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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

[PHOTOS] Les écoles ménagères, témoins d’un Québec en changement

Deux élèves finissantes de l’école ménagère Brousseau à Saint-Damien, comté de Bellechasse, 1942. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P9703). Photo: Paul Carpentier.
Deux élèves finissantes de l’école ménagère Brousseau à Saint-Damien, comté de Bellechasse, 1942. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P9703). Photo: Paul Carpentier.
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Photo portrait de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (collaboration spéciale)

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (collaboration spéciale)

2023-09-03T04:00:00Z
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Les écoles ménagères ont existé au Québec pendant près de 100 ans. Témoins privilégiés des luttes de pouvoirs reflétant les craintes des élites dirigeantes face à une société en changement, elles représentent également un terrain d’entente entre les féministes et les religieuses. Voici une brève histoire des écoles ménagères. 

1- Les débuts de l’enseignement ménager à Roberval

À la fin du XIXe siècle, on souhaite attirer de nouveaux colons dans la région de Roberval. Le député du Saguenay, Élisée Beaudet, croit que la solution réside en une école pour filles dirigée par les Ursulines de Québec. En 1881, les Ursulines achètent six arpents de terre pour 400$. En septembre 1882, la première école ménagère ouvre ses portes et accueille 25 pensionnaires et 50 externes. Mère Saint-Raphaël en est la supérieure.

École ménagère, Ursulines de Roberval, Lac-Saint-Jean, Québec, carte postale, vers 1920. BAnQ numérique (0002630945).
École ménagère, Ursulines de Roberval, Lac-Saint-Jean, Québec, carte postale, vers 1920. BAnQ numérique (0002630945).

Afin de former des femmes de colons prêtes à affronter la rudesse du territoire, les Ursulines accordent une importance particulière à l’enseignement ménager agricole pratique. Entre 1887 et 1890, l’école gagne en popularité et un édifice plus grand est construit. Deux ans plus tard, le gouvernement provincial commence à s’intéresser au projet et offre des subventions. En 1895, les installations comprennent une ferme, une laiterie, une boulangerie, un poulailler et des métiers à tisser. Plus l’enseignement ménager prend de l’importance, plus les matières classiques en souffrent. L’école offre une formation de huit années qui se termine par l’obtention d’un brevet d’enseignement. Les filles finissent leurs études entre l’âge de 15 et 17 ans.

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Salle d’étude, 3e et 4e divisions, École ménagère, Ursulines de Roberval, Lac-Saint-Jean, Québec, carte postale, vers 1920. BAnQ numérique (0002645308).
Salle d’étude, 3e et 4e divisions, École ménagère, Ursulines de Roberval, Lac-Saint-Jean, Québec, carte postale, vers 1920. BAnQ numérique (0002645308).

Entre 1896 et 1908, l’école propose deux cours distincts: le cours supérieur normal, pour les pensionnaires, et l’école ménagère qui offre une formation aux filles en âge d’aller à l’école primaire. Cette distinction a pour effet d’accentuer les clivages sociaux en divisant les élèves en deux groupes: celles qui pourront accéder aux études supérieures ou obtenir des brevets d’enseignement, et celles qui devront rester à la maison ou travailler dans les métiers manuels dits féminins. Les critiques sont nombreuses. Cela suscite l’adoption du cursus classique ménager de Saint-Pascal-de-Kamouraska en 1908. Un an plus tard, la Loi de l’instruction publique est modifiée en faveur des écoles ménagères et l’école de Roberval est affiliée à l’Université Laval.

