Ayant songé à la mort, Micheline Lanctôt affirme avoir été sauvée par son métier
Sabin Desmeules
À cause de son métier, elle a songé à la mort... Mais c’est son métier qui l’a sauvée! Ce même métier à qui ses enfants ont reproché de trop l’accaparer. Et dire que faire du cinéma n’était même pas dans les plans de la jeune Micheline Lanctôt!
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En 2022, elle soulignait 50 ans de métier. Sa carrière est riche et ses films, tant comme actrice qu’en tant que réalisatrice, sont nombreux et importants. Ils font l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque de Montréal. Micheline Lanctôt est la première à s’en réjouir. «Un film a une carrière limitée dans le temps. Quand le film quitte les écrans, on ne sait pas où est-ce qu'il s'en va. Il disparaît. Et les distributeurs ne font plus de DVD, déplore-t-elle. Moi, j'ai des films qui sont sur des plateformes, mais je ne sais jamais où. Ça fait que c'est une occasion unique de voir tous les films réunis ensemble, projetés sur grand écran, avec un public.»
Craint-elle, en revoyant certaines œuvres, qu’elles aient mal vieilli? «Non, parce que mes films, paradoxalement, à chaque fois que je les ai revus, ils étaient plus actuels au moment où je les ai vus que quand ils sont sortis. Comme si j'étais toujours un peu en avance sur mon temps. Ça, c'est une grande source de fierté pour moi!, admet-elle. J'ai vu récemment La poursuite du bonheur, un documentaire que j'avais fait à l'ONF, sur la surconsommation. Il est sorti en 1987... et aujourd’hui, la surconsommation est un problème plus criant que jamais! Aussi, j'ai fait un film sur des parents qui sont épuisés, plus capables de s'occuper de leur enfant autiste (Suzie, sorti en 2009). On n’a jamais autant parlé de l’autisme qu’en ce moment!, note-t-elle. Et l'itinérance... J'ai fait un film sur un itinérant (Autrui, sorti en 2015) et, bon, on en parle... C'est un film qui a quand même 10 ans et qui pourrait ressortir aujourd'hui et être encore plus d'actualité qu'à l'époque! Donc, ça, ça me réjouit beaucoup. Peu importe si le film n’est pas parfait, parce que j'ai travaillé avec des budgets extrêmement restreints, ce n’est pas à ça que je m'attarde. Je m'attarde au fait que les films sont encore pertinents des années plus tard et qu'il y a des gens qui les voient, et qui sont capables d'avoir une relation avec le film 40 ans après, par exemple.»
Le sujet avant le budget
Au-delà des budgets qui permettent des artifices, il y a, pour Micheline, quelque chose qui prime: le propos. «J’ai toujours dit que les sujets sont quelque chose, probablement la chose la plus importante dans un film ou dans n'importe quelle œuvre, mais particulièrement dans un film. Peu importe ce qu'on réussit à faire à cause des compromis qu'on était obligés de faire. Ça, c'est comme ça même avec des gros budgets, il y a des compromis qui sont inévitables. Mais si le sujet reste entier, si le propos sert le sujet, si le film arrive à faire passer un sujet difficile comme ceux auxquels je me suis toujours attardée, c'est ça, la récompense: quand le sujet touche.»
Propulsée par Bernadette
C’est en incarnant l’héroïne d’un film de Gilles Carle aujourd’hui culte, La vraie nature de Bernadette, que Micheline Lanctôt est révélée comme actrice, en 1972. Ce rôle la mène au Festival de Cannes, où le long métrage se retrouve en compétition officielle. La jeune comédienne ne se fait pas d’illusions. «Parce qu'à l'époque, j'arrivais du cinéma d'animation. Je n'étais pas du tout dans le même univers que le reste du monde! Et tout le flafla qui entourait la sortie du film, je n'avais aucune idée de ce que ça voulait dire, de ce que c'était! Je n’avais pas de plan de carrière, je ne savais pas si j'allais faire un autre film...», confesse-t-elle.
Cette notoriété soudaine lui permet de tourner un film en sol européen: en 1973, elle joue dans le premier long métrage de Jean-Charles Tacchella, Voyage en Grande Tartarie, qui se tourne en France. «Ç’a été formidable! Mais, autrement, ça ne m'a pas ouvert les portes d'une grande carrière.»
Elle ne mesure pas son impact
Micheline retourne à Cannes en 1980 avec son film L’homme à tout faire, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. «Je ne savais absolument pas ce qui se passait, je n’avais pas idée de ce que ça représentait. Je m'étais entichée de l'interprète turc d’un film turc présenté cette année-là (Hazal). J'ai passé deux, trois jours avec lui, à jaser de toutes sortes d'affaires... Et, dans le temps du festival, c’est mon anniversaire, ça fait qu’on m’avait offert du champagne et tout... J'avais trouvé ça formidable, mais parce que c'était mon anniversaire, pas parce que le film était présenté à Cannes!»
