Tuerie du Vieux-Québec: Girouard, un «narcissique» cherchant à être reconnu selon un expert de la couronne

Pierre-Paul Biron
Alors que la défense plaçait Carl Girouard dans un «délire grandiose» le soir de sa violente attaque de l’Halloween, un expert de la couronne décrit plutôt l’accusé comme un narcissique cherchant à «être reconnu à sa juste valeur», pour qui le scénario macabre relevait du fantasme.
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Le Dr William Pothier a rencontré le responsable de l’attaque au sabre dans le Vieux-Québec à deux reprises en mars dernier. Sa conclusion de ces rencontres ainsi que son analyse des rapports d’experts ayant analysé l’accusé au fil de sa vie lui font dire que les actes de Carl Girouard seraient plus liés à sa personnalité et à ce qui l’a forgée plutôt qu’à une cause médicale comme la schizophrénie.
«Sa perception de la société, c’est que les autres ont un problème. [...] Tout le monde est pareil, moi je suis différent et cette différence entraine un sentiment de supériorité», estime le neuropsychologue.
Remontant à l’enfance de l’accusé et à son rejet constant, le spécialiste estime que cet isolement aurait modelé l’homme qui a tué deux personnes et qui en a blessé cinq autres le 31 octobre 2020.
«Son projet [sa mission] pourrait permettre de changer l’opinion que les autres ont de lui. [...] Il a besoin que les autres le perçoivent, qu’il soit reconnu à sa juste valeur», a expliqué l’expert de la couronne.
Ce dernier estime d’ailleurs que les jeux vidéo ont contribué au scénario d’horreur. Comme la réalité était devenue «trop banale», l’accusé a trouvé dans ce monde fantastique un refuge qui a contribué à nourrir ses fantasmes narcissiques.
Le Dr Pothier poursuivra son témoignage mardi en journée.
Idée préconçue
Plus tôt en journée, la couronne avait aussi contre-interrogé le témoin expert de la défense, le psychiatre Gilles Chamberland. Le procureur François Godin a notamment tenté de discréditer l’expert en sous-entendant que son idée était déjà faite sur la non-responsabilité criminelle de l’accusé avant même de l’évaluer, citant notamment une entrevue donnée le lendemain du drame par le psychiatre, où il évoquait déjà le délire.
L’avocat du DPCP a alors interpellé le Dr Chamberland sur ce qu’il a appelé «le biais de confirmation d’hypothèse», questionnant le fait qu’un témoin puisse «se réfugier dans des convictions qui confirment une hypothèse».
«De penser que je puisse être assez stupide pour faire ça, la réponse c’est non», s’est vivement défendu le psychiatre, rappelant qu’il était sous serment et qu’il serait criminel d’omettre volontairement des détails de l’histoire.
Gilles Chamberland a indiqué que l’information préliminaire dont il disposait à ce moment pointait vers cette hypothèse et qu’elle s’est ensuite confirmée en cours d’évaluation.
«C’est totalement faux de dire que mon idée était faite. J’ai déjà changé d’idée dans un dossier pour la couronne alors qu’ils travaillaient depuis plus de deux ans. [...] Ce n’est pas vrai que je ne changerais pas d’idée s’il n’y a pas une information qui viendrait tout changer ou qui vient nuancer les affaires», a insisté le médecin, ajoutant que sur plusieurs points, son analyse était juste à son avis.
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Encore pire?
La couronne a également questionné le témoin-expert sur des rapports de collègues psychiatres qu’il n’avait pas obtenus dans sa préparation du dossier, mais qui ont été présentés au procès la semaine dernière.
«Vous êtes mandaté au dossier, mais vous ne faites pas de demande au centre de détention pour obtenir les notes au dossier», a demandé Me Godin au psychiatre.
«Je l’ai fait la demande, j’ai demandé de tout avoir. Mais ce n’est pas mon travail de jouer à l’enquêteur, moi je travaille avec l’information qu’on me donne», s’est défendu Gilles Chamberland.
Ces analyses confirment toutefois pour l’expert son diagnostic de Carl Girouard.
Pour le médecin, l’accusé était au point culminant d’un délire grandiose le soir du 31 octobre 2020 et c’est cette idée qui a pris le contrôle lorsqu’il a commis l’irréparable.
«On ne peut pas nuancer ça, une idée délirante», analyse le psychiatre en précisant que les symboles comme la pleine lune, le déguisement, le sabre et l’Halloween y étaient importants. Ces «idées de référence» pesaient si lourd que l’issue du drame aurait pu être encore pire si Girouard avait mijoté davantage dans cet état.
«S’il avait fallu que la pleine lune de l’Halloween soit tombée en 2021 [plutôt qu’en 2020], il aurait probablement attendu une autre année. Il aurait déliré pendant une année de plus et ça aurait pu être vraiment pire parce qu’il aurait baigné plus longtemps dans son délire», a décrit le Dr Chamberland.
«Tomber entre deux chaises»
Le médecin a également témoigné de la difficulté à prévenir ce genre de drame par l’évolution constante du délire, qui fait grandir le degré de dangerosité dans le temps. En résumé, au fil des années, Carl Girouard n’était pas suffisamment dangereux pour qu’on lui impose un traitement, et ce, même si un comité d’évaluation avait recommandé une évaluation d’urgence de son cas alors qu’il était jeune adulte.
«Il n’était pas assez dangereux pour le contraindre», a admis le Dr Chamberland. «Il est tombé entre deux chaises et la maladie a continué à progresser.»
Le fait que les gens atteints de schizophrénie et de délire ne verbalisent pas l’ensemble de leurs idées complique aussi la tâche des spécialistes et des proches a-t-il expliqué. Le Dr Chamberland s’est même dit étonné d’avoir appris au cours de son évaluation que Girouard avait déjà envisagé tuer sa mère et son frère. L’accusé n’avait pourtant jamais évoqué cette idée qui aurait alerté les spécialistes avant cette rencontre.
Il avait eu l’idée de tuer sa mère et son frère, puis de mettre le feu à la maison. Ce serait son test pour savoir s’il était capable de faire sa mission», a décrit le psychiatre.
Deux experts aux positions divergentes
La thèse de l’expert de la couronne, Dr William Pothier:
Carl Girouard, isolé et rejeté dans l’enfance, présente des traits de personnalité narcissique et cherche, d’une certaine façon, la reconnaissance
«Il en vient à développer des idées selon lesquelles le fait d’être un persécuteur comme dans [ses] jeux vidéos pourrait le changer de rôle. Il pourrait devenir le persécuteur.»
La thèse de l’expert de la défense, Dr Gilles Chamberland :
Schizophrène et dans le trouble du spectre de l’autisme, Carl Girouard était dans un délire lors de l’attaque et ne distinguait pas le bien du mal
«Au moment où il posait les gestes, il savait ce qu’il faisait, comprenait qu’il tuait, mais était totalement incapable de savoir que ce qu’il faisait était mal. Quand le délire s’impose, il n’a pas le choix, il fait ça.»