2- Marie-Anne Dubé à Saint-Pascal de Kamouraska

La marche des amies à l’occasion du jubilé, mère Marie Consolatrice, Mme Blanche Lajoie Vaillancourt, sœur Sainte-Justine, Mme Charles Gagné, sœur Saint-Jean-Baptiste, Mme Joseph Lavergne, sœur Saint-Ambroise et sœur Sainte-Marie-Armand, Institut Chanoine-Beaudet, 27 août 1955. Archives nationales à Québec (P354, S2). Photographe non identifié.
La marche des amies à l’occasion du jubilé, mère Marie Consolatrice, Mme Blanche Lajoie Vaillancourt, sœur Sainte-Justine, Mme Charles Gagné, sœur Saint-Jean-Baptiste, Mme Joseph Lavergne, sœur Saint-Ambroise et sœur Sainte-Marie-Armand, Institut Chanoine-Beaudet, 27 août 1955. Archives nationales à Québec (P354, S2). Photographe non identifié.

Au début du XXe siècle, pour contrer les maux associés à l’industrialisation et encourager le maintien des valeurs traditionnelles dans le milieu rural, le curé Alphonse Beaudet veut établir une école ménagère à Saint-Pascal. En 1905, les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame ouvrent les portes d’une école dont sœur Sainte-Marie-Vitaline est la supérieure. Le programme classico-ménager intègre les sciences domestiques aux matières de base. Il est également reconnu par le département de l’Instruction publique dès 1911. L’école possède une laiterie, un poulailler, une porcherie, une étable, un rucher, un jardin potager et plusieurs arbres fruitiers. La formation est d’une durée de trois ans et le pensionnat coûte 48$ grâce aux subventions. L’école sera annexée à l’Université Laval en 1908. En 1913, Saint-Pascal propose plusieurs programmes: l’école normale primaire classique ménagère, un programme de quatre ans destiné à former de futures enseignantes; l’école normale ménagère qui offre une spécialisation; et l’enseignement supérieur ménager qui offre un diplôme de l’Université Laval.

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Travaux d’aiguille réalisés par Marie-Anne Dubé à l’école Saint-Pascal, vers 1913. Archives nationales à Québec (P354, S2).
Travaux d’aiguille réalisés par Marie-Anne Dubé à l’école Saint-Pascal, vers 1913. Archives nationales à Québec (P354, S2).

Marie-Anne Dubé (qui prendra plus tard le nom de madame Joseph Lavergne) obtient son diplôme en 1914. Ses cahiers d’étudiante, conservés aux Archives nationales à Québec, nous donnent un aperçu des cours offerts à Saint-Pascal: art de l’éducation, hygiène, médecine domestique, administration domestique, tenue de maison, art culinaire, entretien et confection de lingerie, bienséance, laiterie, soins de basse-cour, horticulture, arboriculture et apiculture. La devise de l’école était «Le labeur vient à bout de tout», ce qui reflète bien le cursus offert. Marie-Anne Dubé semble avoir grandement apprécié son expérience, puisqu’elle sera présente aux diverses réunions d’anciennes élèves et au jubilé de l’École ménagère Chanoine-Beaudet (nom adopté en 1938) en août 1955.

Cahiers d’écolière de Marie-Anne Dubé à l’école Saint-Pascal, 1912-1913. Archives nationales à Québec (P354, S2).
Cahiers d’écolière de Marie-Anne Dubé à l’école Saint-Pascal, 1912-1913. Archives nationales à Québec (P354, S2).

Le cours classico-ménager atteint une certaine renommée et se répand dans plus d’une centaine d’écoles primaires. En 1923, seulement 20% des étudiantes sont des filles de cultivateurs. Il semble que l’orientation agricole soit légèrement décalée par rapport aux besoins réels de la clientèle.

Cours d’art culinaire au pensionnat de Jésus-Marie, Sillery, Québec, vers 1920. Archives nationales à Québec (P354, S2). Photographe non identifié.
Cours d’art culinaire au pensionnat de Jésus-Marie, Sillery, Québec, vers 1920. Archives nationales à Québec (P354, S2). Photographe non identifié.

En 1966, l’École supérieure déménage à l’Université Laval et l’Institut Chanoine-Beaudet continue à donner le cours normal. Aujourd’hui, l’édifice accueille des élèves du secondaire.

