«Ce n’est pas vrai que je n’ai rien fait»: une ex-directrice de l'école Bedford avait sonné l’alarme à propos du climat toxique

Marie-Laurence Delainey
Pour la première fois, une ex-directrice de l’école Bedford explique de vive voix avoir alerté à plusieurs reprises ses supérieurs quant au climat toxique dans l’établissement et dit qu’elle aurait aimé avoir plus de latitude et de soutien pour empêcher que la situation ne se dégrade.
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«Quand on dit “comment se fait-il qu’il n’y a rien qui a été fait en 2017?”, ça vient me chercher, car j’étais là en 2017. Je me dis que c’est pas vrai que j’ai rien fait», soutient Lyne Robichaud, directrice de l’école Bedford de 2017 à 2020.

Des enseignants majoritairement d’origine maghrébine auraient intimidé et humilié élèves et enseignants durant des années, selon un rapport d’enquête du ministère de l’Éducation rendu public après des révélations du 98.5.
Mais il y a cinq ans, alors qu’elle était directrice au tout début de la période visée dans le rapport, Lyne Robichaud avait elle-même demandé une enquête sur le climat.
«Ça m’a été refusé en disant qu’on préférait avoir une autre approche. [...] Ça aurait peut-être été bénéfique pour l’école que ça se passe avant», soulève celle qui a été directrice d’école pendant 21 ans.
À son arrivée en 2017, elle a noté que des matières étaient délaissées au deuxième cycle et que des élèves en difficulté avaient peu d’accompagnement de spécialistes. Elle a donc organisé des rencontres devant permettre aux enseignants d’échanger sur les façons de faire. Mais très vite, certains se sont dits intimidés, rapportant qu’on les empêchait de parler.
«J’ai une enseignante qui pleure dans mon bureau. Puis j’en ai deux, j’en ai un autre. [...] Mais il n’y a jamais personne qui veut dévoiler [les noms]. J’appelle aux relations professionnelles, ils me disent: “On peut pas rien faire si on ne dévoile pas [les noms]”», explique-t-elle.
Une vingtaine d’avertissements
Mme Robichaud dit être intervenue une vingtaine de fois auprès d’enseignants au comportement douteux, un par exemple qui plongeait sa classe dans le noir et obstruait sa fenêtre de porte et un autre qui s’était lavé les pieds en cours.
«J’étais outrée. Sur le coup, tu fais “ben voyons donc, ça se peut pas, je vais faire une mesure disciplinaire, il ne surveille pas ses élèves, il n’enseigne pas”», dit-elle.
Mais les relations professionnelles lui auraient recommandé de donner seulement un avertissement. «Parce que c’est délicat, c’est la religion. [...] Je pense que parfois, c’aurait été bien que je puisse passer à des mesures disciplinaires», soulève-t-elle.
À la fin de 2017-2018, elle a contacté sa supérieure après le départ de huit enseignants. «[J’ai dit:] “On a une problématique”, et on me propose [...] de faire un comité d’insertion professionnelle», dit-elle.
Même si elle aurait aimé avoir plus de marge de manœuvre, elle ne veut pas jeter le blâme sur ses anciens patrons. «C’est une situation tellement complexe», estime-t-elle.
Avec du recul, est-ce qu’une enquête aurait dû être ouverte plus tôt? «Il est difficile de commenter une décision prise par une ancienne équipe de direction générale», explique le porte-parole du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), Alain Perron, ajoutant que tout est mis en œuvre pour éviter que ce genre de situations ne se reproduise.
Bedford, les prochaines étapes
- 11 enseignants de l’école Bedford visés par les allégations sont toujours suspendus avec salaire. Des comités d’enquête mandatés par Québec doivent déterminer s’ils ont commis une faute grave.
- 150 membres de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal ont demandé la tenue d’une séance extraordinaire de l’assemblée générale du syndicat pour faire le point sur les derniers événements.
- Le personnel du Centre de services scolaire de Montréal a reçu le 29 octobre une invitation à dénoncer via un «canal unique» toute situation inappropriée comme l’atteinte à la santé physique et/ou psychologique des élèves, des méthodes pédagogiques inappropriées ou l’atteinte à la laïcité des écoles, notamment.
- À compter du 30 novembre, les membres pourront s’adresser au Protecteur du citoyen pour divulguer tout acte «répréhensible».
- Le CSSDM a remis une lettre à 1393 familles dont les enfants ont fréquenté l'école Bedford de 2017 à 2024 afin de faire un suivi personnalisé pour chaque élève.