La profession de sage-femme à l’époque de la Nouvelle-France

Évelyne Ferron
Dans l’histoire de la Nouvelle-France, les métiers strictement féminins sont rares, si ce n’est dans l’univers des soins aux malades et de l’aide à l’accouchement.
En effet, si plusieurs soins médicaux sont réservés aux médecins ou aux Augustines de l’Hôtel-Dieu, l’univers de la naissance appartient quant à lui à la sphère privée, donc entre les mains des femmes, qui se transmettent leurs savoirs de génération en génération.
Une profession féminine depuis l’Antiquité
Ce métier féminin est réservé aux femmes depuis l’Antiquité. En effet, que nous pensions à l’Égypte ancienne, au monde grec, au monde romain ou même à la Chine, ce sont les femmes qui pratiquent les accouchements et qui développent les connaissances au fil du temps pour que ces derniers se passent le mieux possible, avec le moins de pertes de vie possible.

Les Romains ont par ailleurs illustré à de nombreuses reprises, notamment sur des bas-reliefs funéraires, les sages-femmes au travail. C’est entre autres le cas de l’épitaphe de Scribonia Attice, qui pratiquait des accouchements à Rome, dans le secteur d’Ostia Antica, au 2e siècle de notre ère. Sur sa tombe, on retrouve un relief sculpté dans le marbre qui la montre en train de mettre un enfant au monde, démontrant ainsi le métier qu’elle a exercé toute sa vie et célébré ainsi pour l’éternité.
Au Moyen-Âge, les femmes sont très souvent associées aux soins et plusieurs peuvent même pratiquer la médecine. Nous avons des exemples venant entre autres de l’Allemagne et de l’Italie.
Au cours du 13e siècle toutefois, avec la standardisation de diplômes universitaires pour les médecins, la situation des femmes dans ce domaine s’est grandement complexifiée. Plusieurs archives datant de cette époque ou des subséquentes nous démontrent que la pratique de la médecine non homologuée par les universités peut désormais mener à l’excommunication des soignants et des soignantes ou, vers le 15e siècle, vers des accusations de sorcellerie pour de nombreuses femmes.
Un seul domaine reste entre les mains des femmes laïques dans les villages partout en Europe et graduellement dans les colonies: celui de l’accouchement.

Une tradition qui se poursuit jusqu’en Nouvelle-France
En Nouvelle-France, les soins médicaux sont assurés très tôt par les Augustines à l’Hôtel-Dieu de Québec. Plus la colonie se développe, plus les intervenants laïques font aussi partie de l’univers des soins de santé. Des apothicaires ont des boutiques à même leur maison, comme ce fut le cas, à titre d’exemple, de Claude Boîteux de Saint-Olive à Montréal.
Dans les villages fondés graduellement dans la vallée du Saint-Laurent, l’accès aux médicaments dans les débuts de la Nouvelle-France semble souvent avoir été via le presbytère. Au-delà de ces spécialistes des soins, homologués par les universités ou l’Église, la Nouvelle-France a aussi ses guérisseurs, «ramancheurs» et surtout, ses sages-femmes. Même si les communautés religieuses assurent les soins, la question de l’accouchement reste pendant longtemps une affaire privée et domestique en Nouvelle-France et les femmes enceintes ne vont pas à l’Hôtel-Dieu pour accoucher. Les médecins n’interviennent qu’en cas de complications graves et dans les villages les plus reculés, cette option n’est pas envisageable. En Nouvelle-France, comme dans de très nombreuses régions du monde, les savoirs quant à l’accouchement et ses suites se transmettent ainsi entre femmes, au gré des générations.

Si les femmes accouchent généralement à la maison avec l’aide de leurs voisines, de leurs sœurs et de leurs filles aînées, certaines développent une véritable spécialité et sont alors reconnues comme des sages-femmes. Une des premières sages-femmes officielles de la ville de Québec, si elle n’est pas la première de la colonie, est Marguerite Langloise et elle travaille comme «accoucheuse» dès 1654. En 1655, sa nièce, Hélène Desportes, est officiellement reconnue comme sage-femme et elle veille aux accouchements des femmes de la ville de Québec jusqu’en 1672. Elles peuvent ainsi être connues comme les premières sages-femmes officielles de la Nouvelle-France.
Ces femmes pratiquent avec l’approbation de l’Église, souvent élues dans leur paroisse, mais en 1722, le métier se modernise davantage. Une première femme arrive de Paris comme sage-femme du roi! Elle se nomme Madeleine Bouchette, est payée par le roi de France pour ses services et a pour mission de s’occuper des sages-femmes de la colonie. Un nouveau pan du métier d’accoucheuse, plus officiel, s’ouvre alors et ce n’est qu’avec la modernisation des soins hospitaliers et la mise en place de lois officielles au 19e et au 20e siècle, que les accouchements migrent graduellement vers les hôpitaux au Québec.