Cours agricole, institutrices classiques-ménagères à Saint-Pascal-de-Kamouraska, 1937. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P6). Photographe non identifié.
Cours agricole, institutrices classiques-ménagères à Saint-Pascal-de-Kamouraska, 1937. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P6). Photographe non identifié.

3- Albert Tessier et les écoles ménagères régionales

À partir de 1929, la responsabilité des écoles ménagères passe aux mains du ministère de l’Agriculture et du département de l’Instruction publique. La gestion des écoles relève de comités religieux. Toujours dans le but de freiner l’exode rural, le programme garde une proximité avec l’enseignement ménager agricole.

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L’abbé Carignan causant avec quelques élèves de l’école ménagère La Ruche de Limoilou, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67822). Photo: Fernand Rivard.
L’abbé Carignan causant avec quelques élèves de l’école ménagère La Ruche de Limoilou, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67822). Photo: Fernand Rivard.

En 1937, l’abbé Albert Tessier, un ami de Maurice Duplessis, est nommé «visiteur des écoles ménagères». 

L’enseignement ménager est en restructuration. Il devient obligatoire dans les écoles primaires. Cette même année, on compte 16 écoles ménagères régionales. Elles offrent une formation de trois ans permettant d’enseigner les sciences ménagères dans les écoles publiques et sont accessibles aux filles ayant terminé leur 9e année. Une formation familiale de deux ans, axée sur la préparation aux fonctions de mère et d’épouse, est aussi offerte aux jeunes filles ne répondant pas aux critères scolaires.

D’après l’historienne Marilyne Brisebois, «ce renouveau de l’enseignement ménager s’inscrit dans le contexte de développement du mouvement familial, qui pose un diagnostic de crise de la famille canadienne-française, surtout urbaine1». Il répond, en partie, à des inquiétudes liées aux activités professionnelles des femmes et à leurs répercussions sur la famille.

Jeunes filles aux cours d’horticulture avec l’abbé Albert Tessier au couvent Sainte-Ursule à Louiseville, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67838). Photo: Fernand Rivard.
Jeunes filles aux cours d’horticulture avec l’abbé Albert Tessier au couvent Sainte-Ursule à Louiseville, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67838). Photo: Fernand Rivard.

Le nouveau programme, élaboré par l’abbé Tessier et le franciscain Alcantara Dion entre 1938 et 1941, reprend en partie celui du primaire supérieur des écoles publiques. Cependant, les matières sont «féminisées» selon les vues de l’époque: la chimie est alimentaire, la comptabilité est domestique, etc. Il ajoute aussi des matières «féminines et familiales», telles que la pédagogie, la psychologie et la spiritualité familiale. L’objectif est d’éduquer les jeunes filles à adhérer au rôle qu’elles doivent jouer dans la famille et dans la société. Ce nouveau programme est obligatoire pour les filles de tous âges à l’école publique. On s’éloigne de la concentration agricole pour mieux s’implanter dans les milieux urbains.

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4- Les écoles ménagères en pleine expansion

La période des années 1910 à 1940 marque l’âge d’or des écoles ménagères. Le nombre d’écoles régionales se multiplie grâce au financement gouvernemental: Sainte-Anne-de-Bellevue, Montebello, Sutton, Gaspé et Saint-Damien-de-Buckland en 1907; Mont-Joli en 1912; Nominingue, Sainte-Ursule (Maskinongé), Saint-George-de-Beauce, Loretteville et Sainte-Martine (Châteaugay) en 1916; Montréal en 1923; Cap-de-la-Madeleine en 1926; Nicolet et Saint-Jacques (Montcalm) en 1929.

La section de l’art culinaire à l’école ménagère pratique de Québec, 17 mars 1943. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P11140). Photo: Raymond Audet.
La section de l’art culinaire à l’école ménagère pratique de Québec, 17 mars 1943. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P11140). Photo: Raymond Audet.

