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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Les patriotes étaient-ils nationalistes?

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Martin Lavallée

2024-05-17T04:05:00Z
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La Journée nationale des patriotes est célébrée, à juste titre, comme le combat de nos ancêtres pour l’obtention d’institutions véritablement démocratiques. En la célébrant, nous célébrons par le fait même les précurseurs de notre démocratie représentative actuelle. Toutefois, pourquoi les patriotes voulaient-ils des institutions démocratiques?

Pendant longtemps, les historiens ont vu dans le mouvement patriote un mouvement national canadien d’origine française luttant contre le colonisateur britannique, qui dominait politiquement au Bas-Canada (Québec). Par exemple, selon l’historien Maurice Séguin, pour qui les nations constituaient les principaux acteurs de l’histoire, 1837-1838 représentait un «double soulèvement», qui était lui-même le résultat d’une lutte politique entre deux nations pour la prépondérance au Bas-Canada. 

Peinture de Charles Alexander Smith représentant Louis-Joseph Papineau haranguant la foule lors de l’Assemblée des six-comtés de Saint-Charles-sur-Richelieu, en octobre 1837.
Peinture de Charles Alexander Smith représentant Louis-Joseph Papineau haranguant la foule lors de l’Assemblée des six-comtés de Saint-Charles-sur-Richelieu, en octobre 1837. Domaine public

Ces dernières décennies, c’est surtout le discours libéral ou républicain des patriotes qui est mis de l’avant, négligeant parfois son aspect national, lorsque ce dernier n’est pas tout simplement nié. Pour certains, le nationalisme semble perçu de façon négative et il serait plus vertueux que les patriotes se soient battus pour des idéaux politiques que pour défendre et promouvoir une nation d’origine et de culture française.

Pourquoi le nationalisme, qui était autrefois un phénomène émancipateur et vecteur de démocratie, est-il ainsi discrédité de nos jours? Il y a sans doute différents facteurs, dont certains propres au Québec, subordonnés au projet multiculturel canadien. D’autres sont sûrement attribuables à la mondialisation néolibérale, qui uniformise et considère les nationalismes comme des phénomènes de repli sur soi et d’exclusion de l’autre.

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Malgré la perte de popularité du phénomène, il m’est d’avis qu’il faudrait revisiter le nationalisme des patriotes dans des recherches méticuleuses. En attendant, cherchons quelques signes démontrant que le mouvement que nous célébrons ces jours-ci était animé, entre autres, par des aspirations nationales... 

Le Vieux de ‘37, célèbre dessin d’Henri Julien représentant un habitant canadien prenant les armes, en 1837.
Le Vieux de ‘37, célèbre dessin d’Henri Julien représentant un habitant canadien prenant les armes, en 1837. Domaine public

Le nationalisme des patriotes

Le sociologue et historien Guy Hermet définit le nationalisme comme étant mû «par un sentiment national fort de la part d’un individu, d’un groupe ou d’une population». Ce sentiment, loin d’être négatif ou xénophobe, était plutôt affirmatif et a mené à la création de nombreux États-nations au cours de l’histoire, particulièrement au 19e siècle. Est-ce que les patriotes étaient animés d’un tel sentiment national dans la décennie 1830?

Voici quelques faits et exemples qui m’amènent à penser que oui:

  • La devise du journal Le Canadien, principal organe de défense des Canadiens (français) dans le premier tiers du 19e siècle, était «Nos institutions, notre langue et nos lois», démontrant un attachement à la culture héritée de la Nouvelle-France.
  • Les Canadiens et les patriotes se sont farouchement opposés aux projets d’union des Canadas en 1808, 1822 et aussi en 1840. Ces projets émanant de l’oligarchie coloniale visaient à court-circuiter la majorité canadienne à l’Assemblée en la noyant dans une députation britannique. Si leur nationalité particulière n’avait pas compté, pourquoi s’opposer à ces projets d’union?
  • Denis-Benjamin Viger, principal penseur du mouvement patriote et cousin de Papineau, affirmait, en 1831, que «nulle nation ne veut obéir à une autre», réclamant par là le droit pour les Canadiens de se gouverner eux-mêmes.
  • La résolution 52 des 92 résolutions envoyées à Londres précise que «la majorité des habitants du pays n’est nullement disposée à répudier aucun des avantages qu’elle tire de son origine et de sa descendance de la nation française».
  • L’hymne des Fils de la Liberté, composé par Georges-Étienne Cartier en 1835, s’appelait Avant tout, je suis Canadien, démontrant la conscience nationale des Canadiens de l’époque.
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Le slogan du journal Le Canadien était «Nos institutions, notre langue et nos lois», démontrant l’attachement à la culture héritée de la Nouvelle-France.
Le slogan du journal Le Canadien était «Nos institutions, notre langue et nos lois», démontrant l’attachement à la culture héritée de la Nouvelle-France. BAnQ

Nous pourrions multiplier les exemples et faits qui dénotent un fort sentiment national au sein du mouvement patriote.

Certes, ce mouvement n’était pas monolithique et plusieurs motivations diverses ont pu se cristalliser et former un tout contre l’adversaire commun dans la décennie 1830. Le mouvement était en outre inclusif, et des individus d’origine britannique, comme les frères Nelson, ont épousé la cause patriote. Il semble néanmoins qu’une des motivations principales était nationale, autant chez les élites que chez les habitants.

Les combats politiques successifs entre la majorité canadienne (française) à l’Assemblée et l’oligarchie coloniale britannique ont permis progressivement la formation d’une conscience nationale chez le peuple canadien qui, inspiré par d’autres mouvements similaires ailleurs dans le monde atlantique, voulait se gouverner lui-même.

Terminons en citant l’historien Jean-Paul Bernard, qui a bien cerné dans les années 1970 le caractère national des revendications politiques des patriotes: «Dans un pays où l’oligarchie n’a pas la même nationalité que l’ensemble de la population, la revendication pour les droits de la majorité est en même temps une revendication nationale.»

Bonne fête des Patriotes!

Courtoisie
Courtoisie

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