Des prédateurs dans nos écoles: lente guérison pour les survivants d’un pédophile
Des décennies plus tard, ils vivent encore avec les séquelles des abus d’un ex-prof


Erika Aubin
Dépressions, tentatives de suicide, consommation d’alcool et de drogue : la vie de trois victimes d’un ancien prof de morale est encore marquée au fer rouge par les agressions vécues dans leur enfance.
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« Quand j’ai vu passer un appel de la police qui cherchait des victimes de mon agresseur, je suis retombé dans l’alcool et la cocaïne après sept ans de sobriété », se remémore avec un sourire penaud Steven Lefebvre.
L’homme de 49 ans est l’une des trois victimes de Pierre-Raymond Perron qui ont fait lever l’ordonnance de non-publication sur leur identité pour briser les tabous et donner le courage à d’autres de dénoncer.
Perron, qui a enseigné la morale dans plusieurs écoles secondaires de la Rive-Sud de Montréal, a reconnu sa culpabilité en août 2021 pour des agressions commises sur quatre mineurs pendant environ 30 ans.
Le pédophile âgé de 78 ans purge une peine de 30 mois de prison pour ses abus sur des élèves, un voisin et son propre fils.
Steven Lefebvre, qui était son voisin, a commencé à consommer de la drogue à 11 ans « pour oublier » ce qu’il subissait. Sa dernière rechute a duré 16 mois, jusqu’à ce qu’il aille en thérapie fermée. Il confie « l’avoir eu dur », mais depuis sa dénonciation, il a retrouvé une certaine paix, entre autres grâce à son travail au Nunavut.
Mourir pour fuir l’école
Le parcours de Dominique Théberge, agressé pendant trois ans dans la classe même de Perron, a été ponctué par plusieurs dépressions et tentatives de suicide.
« À 16 ans, j’ai voulu m’enlever la vie. C’est le seul moyen que j’avais trouvé pour arrêter d’aller à l’école. J’ai fini mon année à l’hôpital », raconte l’homme de 38 ans, aujourd’hui propriétaire d’un restaurant.
À cause du nombre incalculable d’agressions que lui a fait subir son propre père, Marc-André Perron, 44 ans, est en thérapie depuis près de quatre ans.
« Et ce n’est pas terminé, mais je fais ce qu’il faut pour m’en sortir », dit-il.
Celui qui est devenu entrepreneur avait aussi rapporté lors d’une audience à la cour avoir été « un junkie accro au crack ».
Perron a fait une quatrième victime de 12 ans, qu’il agressait dans la chambre noire de photographie de l’école De Bourgogne, à Chambly, et lors d’activités parascolaires.
Marc-André Perron explique qu’en plus d’être professeur, son père a toujours multiplié les implications dans les scouts, une équipe de hockey ou dans une bibliothèque pour être entouré de jeunes.
Un prof à l’écoute
« Il avait des ordinateurs dans sa classe qu’on pouvait utiliser sur l’heure du dîner. Il avait aussi mis un carton avec un dessin d’entonnoir sur sa porte pour indiquer qu’il était un prof prêt à écouter », se souvient Dominique Théberge, qui fréquentait une école à Saint-Hubert.
Même s’ils en ressortent fiers d’avoir dénoncé leur agresseur, ces trois hommes gardent une certaine amertume du système judiciaire, notamment en raison de la longueur du processus.
Ils réclament aussi des peines plus sévères envers les agresseurs d’enfants.
« Trente mois pour des centaines d’agressions faites sur 30 ans, c’est un peu une joke », lance M. Théberge.
DES VICTIMES RAVAGÉES
« J’étais le plus jeune d’un gang avec qui je voulais jouer au hockey dans mon quartier. Les plus vieux me disaient : “Si tu veux jouer avec nous, tu dois aller chez M. Raymond.” Lui, il leur donnait du haschich et des cigarettes du Maurier en échange. »
« Pendant longtemps, j’ai eu peur de dénoncer, et que le monde le sache. Même si c’est encore difficile par bouts, j’accepte maintenant d’en parler si ça peut aider quelqu’un d’autre à s’ouvrir. »
– Steven Lefebvre, agressé dès l’âge de 9 ans
« La victime que je suis est contente qu’il soit derrière les barreaux. En même temps, j’ai envoyé mon propre père en prison. Je suis aussi l’enfant d’un pédophile, ce qui est difficile à gérer. J’ai encore de la misère à décanter tout ça. Ça fait plus de trois ans que je suis en thérapie et ce n’est pas terminé. »
– Marc-André Perron
« Pour chaque audience qui s’en vient, on met notre vie sur pause. Ça cause un stress, ça devient plus difficile dans ton couple ou à la job. On angoisse et finalement [le dossier] est juste reporté à une autre date. C’est épuisant et à la longue, tu as l’impression de te faire niaiser. »
– Dominique Théberge, à propos du processus judiciaire
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