hypothèse au départ.

«À 10h le matin, c’est un homme suicidaire.»
Pourtant, ce même Alexandre Pelletier avait rempli une déclaration avec un patrouilleur la veille, dans les heures suivant l’accident, où il relatait l’essentiel de ces mêmes propos.
«Je me posais la question pourquoi lui savait ça, mais que personne ne nous en avait parlé depuis hier [la veille]. [...] Je ne savais pas pour cette déclaration, je l’ai appris ici [à l’enquête publique]», a expliqué la lieutenante Thériault, un peu comme l’avait fait son enquêteur Kevin Camiré dans son témoignage mercredi.
L’enquêteur aux crimes graves François Giguère, qui a pris contrôle de l’enquête vers 8h30 le 9 juillet au matin, jusqu’en début d’après-midi, a témoigné avoir lui aussi appris l’existence de ces documents cette semaine.
Questionnement du coroner
«C’est quand même assez incroyable que le grand responsable de l’enquête apprenne deux ans après l’existence de ces déclarations», a fait remarquer le coroner Luc Malouin, cachant mal son étonnement.
Le coroner était aussi intervenu plus tôt alors que l’enquêteuse Thériault était questionnée par l’un des avocats présents sur le contenu de ces déclarations manquantes.
«Le seul problème que je vois, ce n’est pas le contenu de la déclaration, c’est le fait que les enquêteurs ne l’aient jamais eu», a-t-il laissé tomber.
Son travail dans le cadre de l’enquête publique ne sera toutefois pas de pointer du doigt qui est en cause, mais plutôt d’établir au besoin des recommandations permettant d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.
«Invraisemblable qu’ils soient sortis du char»
L’enquêteur François Giguère a également expliqué dans son témoignage que l’hypothèse selon laquelle Romy et Norah n’étaient pas dans la voiture au moment de l’embardée sur l’autoroute 20 avait subsisté longtemps dans la journée du 9 juillet.
L’enquêteur à la section des crimes majeurs de la Sûreté du Québec a affirmé que l’hypothèse semblait plausible puisque personne ne les avait vues sortir de la voiture.

«C’est invraisemblable que deux enfants aient sorti aussi vite de ce char-là après un impact à haute vélocité pendant qu’il y a autant de trafic et que personne ne les ait vues», a insisté le policier pour expliquer sa pensée à ce moment. «Je ne comprends toujours pas».
Cette possibilité que Martin Carpentier ait été seul dans le véhicule a été dans les cartons jusqu’à l’appel d’une citoyenne qui a affirmé avoir vu un homme avec une enfant dans les bras, suivi d’une jeune femme, quitter les lieux peu de temps après l’accident.
«Une hypothèse qui a existé, c’est la possibilité qu’il soit allé les tuer et qu’il tente de provoquer un accident pour se suicider», a précisé François Giguère.
«À aller jusqu’au milieu de l’après-midi, j’ai toujours dans la tête qu’elles n’étaient pas dans l’auto.»
Questionné par l’avocat d’Amélie Lemieux quant à l’expertise du reconstitutionniste faite sur le véhicule dans la nuit et qui permettait d’établir qu’une deuxième personne était assise à l’avant de la voiture en raison de marques sur la ceinture de sécurité, l’enquêteur Giguère a indiqué ne pas avoir eu ces informations.
«Je ne savais pas que cet élément-là avait été expertisé», a souligné le policier.
Rapport venu plus tard
Venu témoigner mercredi, le policier reconstitutionniste Martin Lessard avait expliqué que les marques sur les ceintures de sécurité laissaient croire qu’une deuxième personne était assise dans le siège passager et qu’un enfant se trouvait probablement dans le siège d’appoint à l’arrière.
Cependant, le rapport final de l’expert-collision n’a été déposé que quelques semaines après l’accident. M. Lessard a mentionné mercredi que les seules observations qu’il a faites aux patrouilleurs avant de quitter les lieux étaient qu’il n’y avait rien de particulier sur la scène.
La transmission de l’information concernant les ceintures aurait toutefois pu potentiellement aiguiller plus rapidement les équipes d’enquête sur la présence définitive des fillettes dans la voiture. Ces derniers ont envisagé le contraire jusqu’à une quinzaine d’heures après l’accident.
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