L'historien Maurice Séguin: l'homme qui a influencé le Québec par l'Histoire

Martin Lavallée
Le rôle d’un historien est de fouiller les traces du passé pour reconstituer celui-ci le plus fidèlement possible. Par la suite, généralement par l’écrit, il cherche à le faire connaître à ses contemporains. Cependant, certains historiens vont plus loin : en plus de faire connaître le passé, ils tentent de le faire comprendre. Ça a été le cas de Maurice Séguin, que même René Lévesque considérait comme l’un des « grands maîtres » de notre histoire.
Professeur à l’Université de Montréal, Maurice Séguin (1918-1984) a marqué toute une génération d’étudiants et d’intellectuels québécois durant l’après-guerre. Avec les historiens Guy Frégault et Michel Brunet, Séguin appartenait à l’École historique de Montréal et a contribué à forger un récit cohérent et explicatif du parcours des Québécois au milieu du 20e siècle. À ce titre, il est considéré comme le théoricien du néonationalisme, courant qui dominera l’esprit de la Révolution tranquille.
Voici les principaux moments (un peu oubliés de nos jours) qui structurent notre histoire et nous permettent de comprendre notre parcours collectif, selon Maurice Séguin.
La Conquête britannique : une « catastrophe » !
Chez Séguin, la Conquête britannique de 1760 constitue LE moment déterminant de l’histoire du peuple québécois en terre d’Amérique. C’est le moment où ce peuple perd sa mère-patrie naturelle, la France, pour se retrouver sous la tutelle d’une métropole étrangère : l’Angleterre. Il s’agit d’un véritable déracinement pour les ancêtres des Québécois, un « désastre majeur » où ils perdent ce que Séguin appelle « l’agir par soi collectif », c’est-à-dire la liberté de se développer de façon autonome. Les Britanniques sont désormais les nouveaux maîtres du Canada et ceux qui orientent ses destinées !

1837 : un « double soulèvement »
Malgré la Conquête, remarque Séguin, les francophones forment l’écrasante majorité de la population durant les premières décennies du régime britannique, ce qui oblige Londres à faire certaines concessions, comme l’octroi du Bas-Canada, un territoire politique où ils peuvent élire leurs députés. Cet octroi n’est toutefois qu’une façade. En effet, majoritaires à l’Assemblée législative, les députés canadiens ne peuvent gouverner la colonie à leur guise, car leurs projets nationaux sont opposés à ceux des autorités britanniques qui détiennent le réel pouvoir dans la colonie. Ce choc d’intérêt entre les deux groupes nationaux du Bas-Canada conduit progressivement à ce que Séguin a appelé le « double soulèvement » de 1837, qui voit l’armée britannique réprimer sévèrement le mouvement patriote.
1840 et 1867 : l’annexion politique
En 1840, l’immigration soutenue depuis la Conquête fait en sorte que la population britannique est désormais supérieure à la population d’origine française dans le Haut et le Bas-Canada (Ontario et Québec actuels). Londres en profite pour annexer le Bas-Canada au Haut-Canada et ainsi mettre la population d’origine française en minorité politique une bonne fois pour toutes. Pour Séguin, la Confédération de 1867 viendra ensuite consolider l’annexion de 1840 et « la prépondérance britannique dans l’exercice des grands pouvoirs ».
Les Canadiens d’origine française sont désormais subordonnés à la volonté politique des autorités britanniques et canadiennes-anglaises. Exclus du grand commerce, des capitaux et menacés d’assimilation, ils se replient alors dans l’agriculture, la religion et la survivance culturelle pendant plus d’un siècle.

Retrouver l’autonomie perdue
Au milieu du 20e siècle, les Québécois décident de sortir de la survivance et de s’émanciper collectivement. L’interprétation de notre histoire de Maurice Séguin va alors donner des munitions au mouvement souverainiste naissant et à ce désir d’émancipation nationale. Car pour Séguin, l’indépendance politique constitue le seul moyen pour les Québécois de retrouver « l’agir par soi collectif » perdu en 1760.
Dès lors, la quête de la jeune génération souverainiste est de retrouver à tout prix cette autonomie perdue.
À ce jour, malgré quelques tentatives, cette quête n’a toujours pas été accomplie...