Pour ou contre la peine de mort: c'est la question au coeur du nouveau roman de R.J. Ellory, «Everglades»

Karine Vilder
Avec Everglades, l’écrivain britannique R.J. Ellory nous entraîne dans une Amérique moite, trouble et tendue qu’on n’est pas près d’oublier.

Everglades. Juste avec son titre, le nouveau roman du Britannique R.J. Ellory parvient à faire surgir en nous une foule d’images: mangroves, hydroglisseurs, soleil de plomb et, surtout, marécages infestés d’alligators et de crotales. Bref, un endroit où il vaut mieux ne pas s’aventurer sans guide chevronné!
«J’ai été en Floride à plusieurs reprises et, une fois, j’ai conduit de St. Petersburg à Miami, raconte R.J. Ellory. Une section de l’autoroute surnommée Alligator Alley m’a frappé. C’est une route droite, avec les marais des Everglades de chaque côté. L’humidité, son côté inhospitalier, ses animaux redoutables... La région est si dangereuse qu’une prison érigée là pourrait presque se passer de clôtures: en s’enfuyant, les prisonniers risqueraient de se perdre, de se noyer, de se faire manger par les alligators, de se faire mordre par un serpent ou de se faire tuer par autre chose!»
C’est dans ce décor moite et menaçant qu’Ellory a tenu à implanter la prison de Southern State, un centre pénitentiaire fictif réservé aux pires criminels. Fidèle à son habitude, l’auteur a également choisi de camper l’intrigue au siècle passé, à une époque où il n’y avait encore ni téléphones intelligents ni internet. «Dans mes livres, je ne veux pas écrire sur la technologie, précise-t-il. Je préfère écrire des histoires où, si un personnage a besoin d’une information, il doit se déplacer et parler à quelqu’un.»
Avec Everglades, on reviendra donc en 1976-1977, alors que la peine de mort vient d’être réintroduite aux États-Unis.
Entre loi et conscience
Dans cette Amérique prénumérique, on va faire la connaissance de Garrett Nelson, le shérif adjoint du comté de DeSotto. Mais ce poste, il ne le gardera plus très longtemps. Au cours d’une opération policière, il va en effet se prendre une balle dans la jambe. Condamné à boîter jusqu’à la fin de ses jours, il devra renoncer au service actif et, à la place, il acceptera de devenir gardien à Southern State. Un emploi qu’il abordera d’abord comme un pis-aller, avant de se retrouver piégé dans une spirale morale vertigineuse...
«J’avais 7 ans quand ma mère est morte, explique R.J. Ellory. Pendant les neuf années suivantes, lorsque je n’étais pas à l’internat, j’étais chez ma grand-mère maternelle. Elle ne savait vraiment pas quoi faire de moi, alors elle me laissait regarder la télé, à condition que ce qui jouait ait été tourné avant l’année de ma naissance, soit avant 1965. Je pense qu’elle voulait me protéger de la violence et d’un langage grossier! J’ai donc grandi avec Audrey Hepburn, Veronica Lake, Gregory Peck ou James Stewart et j’ai été fasciné par les films d’Hitchcock. Le thème commun à toute son œuvre? Placer un individu ordinaire dans une situation extraordinaire. C’est quelque chose que j’ai pris de lui, car mettre quelqu’un dans une situation délicate pour voir comment il va s’en sortir permet d’utiliser toute la gamme des émotions et des réactions humaines. Ce qui compte, ce n’est pas l’erreur. C’est ce qu’on fait ensuite.»
Et Garrett Nelson en fera, des erreurs.
Un climat oppressant
À mesure que le quotidien carcéral l’aspire, Nelson commencera à douter des méthodes, du système, de lui-même. C’est que la prison ne change pas seulement ceux qu’elle enferme. Elle transforme aussi ceux qui y travaillent.
«Quand on est confronté à tous ces criminels, à tous les terribles crimes auxquels ils ont participé, ça finit par influencer la manière dont on perçoit les choses, estime R.J. Ellory. La confiance fondamentale envers l’humanité disparaît peu à peu pour faire place à une vision pessimiste des gens. Je crois que travailler avec la lie doit rendre cynique et amer.»
D’une certaine manière, Ellory a déjà abordé ce genre de thème dans le roman Papillon de nuit, publié il y a plus de 20 ans.
«Ce livre traitait entre autres de la peine de mort, mais du point de vue du prisonnier, précise-t-il. Avec Everglades, je voulais reprendre ce sujet, mais en me plaçant du côté officiel, du côté de ceux qui appliquent la loi. Je voulais explorer comment un homme peut commencer à remettre en question ce qu’il est censé défendre.»
Tiraillé, en quête de vérité dans un monde qui broie les certitudes, Garrett Nelson est un personnage profondément humain qu’on a adoré.

Everglades
R.J. Ellory
Éditions Sonatine
464 pages