Un véritable empire du sexe : cette jeune ingénieure «regrette d’avoir codé Pornhub, vu ce que c’est devenu»
Celle qui a construit la plateforme XXX à partir de zéro se confie

Nora T. Lamontagne, Jean-François Cloutier et Nicolas Brasseur
Des années après avoir programmé la première version de Pornhub, Dana Farhat s’en veut d’avoir contribué à créer un monstre de la pornographie aujourd’hui accusé de toutes parts.
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«À l’époque, je ne pensais pas que des gens pourraient s’en servir pour faire du mal. J’étais jeune...», laisse tomber au bout du fil la programmeuse aujourd’hui âgée dans la trentaine.
Elle est l’une des rares ex-employées de la première heure à témoigner de son expérience à visage découvert.
Depuis son départ de la compagnie en 2009, Pornhub et sa société mère ont été visés par plus d’une dizaine de poursuites en lien avec le contenu qu’ils ont distribué à des millions d’internautes: de la pédopornographie, des images intimes diffusées non consensuellement, des viols...
Dans L’empire du sexe, notre Bureau d’enquête se penche sur le sombre passé et les dérives de cette entreprise basée à Montréal.
Pour ce faire, nous avons épluché des milliers de pages de documents judiciaires, fouillé les tréfonds du web et interviewé des dizaines de personnes qui ont gravité autour de l’entreprise derrière Pornhub, dont Dana Farhat.

Un succès instantané
Engagée juste après l’obtention de son diplôme en génie logiciel de l’Université Concordia, Dana Farhat est vite affectée au développement de Pornhub.
Dans la jeune vingtaine, avec ses longs cheveux lissés au fer plat, la jeune Libanaise détonne dans le département informatique qui ne compte que des hommes. Ses collègues l’ignorent, mais elle n’a alors pas encore eu sa première relation sexuelle, raconte-t-elle.
Nous sommes en 2007 et la compagnie plutôt méconnue Mansef, son employeur, veut lancer un genre de YouTube de la pornographie alors que le modèle de sites gratuits gagne en popularité dans l’industrie.
L’idée est de Matt Keezer, un geek montréalais devenu associé des propriétaires de Mansef après les avoir rencontrés dans un tournoi de baby-foot.
Après des semaines de travail intense, Dana Farhat, un autre programmeur et un designer graphique mettent la touche finale à une plateforme de partage de contenu baptisée Pornhub.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l'émission d’Isabelle Maréchal, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
En quelques semaines, le site atteint 1 million de visites par jour, à la surprise générale.
«On n’avait aucune idée que ça allait exploser. Les gens capotaient parce qu’ils pouvaient voir de la porn gratuitement», se rappelle Dana Farhat, qui garde un excellent souvenir de cette époque.
Se laver de ses péchés
Selon ses impressions, les rares demandes de retrait de contenu étaient rapidement exaucées. «On ne s’obstinait pas», dit l’ingénieure.
C’était avant que la modération ne soit transférée à Chypre et que les employés aient des quotas de centaines de vidéos à réviser par jour.
Dans les mois suivant le lancement de Pornhub, Dana Farhat s’applique à programmer la section commentaire, à améliorer les pages des vidéos et à développer une version mobile du site.
«J’ai construit des éléments clés du site, je me sens mal qu’ils aient été utilisés [à mauvais escient]. [...] Je regrette d’avoir codé Pornhub, vu ce que c’est devenu», affirme-t-elle avec le recul.
Aujourd’hui, Dana Farhat travaille pour une compagnie de paiement en Californie qui aide les organismes à but non lucratif à faire des collectes de fonds.
«J’essaie de me repentir de mes péchés», dit-elle, à moitié sérieuse.
Elle a aussi écrit Coding Pornhub, l’histoire de son passage chez Mansef.