En ce temps-là, l’impact d’un film ne se mesure pas dans l’immédiat, mais beaucoup plus tard. «Puis, à l'époque, on n'était pas coutumiers d'un succès à l'étranger. Ça ne faisait pas nécessairement une manchette. Même le Lion d'argent que j'ai gagné au Festival de Venise en 1984, pour Sonatine, ça n’a pas fait de grosses manchettes. Ça n’a pas fait beaucoup de bruit. Je ne savais pas si j'allais faire un autre film. Je n'avais aucune idée! Pour moi, c'était un épisode dans ma vie.»
Ce film qui a changé sa vie
Pourtant, Sonatine lui sauve en quelque sorte la vie. Grâce à ce film, elle persiste comme cinéaste. On y suit deux jeunes filles qui font un pacte de suicide. «En fait, le film, c'est plutôt sur l'indifférence du monde que sur le suicide. Le suicide est le prétexte pour accuser le monde, précise la réalisatrice. À l'époque où l’idée du film est née, je restais à Saint-Denis-sur-Richelieu, dans une maison extrêmement isolée, dans le troisième rang. J'avais eu un refus pour quelque chose, un projet quelconque. J'étais super déprimée. Je m'étais dit: “Oh, je vais m'enlever la vie.” Mais je m'étais aussi dit: “Si je me suicide à Saint-Denis-sur-Richelieu, dans ma maison, à un kilomètre du chemin, il n'y a personne qui va le savoir. Ils ne vont pas me retrouver avant trois mois...” Alors je me disais qu’il faudrait que je fasse ça sur la place Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal, devant tout le monde, pour que ça ait un effet. Puis, il y a l’idée du film qui a germé. Et c'était plus sur l'indifférence des gens face à la mort de quelqu’un que sur l'idée de la mort comme telle. C'était l'idée de dire que ma mort n'aurait rien dit à personne! C'est ça qui était à l'origine de Sonatine.» Micheline se jette dans ce film et oublie ses idées sombres.
Cerise sur le gâteau, l’œuvre est primée à la Mostra de Venise. «Ce prix-là a eu un gros impact sur moi, pas sur le film, confie-t-elle. Parce que, quand même, le jury, c'était Michelangelo Antonioni, les frères Taviani, Ermanno Olmi, Günter Grass... C'étaient des grosses pointures! Et que ces gens-là aient bien vu mon film, puis apprécié le film pour ce qu'il était — ce sont des gens que j'admirais plus que tout! —, ça m'a permis de continuer. Parce qu'après l'échec au box-office, j’étais prête à abandonner. Je me disais: “Ça ne donne rien de faire des films que personne ne voit.” Donc, je n'étais pas déterminée à continuer d’en faire.» Mais le Lion d’argent a tout changé. «Ce prix-là, donné par ces gens-là, m’a fait réaliser qu'il y avait quelque chose dans mes films et qu’il fallait que je continue. En plus, le prix avait été attribué de façon unanime à mon film!»
Nostalgique?
Elle évoque le passé avec une étincelle dans les yeux. Est-elle nostalgique? «Je ne suis pas nostalgique du tout! J'ai toujours regardé en avant, note-t-elle. Je ne regarde pas en arrière. J'ai trop peur.»
Liée à Pascale Bussières
C’est Micheline Lanctôt qui révèle Pascale Bussières au cinéma, grâce à Sonatine. L’actrice n’est alors qu’une enfant. «Je suis très fière de lui avoir donné sa première chance! Dans tous mes films, j'ai révélé des talents.» Encore aujourd'hui, Pascale et elle conservent un lien particulier. «Pascale, je la considère quasiment comme ma fille spirituelle. Elle avait 13 ans et demi quand j'ai travaillé avec elle la première fois et j'ai encore travaillé avec elle par la suite, j'ai joué avec elle... On ne se fréquente pas dans la vie. On n'est pas des amies socialement, mais chaque fois qu'on se voit, il y a un lien qui est indéfectible!» Elle l’a de nouveau dirigée dans son film Deux actrices, sorti en 1993. «Je n'aurais jamais pu obtenir, pour la partie documentaire du film, ce que j'ai obtenu de Pascale si je n'avais pas eu ce lien-là avec elle, n’hésite pas à affirmer la cinéaste. Le lien avec elle a fait qu'elle était dans le niveau de la confidence. C'est incroyable à quel point ça ajoute au film! Et ce lien-là, chaque fois qu'on a travaillé ensemble, il est revenu. On se comprend en demi-mots.»
