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L'article provient de Le Journal de Montréal
Justice et faits divers

Des prédateurs dans nos écoles: le danger des réseaux sociaux

Il est trop facile de basculer dans des propos intimes au cours d’échanges en ligne entre jeunes et enseignants

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Photo portrait de Erika Aubin

Erika Aubin

2022-08-27T04:00:00Z
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Les cas d’employés scolaires qui dérapent dans le cadre de discussions virtuelles avec des élèves se multiplient devant les tribunaux, ce qui prouve que les réseaux sociaux sont à éviter, car il est trop facile de basculer dans des échanges intimes, estiment des experts.

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« Ça crée des canaux de discussion moins délimités par un cadre scolaire. Il y a un certain estompement de la limite professionnelle. C’est moins gênant d’écrire que de parler, donc avec le clavardage, on entre rapidement dans l’inti-mité », explique Stéphane Villeneuve, professeur en intégration du numérique en éducation à l’Université du Québec à Montréal. 

Pourquoi un professeur a-t-il besoin d’échanger avec son élève sur Messenger alors qu’il existe des canaux officiels ? questionne Charles J. Russo, directeur du programme Leadership en éducation à l’Université de Dayton, en Ohio.

« Ça ouvre la porte à une trop grande familiarité et au danger que des abus se produisent. Avec les jeunes, surtout des élèves au primaire et au secondaire, il faut se garder une distance, une ligne claire », estime-t-il. 

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M. Russo fait une distinction entre une conversation privée sur les réseaux sociaux et un professeur, par exemple, qui écrit dans un groupe Facebook à tous ses étudiants que la pratique de hockey est annulée à cause de la météo.

Conséquences réelles

Parmi la cinquantaine d’employés scolaires qui ont défilé devant les tribunaux depuis six ans pour des crimes sexuels, près du quart des dossiers concernent un accusé qui a dérapé sur les réseaux sociaux. Les conséquences, elles, se transposent dans la vraie vie. 

C’est le cas de la prof Arielle Leclerc-Fortin, 22 ans, qui a commencé à échanger avec un élève du secondaire sur l’application Snapchat. 

La suppléante de Sherbrooke et l’adolescent ont fini par se rencontrer et avoir des relations sexuelles. 

Elle a ainsi été condamnée à 15 mois de prison, en mai dernier.

Parmi les cas judiciarisés, certains mettent en cause des enseignants qui se sont fait coincer avec de la pornographie juvénile en leur possession. 

De faux comptes 

L’expert Stéphane Villeneuve met aussi en garde contre la très grande facilité à se rendre anonyme sur les réseaux sociaux. 

C’est ce qu’a fait Frédérik Bergeron, un professeur de Charlesbourg, en ouvrant de faux comptes sur Instagram et Snapchat pour soutirer des photos osées à des élèves (voir autre texte plus bas).

« On dit beaucoup qu’il faut éduquer nos enfants au numérique, mais il faudrait aussi regarder du côté des enseignants. D’un point de vue éthique, qu’est-ce qui est inapproprié ? Il y aurait peut-être du travail d’encadrement à faire de ce côté », conclut Patrick Lussier, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. 

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Aucune gêne à leurrer leurs propres élèves 

Un enseignant qui se crée de faux profils pour obtenir des images osées de ses élèves et un suppléant qui envoie des photos de son sexe à deux ados : voici deux cas où des profs ont commis l’irréparable sur les réseaux sociaux. 

Sur les applications Instagram et Snapchat, l’enseignant en éducation physique Frédérik Bergeron se faisait passer pour Jennifer Poulin, une adolescente de 15 ans. 

Frédérik Bergeron, prof dans une école spécialisée, recevra bientôt sa sentence pour avoir leurré des élèves.
Frédérik Bergeron, prof dans une école spécialisée, recevra bientôt sa sentence pour avoir leurré des élèves. Photo d'archives, courtoisie

Le professeur à l’école Joseph-Paquin, de Québec, qui donne un enseignement spécialisé aux jeunes souffrant de surdité et de trouble sévère du langage, a monté un stratagème plutôt élaboré, entre autres pour mettre la main sur des images osées. 

L’homme de 29 ans a d’ailleurs réussi à obtenir la photo du sexe d’un de ses élèves, et l’a ensuite menacé de la publier à tous ses contacts s’il ne lui en envoyait pas d’autres.  