De plus, on compte à la même époque plusieurs écoles ménagères locales. Par exemple, la ville de Québec possédait déjà sa propre école ménagère pratique au 114, rue Saint-Cyrille dès 1911. En 1948, on compte 104 écoles ménagères tous niveaux confondus. Le programme tient compte de l’environnement et de la clientèle et s’adapte aux besoins des différents milieux. En ville, les établissements sont généralement équipés d’une cuisine moderne, d’une buanderie, de machines à coudre et de répliques d’un foyer moderne. On y donne également des cours de décoration d’intérieur et de service domestique. 

Initiation au service domestique, section service de table à l’école ménagère pratique de Québec, 114, rue Saint-Cyrille, 17 mars 1943. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P11143). Photo: Raymond Audet.
Initiation au service domestique, section service de table à l’école ménagère pratique de Québec, 114, rue Saint-Cyrille, 17 mars 1943. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P11143). Photo: Raymond Audet.

À l’exposition provinciale de 1943, on trouve un kiosque des écoles ménagères régionales. Ceci témoigne de leur notoriété. 

Exposition provinciale de Québec: vue d’ensemble du stand des écoles ménagères, août 1943. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P15096). Photo: Raymond Audet.
Exposition provinciale de Québec: vue d’ensemble du stand des écoles ménagères, août 1943. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P15096). Photo: Raymond Audet.

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5- Un cas particulier: l’École ménagère provinciale

L’École ménagère provinciale détient un statut particulier puisqu’elle est laïque, indépendante et régie par un conseil d’administration. Elle est fondée en 1907 par des femmes associées à la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, sur la rue Sherbrooke Est à Montréal. Ses deux premières directrices, Jeanne Anctil et Antoinette Gérin-Lajoie, se sont inspirées des modèles européens, particulièrement suisses. L’école, dont les critères de sélection sont plus élevés que ceux des écoles régionales, offre un cours normal et ménager aux filles ayant terminé leur 11e année scolaire.

Cette école accorde une importance particulière aux travaux pratiques. Ainsi, les élèves développent les compétences nécessaires à l’obtention d’un emploi manuel féminin. Les finissantes obtiennent un diplôme leur permettant d’enseigner les sciences ménagères. L’école propose également des cours postscolaires offerts en journée ou le soir. Il semble aussi qu’elle entretenait plusieurs partenariats avec des milieux d’emploi féminins, par exemple des pouponnières, afin d’offrir des visites et des stages. La majorité de ses étudiantes sont issues de la classe aisée.

École ménagère provinciale, Secrétariat provincial (costume tailleur), juin 1950. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D49916-49921). Photo: Jacques Desjardins.
École ménagère provinciale, Secrétariat provincial (costume tailleur), juin 1950. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D49916-49921). Photo: Jacques Desjardins.

En 1950, l’école ne décerne plus de diplômes servant à l’enseignement au Québec. Cependant, le diplôme est encore reconnu à l’extérieur de la province, ce qui n’est pas le cas de ceux des écoles ménagères régionales. En 1953, elle devient l’École des sciences ménagères de Montréal et offre une équivalence au diplôme des instituts familiaux. En 1957, elle fête son jubilé. Pour l’occasion, un défilé de mode, un banquet et une messe sont organisés. 

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École ménagère provinciale, ministère de la Jeunesse (costume tailleur), mai 1950. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D49807-49810). Photo: Joseph Guibord.
École ménagère provinciale, ministère de la Jeunesse (costume tailleur), mai 1950. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D49807-49810). Photo: Joseph Guibord.

En 1959, l’école est annexée à l’Université de Montréal, plus spécifiquement à l’Institut de diététique. Des démarches avaient été entreprises depuis 1951 afin de mettre sur pied un programme universitaire de sciences ménagères. Cependant, en 1966, la formation n’est déjà plus offerte. 