Des reproches de ses enfants
Micheline Lanctôt a deux enfants, Simone et Francis, issus de sa relation avec le cinéaste Hubert-Yves Rose. Ils lui ont fait le reproche que le cinéma a pris trop de place dans son existence. «Sans arrêt, précise-t-elle. Et je m'en suis justifiée, c'est-à-dire que je leur ai souvent dit que j'aime mon travail. Je sais que ça me prend beaucoup... Puis, eux autres, ils retiennent juste quand je n'étais pas là, ils ne retiennent pas quand j'étais là. Parce que quatre ans pour faire un film, quatre ans de chaque film, j'étais quand même souvent à la maison. Mais quand j’y étais, je n'étais pas toute là. Le problème, quand on écrit ou qu'on prépare un projet, c'est que, mentalement, on est obnubilé par ça. Alors c’est sûr que je n'ai peut-être pas eu l'écoute que j'aurais dû avoir. J'ai culpabilisé, beaucoup. J'ai fait un film là-dessus.»
Aujourd’hui, elle le concède: elle ne sait pas où ils en sont avec leurs rancunes. «Ma fille a 43 ans, mon fils va en avoir 40. Mon fils a plus accepté que ma fille, qui a trouvé ça extrêmement difficile! Mais c'était ma première enfant, ça fait que j'ai mis beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps pour elle au début, jusqu'à ce que je sois occupée par mes films. Je pense qu'elle l'a ressenti plus profondément. Mon Dieu que j'ai culpabilisé! Mais je leur disais: “Il ne faut pas m'en vouloir. C'est un métier qui prend beaucoup de temps. Et j'aime ça, j'aime aller travailler.’’»
Une famille de créatifs
Francis suit les traces de sa mère. «Mon fils vient un peu d'une dynastie: son père était cinéaste, son demi-frère est cinéaste, sa mère est cinéaste... Il a fait des films au cégep, il a gagné tous les prix. Il a décidé que c'était plate. Ça fait qu'il est écrivain, ce qui est formidable!»
Simone est une femme d’affaires. «Ma fille est une créative, mais elle est allée dans le milieu des affaires. Ça fait qu'elle est créative en affaires.»
La cinéaste et actrice est la fière grand-maman de quatre petits-enfants: sa fille a trois enfants, âgés de 17, 12 et 10 ans, son fils est papa d’un enfant de 2 ans. Peut-être de futurs artistes? «Ils sont créatifs, ça c'est sûr!»
La Cinémathèque de Montréal présente la rétrospective Micheline Lanctôt, tout son cinéma, où l’on peut voir, du 26 août au 18 septembre, des œuvres marquantes dans la carrière de l’actrice et cinéaste: cinematheque.qc.ca.
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Sa carrière en quelques photos...
Pour votre plus grand bonheur, on a fouillé dans nos archives afin de vous faire revivre des moments de la carrière de Micheline Lanctôt...
Avant d’être actrice et jusqu’au milieu des années 1970, Micheline a travaillé en animation: elle faisait des dessins animés. «Le problème avec l'animation, qui était vraiment ma passion, mon monde, ma famille — c'était là où j'étais le mieux —, c'est que je n'avais pas le tempérament pour faire le métier. Ça prend un tempérament monastique, puis, moi, je suis quelqu'un d'actif, d'hyperactif, ça fait que je souffrais le martyre à répéter 50 fois une chose. Vous faites ce qu'on vous dit, puis ça finit là. C'était très long avant d'aboutir à un poste créatif.» Elle a réalisé un film d’animation qui avait été commandé par l’ONF: A Token Gesture, sorti en 1975.

La Micheline Lanctôt du début des années 1980, à l’époque où elle nous a offert son premier film comme scénariste et réalisatrice, L’homme à tout faire, n’était pas certaine de vouloir réaliser d’autres films par la suite. «C'est le producteur René Malo qui me l'a proposé. J'avais écrit le scénario et j'attendais qu'il trouve un réalisateur. Il m'avait dit: “C'est trop personnel. Je ne trouve personne pour le réaliser. Veux-tu le faire?” J'ai eu cette phrase, qui est “ma” phrase, celle qui a régi toute ma vie: “Pourquoi pas?!” Je n'ai jamais fermé une porte. C'est comme ça qu'est arrivé le premier film. Mais ça a pris du temps avant que je me considère comme une cinéaste en bonne et due forme. Que je considère que j'avais ma place dans ce milieu-là et que ce métier-là était fait pour moi. Ça a pris deux ou trois films. Je trouvais ça difficile, d'une part, et je ne maîtrisais pas du tout le langage. J'ai été obligée de m'adapter.»

Le film qui l’a révélée comme actrice, La vraie nature de Bernadette. Elle y donnait la réplique à Donald Pilon.

On voit ici Micheline entourée de l’équipe du film Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause, sorti en 2003: Lucie Laurier, le producteur Luc Vandal, le réalisateur Sébastien Rose, le producteur Roger Frappier et Sylvie Moreau.

L’actrice et sa fille, Simone, aux Gémeaux, en 2003.