L’accusé a abordé avec son faux profil Jennifer une autre adolescente qui aimait bien son enseignant Bergeron en lui disant qu’elle aussi avait un professeur préféré et qu’elle le laissait lui toucher les fesses. Il voulait ainsi que son élève se « laisse faire ».

Coincé par un parent

Les leurres ont cessé lorsqu’un parent d’une des deux victimes a pris connaissance des discussions. L’enquête policière a permis de remonter jusqu’à ce professeur. Frédérik Bergeron a plaidé coupable à quatre accusations d’extorsion, de leurre et de possession de pornographie juvénile. Il doit recevoir sa sentence à l’automne. 

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À l’été 2017, Francis Faille s’y est pris de manière bien moins détournée pour leurrer deux de ses anciennes étudiantes. Celui-ci venait de terminer l’année scolaire comme suppléant en histoire et en géographie dans une école secondaire de Montréal. 

Le suppléant Francis Faille au palais de justice de Montréal, en juin 2021, avant de prendre le chemin de la prison.
Le suppléant Francis Faille au palais de justice de Montréal, en juin 2021, avant de prendre le chemin de la prison. Photo d'archives, Martin Alarie

L’homme qui consommait de la cocaïne tous les jours à cette époque a entamé avec une élève de 16 ans des discussions en ligne, au cours desquelles il parlait de sexe, d’alcool et de drogue. Un soir, il a tenté de contacter l’adolescente par webcaméra, mais elle a refusé en disant ne pas être encore prête pour tout ce qui est sexuel. 

il insiste

Malgré cela, il lui a envoyé une photo de son pénis. La victime a ensuite déposé une plainte auprès de policiers. Il a aussi montré son sexe à une autre étudiante de 15 ans sur Skype. Elle a mis fin à la conversation en moins d’une minute. 

En juin 2021, le prof déchu de 48 ans a écopé d’une peine de 21 mois de prison. 

La juge Sylvie Durand avait d’ailleurs pris en compte l’abus de confiance comme un facteur aggravant.

– Avec Nicolas Saillant 

Les élèves sont mieux protégés en Ontario 

L’Ordre des enseignants de l’Ontario est à l’avant du peloton avec ses recommandations sur les bonnes conduites à adopter sur les réseaux sociaux et n’a pas hésité à révoquer le permis de plus de 100 profs en cinq ans pour faute d’ordre sexuel.

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Dès 2011, l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario a mis sur pied un guide de recommandations sur la façon dont les enseignants doivent se comporter en ligne afin d’éviter les dérapages. Le document est accessible en quelques clics sur son site web.

« On encourage les médias sociaux dans un but pédagogique via une plateforme de l’école. Mais, on décourage de communiquer tard le soir avec des élèves, d’échanger des textos personnels. En ligne, c’est risqué d’être trop amical, de verser dans des conversations inappropriées », explique Gabrielle Barkany, responsable des communications.  

Au Québec, où il n’y a pas d’ordre professionnel pour les enseignants, ce sont les centres de services scolaires qui établissent leurs règles. Mais elles sont très inégales d’un établissement à l’autre, reconnaît Benoit Petit, conseiller pédagogique au Service RÉCIT à l’intention des gestionnaires scolaires. « Certains centres ont mis à jour leur politique il y a deux ans, d’autres il y a 10 ans », dit-il

Stéphane Villeneuve, professeur en intégration du numérique en éducation à l’UQAM, estime qu’il faudrait aussi au Québec des directives uniformes pour l’ensemble de la profession.

« Il manque un peu de leadership. Il faut mettre des règles qui sont claires, et surtout connues [de tous] », appuie Patrick Lussier, professeur en criminologie à l’Université Laval.  

118 permis révoqués 

Par ailleurs, lorsqu’un parent ontarien veut porter plainte contre un enseignant, il sait qu’il peut se tourner vers l’Ordre, qui analyse et impose une sanction, au besoin. Entre 2017 et 2021, l’organisme a révoqué le permis de 118 enseignants pour mauvais traitements d’ordre sexuel, soit en moyenne plus de 23 par année.

Au Québec, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a révoqué seulement cinq brevets d’enseignement par an, selon une moyenne des trois dernières années.

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