Les grandes réalisations du gouvernement libéral d’Adélard Godbout : le prélude un peu oublié de la Révolution tranquille

Martin Lavallée
Si la Révolution tranquille se caractérise en grande partie par des réformes étatiques et sociales importantes, le règne d’Adélard Godbout, de 1939 à 1944, constitue une parenthèse au sein des années Duplessis et représente un prélude aux années 1960.
Adélard Godbout est né en 1892 dans une famille de cultivateurs du Bas-Saint-Laurent. Il est le treizième d’une grande fratrie de 20 enfants. Agronome de formation, il devient professeur à l’école d’agriculture de La Pocatière avant de se lancer en politique provinciale pour le Parti libéral, en 1929.
Il sera ministre de l’Agriculture sous le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau, puis il remplace brièvement ce dernier comme premier ministre en 1936 après le scandale des comptes publics qui force Taschereau à démissionner. Après un court règne de l’Union nationale de Maurice Duplessis de 1936 à 1939, Godbout réussit à faire élire son parti aux élections d’octobre 1939.
Malgré le contexte tendu par la guerre et la crise de la conscription, qui contribuera à sa défaite aux élections de 1944, le règne de Godbout sera marqué par quelques réformes significatives, dont le droit de vote aux femmes (1940), qui préfigurent la Révolution tranquille. Voici quelques-unes de ces importantes réformes qui rompent avec le conservatisme social et économique du régime Duplessis.

L’école obligatoire (1943)
L’obligation pour les enfants de fréquenter l’école était une question débattue depuis le 19e siècle au Québec. Toutefois, la mesure répugnait au clergé catholique, qui était chargé de l’instruction des francophones dans la province en l’absence d’un ministère dédié à l’instruction publique. Pour le clergé de l’époque, l’éducation est une prérogative qui appartient aux parents et non à l’État.
Toutefois, les besoins d’un monde du travail avec une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée et des études qui démontrent l’abandon scolaire d’une frange importante des élèves convainquent le comité catholique du Conseil de l’instruction publique, à la fin de 1942, d’appuyer le gouvernement d’Adélard Godbout. Ce dernier adopte ainsi, le 26 mai 1943, la Loi sur la fréquentation scolaire obligatoire, qui oblige désormais les jeunes à fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 14 ans.

Hydro-Québec (1944)
La volonté de ne pas laisser le secteur de plus en plus névralgique de l’électricité à de grandes entreprises privées monopolistiques (les trusts) a contribué à ce que le gouvernement Godbout étatise partiellement l’électricité en 1944. Du même coup, près d’une vingtaine d’années avant le «Maîtres chez nous» de l’équipe de Jean Lesage, le gouvernement Godbout crée une nouvelle société d’État: Hydro-Québec. Pour ce faire, le gouvernement a dû exproprier et étatiser la Montreal Light, Heat and Power Consolidated, qui détenait le monopole du gaz et de l’électricité dans la région de Montréal et dont les tarifs étaient jugés trop élevés.
La nouvelle société d’État doit notamment s’assurer d’offrir des tarifs plus bas et électrifier les campagnes québécoises.
Loi sur les relations ouvrières (1944)
Les premières décennies du 20e siècle voient la société québécoise s’urbaniser et s’industrialiser rapidement. Dans ce contexte, une frange importante de la population passe de la terre agricole à l’usine, et de nombreux conflits de travail ont lieu. Certains employeurs ne reconnaissent pas les syndicats et refusent la négociation. Le gouvernement d’Adélard Godbout adopte donc, en 1944, la Loi sur les relations ouvrières. Cette nouvelle loi fournit notamment un cadre pour les relations de travail et la négociation des conventions collectives en obligeant les employeurs à négocier de bonne foi avec un syndicat formant plus de 60% des travailleurs d’une usine. Elle permettra une nette amélioration des conditions de travail des ouvriers au Québec.
Plusieurs autres mesures mises de l’avant par les libéraux de Godbout, de 1939 à 1944, sont des signes avant-coureurs de la Révolution tranquille. Notons la Loi sur les allocations familiales ou la tentative de créer un régime d’assurance-maladie québécoise, qui préfigurent toutes deux l’État-providence qui sera mis en place dans les années 1960.
Pour un portrait plus complet de Godbout, voir la biographie écrite par Jean-Guy Genest, chez Septentrion, ou l’article de Dominique Foisy-Geoffroy, en ligne, sur le Dictionnaire biographique du Canada.