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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Cinq questions à Noémi Mercier et Philippe Desrosiers, qui co-animent, co-scénarisent et co-réalisent «Devenir Keb», une série documentaire qui nous montre la réalité des nouveaux immigrants

Photo BERTRAND EXERTIER
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Photo portrait de Emmanuelle Plante

Emmanuelle Plante

2025-06-07T10:00:00Z
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Donner la parole aux autres pour comprendre des situations est au centre de tout ce qu’entreprennent Noémi Mercier et Philippe Desrosiers. Elle est journaliste et documentariste. Première cheffe d’antenne de Noovo Info 17, on lui doit L’affaire Chantale Daigle: le documentaire, Évincés: Les aînés contre-attaquent et Crimes sexuels: le cancer qui ronge l’armée canadienne. Elle a animé Kebec et fait des chroniques à Dans les médias. Elle est récipiendaire de quatre prix Judith-Jasmin. Lui est le gagnant de la cohorte 1995-1996 de la Course destination monde. Il a réalisé Les francs-tireurs, La vie en quatre temps et animé Le sexe autour du monde. Tous deux ont beaucoup voyagé. Avec autant d’empathie que de neutralité, ils nous exposent dans Devenir Keb le parcours d’immigrants. Une réalité qui diffère de la nôtre, mais animée des mêmes préoccupations foncièrement humaines.

Comment souhaitiez-vous aborder l’immigration, sujet dont les médias et la classe politique parlent beaucoup?

Noémi Mercier: L’idée, c’était de contribuer aux débats actuels, délicats et importants, en ajoutant le morceau manquant pour qu’on parvienne à l’humaniser, à mettre des visages et des histoires sur cet enjeu qui est souvent traité de manière désincarnée, abstraite, avec des chiffres, des seuils, créant l’impression d’un bloc monolithique de gens sans ressources.

Philippe Desrosiers: Ce qu’on essaie de faire, c’est de montrer qu’on est tous pareils. Une vie de famille, c’est une vie de famille. Quelqu’un qui n’a pas de job, c’est quelqu’un qui n’a pas de job. On a les mêmes aspirations, les mêmes contraintes, les mêmes élans. Les immigrants qui arrivent ici, c’est juste nous autres dans un autre contexte d’une certaine manière.

En quoi y a-t-il une divergence entre les demandes et la réalité? Est-ce ce qui vous a le plus frappés?

NM: Rosa, dans l’épisode sur la francisation, est un des moments les plus éloquents (elle doit faire une pause des cours pour travailler). Bien sûr que l’apprentissage du français est une priorité. La complexité de leur quotidien fait en sorte que les exigences qu’on leur impose ne concordent pas avec leurs contraintes. Ce n’est pas un manque de volonté. Les personnes sont en mode survie, adaptation, urgence. Quand on propose des ressources, ils en profitent et le redonnent fois mille.

PD: La force, la détermination, la ténacité des immigrants, c’est ce qui m’a le plus impressionné en faisant la série. On a rencontré des gens qui ont de l’aplomb. Rosa en est la preuve. Karina a eu trois jours pour paqueter ses petits et s’en venir ici après avoir été kidnappée. Naoufel a commencé dans une nouvelle école alors qu’il ne connaît personne ici. C’est spectaculaire.

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Photo fournie par SAVOIR MÉDIA
Photo fournie par SAVOIR MÉDIA

Sommes-nous accueillants?

NM: Ça me réconforte, de voir beaucoup de natifs du Québec qui travaillent très fort pour aider des gens à s’intégrer. Je pense à Francine et Normand, ce couple qui anime des ateliers de préparation à l’hiver. Ce sont des bénévoles intéressés par le contact interculturel qui ont une bonté d’âme. Dans l’épisode 3, à Mont-Laurier, Jasmin et Anne-Julie ont servi de famille d’accueil dans les premières semaines à l’arrivée de Stella. Les Québécois sont généreux et faciles d’approche. C’est ce qu’on montre dans la série.

Est-ce possible de se sentir Québécois quand on immigre?

NM: Parmi les immigrants rencontrés, c’est clair qu’ils ne sont pas ici pour avoir une expérience superficielle. Il y a un désir de connaître la culture qui les reçoit, de s’intégrer et de maîtriser la langue. Ils veulent faire partie de la société. L’idée n’est pas de prétendre qu’ils sont Québécois après un mois, mais il y a un désir de s’installer et de contribuer à la société qui les reçoit.

PD: Ce n’est pas scientifique, mais dans l’épisode 6, S’enraciner, dans une deuxième tranche d’immigrants qui sont nés ici, on a demandé à des jeunes dans la vingtaine: «Te sens-tu Keb?» Et la plupart ont répondu: «Pantoute.» Ça nous a vraiment surpris. Je me suis dit: on a peut-être une part de responsabilité là-dedans. L’immigration, c’est une danse, c’est un partenariat. Leur appartenance est un symptôme de quelque chose.

Nos dirigeants mériteraient de voir cette série documentaire...

NM: C’est un sujet politique, mais ce n’est pas une série partisane. Les discussions sont importantes. On n’est pas dans de l’éditorial. On est dans l’écoute pour transmettre la parole, l’expérience d’immigrants.

PD: On n’est pas dans la dénonciation d’un gouvernement en particulier. J’aime bien penser que ça puisse servir à tous les politiciens. Il y a un discours mondial de radicalisation, de démonisation, qui est anti-immigrant, parce que ça nous prend un bouc émissaire pour ce qui nous arrive. Je serais content que les politiciens voient les gens comme ils sont et non pas comme faisant partie d’une catégorie.

Devenir Keb est offert sur savoir.media

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