6- Des femmes dépareillées: les sœurs LeBlanc

L’exemple des sœurs Éveline et Estelle LeBlanc démontre un parcours à contre-courant des normes sociales de leur époque. Elles sont célibataires, laïques et mènent une carrière dans l’enseignement ménager. Elles sont, en quelque sorte, à l’opposé du discours sur l’importance de la famille qu’elles véhiculent. Dans un contexte où les femmes sont congédiées lorsqu’elles se marient, elles ne sont pas les seules à faire le choix de rester célibataires afin de mener une carrière, en particulier dans le milieu de l’enseignement. Pour les mêmes raisons, certaines femmes font le choix d’entrer au couvent.

Élèves de l’école ménagère Brousseau à Saint-Damien, comté de Bellechasse, 1942. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P9720). Photo: Paul Carpentier.
Élèves de l’école ménagère Brousseau à Saint-Damien, comté de Bellechasse, 1942. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P9720). Photo: Paul Carpentier.

Diplômée de Saint-Pascal de Kamouraska et de l’Université Laval autour de 1915, Éveline LeBlanc devient la première technicienne en sciences domestiques au ministère fédéral de l’Agriculture en 1923. En 1944, elle est nommée chef du Service de l’enseignement ménager au département de l’Instruction publique. Elle sera la seule femme chef d’un département et militera toute sa carrière pour un enseignement ménager qui mène au marché de l’emploi. Elle quitte son poste en 1948 et devient conférencière et animatrice radio sur les ondes de Radio-Canada. En 1949, elle est nommée doyenne des étudiantes à l’Université d’Ottawa.

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Éveline LeBlanc, 10 mai 1960. Archives nationales à Gatineau (P174, S1, D20025). Photo: Champlain Marcil.
Éveline LeBlanc, 10 mai 1960. Archives nationales à Gatineau (P174, S1, D20025). Photo: Champlain Marcil.

Ayant obtenu les mêmes diplômes que sa sœur, Estelle LeBlanc travaille comme experte en économie domestique au ministère fédéral de l’Agriculture pendant 12 ans. Par la suite, elle est institutrice d’économie domestique au ministère des Pêcheries du Canada pendant 10 ans. En 1937, elle enseigne l’art culinaire à l’École ménagère provinciale et publie plusieurs manuels. En 1939, elle devient la première présidente de l’Association des techniciennes laïques des sciences ménagères. Entre 1946 et 1952, elle est directrice de l’École ménagère provinciale. En 1951, elle est vice-présidente de la Canadian Home Economics Association. À la suite de son départ de l’École ménagère, elle anime une émission sur les ondes de Radio-Canada intitulée: Estelle LeBlanc vous propose. Au cours de sa carrière, elle a prononcé un grand nombre de conférences et a participé à des congrès internationaux.

École ménagère provinciale. La directrice de l’École, Estelle LeBlanc, est entourée de ses étudiantes lors de la visite d’une pouponnière, janvier 1951. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D51624-51631). Photo: Jacques Desjardins.
École ménagère provinciale. La directrice de l’École, Estelle LeBlanc, est entourée de ses étudiantes lors de la visite d’une pouponnière, janvier 1951. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D51624-51631). Photo: Jacques Desjardins.

7- La question des diplômes et l’accès au marché de l’emploi

Si les sœurs LeBlanc militent pour un enseignement qui mène à l’emploi, cela ne fait pas l’unanimité au Québec. En effet, l’abbé Tessier, visiteur des écoles ménagères pour le gouvernement, s’y oppose fortement. Pourtant, la société est en plein changement et le travail des femmes commence à s’implanter. On assiste alors à un débat idéologique entre deux camps: le premier, souhaitant préparer les jeunes femmes à leur rôle d’épouses et de mères; le second, souhaitant également les préparer au marché du travail. Les pressions se font également sentir du côté des étudiantes et de leurs familles. D’après Nicole Thivierge, les écoles ménagères régionales accordent des diplômes d’enseignement parce que les sœurs enseignantes veulent augmenter le recrutement. D’après elles, les parents ne veulent pas payer des études visant uniquement un apprentissage ménager.

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Jeune fille conversant avec des enfants à l’école ménagère des sœurs Saint-Joseph à Saint-Vallier, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67830). Photo: Fernand Rivard.
Jeune fille conversant avec des enfants à l’école ménagère des sœurs Saint-Joseph à Saint-Vallier, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67830). Photo: Fernand Rivard.

À l’automne 1948, un conflit éclate entre Éveline LeBlanc et l’abbé Tessier. Ce dernier affirme que la situation est le résultat d’«une grave évolution physiologique, [...] à la fatigue et au déséquilibre de la ménopause» d’Éveline LeBlanc. Elle remet en question la hiérarchie de genre dans le milieu du travail, ce qui est perçu par les autorités comme une menace. D’après Tessier, elle serait également de connivence avec sa sœur Estelle et le groupe laïcisant de l’École ménagère provinciale. Les revendications d’Éveline LeBlanc sont soutenues par les religieuses enseignantes. Cette lutte de pouvoir mènera au renvoi de Mme LeBlanc. Son poste est repris par l’abbé Tessier. Plusieurs critiquent le ridicule d’un service de l’enseignement ménager dirigé par un homme.

Jeune fille étudiant à l’école ménagère La Ruche à Limoilou, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67814). Photo: Fernand Rivard.
Jeune fille étudiant à l’école ménagère La Ruche à Limoilou, 1948. Archives nationales à Québec (E6, S7, SS1, P67814). Photo: Fernand Rivard.

8- Un essoufflement: les instituts familiaux

Les écoles ménagères régionales prendront le nom d’écoles supérieures d’enseignement ménager en 1949, puis d’instituts familiaux en 1951. Ayant maintenant le plein contrôle sur l’enseignement ménager, l’abbé Tessier réforme le programme pour en évacuer la formation pratique. Si, à la fin des années 1940, elle occupait 95% du programme, elle diminue à 40% pendant les années 1950. Des matières comme la religion et la spiritualité féminine, la pédagogie familiale et la psychologie féminine prennent sa place. Au tournant des années 1950, les instituts familiaux d’Albert Tessier sont en décalage avec la société moderne.

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Les élèves à la sortie de l’École ménagère, Saint-Jacques de Montcalm, 1956. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D210032-210048). Photo: W. N.
Les élèves à la sortie de l’École ménagère, Saint-Jacques de Montcalm, 1956. Archives nationales à Montréal (E6, S7, SS1, D210032-210048). Photo: W. N.

Finalement, la commission Parent, en 1961, annonce la fin des écoles ménagères. Dans la seconde moitié des années 1960, les baisses d’inscriptions et de subventions entraînent leurs fermetures progressives. Cependant, des cours d’économie familiale, un vestige de cette époque, seront obligatoires dans les écoles secondaires jusqu’en 1997.


Un texte de Camille G. Jobin, stagiaire à la diffusion, Bibliothèque et Archives nationales du Québec

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  • Vous pouvez également lire nos textes produits par la Société historique de Québec en cliquant ici. 

Bibliographie

  • BRISEBOIS, Marilyne, «L’enseignement ménager au Québec: entre “mystique” féminine et professionnalisation, 1930-1960», Recherches féministes, vol. 30, no 2, 2017, p. 17-37.
  • BRISEBOIS, Marilyne, Former et être formée au travail domestique – L’enseignement ménager et la couture à l’école publique québécoise (1937-1969), thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 2022, 310 p.
  • DUMONT, Micheline, et Andrée DUFOUR, Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours, Montréal, Boréal, 2004, 228 p.
  • MATHIEU, Jocelyne, «L’éducation familiale et la valorisation du quotidien des femmes au XXe siècle», Les Cahiers des Dix, no 57, 2003, p. 119-150.
  • THIVIERGE, Nicole, Histoire de l’enseignement ménager au Québec, 1882-1970, Institut québécois de recherche sur la culture, 1982, Québec, 472 p.

1 Marilyne Brisebois. «L’enseignement ménager au Québec: entre “mystique” féminine et professionnalisation, 1930-1960», Recherches féministes, vol. 30, no 2, 2017, p. 25.

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