Hells Angels: le début de la fin de Maurice «Mom» Boucher en 72 heures
L'ex-chef des motards était épié par la police entre le moment où elle a arrêté Stéphane «Godasse» Gagné et où Boucher a appris que son homme de main était devenu délateur
Eric Thibault et Jean-Louis Fortin
Vingt-cinq ans avant Frédérick Silva, qui aide présentement la police à résoudre une soixantaine de complots de meurtre, la justice québécoise a eu recours à un autre célèbre délateur. Au tournant des années 2000, Stéphane «Godasse» Gagné a permis de mettre hors d’état de nuire le chef des Nomads, Maurice «Mom» Boucher, au terme de deux procès spectaculaires. Notre Bureau d’enquête dévoile des détails inédits de cette saga dans un nouveau livre, Godasse, le vrai visage d’un tueur des Hells, en librairie dès maintenant.
La chute de l’ex-numéro un des Hells Angels, Maurice «Mom» Boucher, s’est amorcée entre les 5 et 8 décembre 1997. Voici six moments clés de cette période de trois jours où son homme de main, Stéphane «Godasse» Gagné, est passé dans le camp des délateurs et l’a incriminé pour les meurtres de deux gardiens de prison.
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5 décembre, à 17h08
Godasse a passé la journée à attendre dans le vaste domaine de Mom, à Contrecœur. Mais il neige à plein ciel et leur plan démoniaque de patrouille armée en hélicoptère tombe à l'eau. Le club sandwich que Godasse a commandé pour souper tarde à arriver. Godasse prend le cellulaire de Boucher pour rappeler au restaurant Idéal, sans se douter que la police est encore à l'écoute.
– C'est ben 8835, Marie-Victorin? lui demande l'employée en s'excusant.
– Oui.
– Ton numéro de téléphone?
– C'est... Je n'ai pas, finit par dire Godasse.
– J'te fais ça, pis on t'envoie ça.
5 décembre, vers 19h
Des policiers de la SQ filment une camionnette de marque Dodge Ram qui arrive au bunker des Hells à Sorel, rue Prince. Mom est au volant, mais ses deux passagers, Godasse et Toots, attirent l'attention en faisant des grimaces aux policiers. Mom s'esclaffe devant leurs pitreries.
La soirée s'annonce belle pour Godasse qui doit recevoir ses patches de membre en règle des Rockers, en récompense pour son rôle dans les meurtres de deux gardiens de prison, abattus les 26 juin et 8 septembre derniers.
Mais sur place, il apprendra avec stupeur qu'un complice, Steve Boies, à qui il a demandé de camoufler des éléments de preuve de l'un de ces meurtres, en plus d'avoir participé avec lui à une tentative de meurtre bâclée sur un trafiquant de drogue, le 6 mars, a été arrêté et collaborerait avec la police. Mom et Godasse repartent du bunker une heure et quart plus tard.
5 décembre, 22h49
Gagné arrive en face de chez sa belle-mère avec sa conjointe, à Saint-Ignace-de-Loyola, avec l'intention de partir en cavale le soir même. Mais deux policiers de la Sûreté du Québec surgissent aussitôt derrière leur Chevrolet Blazer à bord d'un véhicule banalisé et en sortent rapidement.
«Police! T'es en état d'arrestation pour tentative de meurtre!» crie l'agent Luc Arbour à Godasse en pointant son revolver de calibre .38 en sa direction, pendant que le caporal Luc Pilon arrête sa conjointe pour complicité.
«Vous êtes des malades!» réagit Godasse.
Samedi 6 décembre, 8h09
Gagné s'est fait cuisiner toute la nuit par un enquêteur de l'escouade Carcajou, Robert Pigeon, au quartier général de la SQ à Montréal. «J’ai rien à dire», avait-il répété chaque fois que Pigeon le questionnait sur ses crimes. L’interrogatoire était filmé par une caméra.
À 6h43, les deux hommes avaient quitté la salle. Gagné a demandé à Pigeon s’il pouvait voir une partie des déclarations sur vidéo que Boies avait faites à son sujet. Puis il a demandé s’il pouvait discuter seul à seul avec sa conjointe. Ils sont maintenant de retour dans la salle et l’enregistrement peut reprendre.
«Tantôt, on s’est rencontrés dans un autre bureau. T’as démontré de l’intérêt à vouloir devenir un témoin du ministère public dans les dossiers où t’es impliqué. C’est bien ça?» lui demande le sergent Pigeon. «Oui», répond Gagné qui passera les 25 minutes suivantes à faire des aveux, en incriminant Mom Boucher.
6 décembre, 12h15
– Ç'a d'l'air que Godasse serait viré délateur, annonce Normand Robitaille, un membre des Hells du chapitre Nomads, à son chef au téléphone.
– Godasse? dit Mom, interloqué.
– Ouin.
– Comment ça?
– Ben, on a ça comme nouvelle, là. C'est les avocats [...], y se sont fait [dire] de pus essayer de le rejoindre, qu'y serait rendu su' leur bord, élabore Robitaille.
– Ben non, c'est pas vrai ça, rétorque Mom, qui refuse alors de le croire.
8 décembre, 16h11
Après la comparution de Gagné au tribunal cet après-midi-là, le Hells Robitaille rappelle Boucher et lui transmet la pire des nouvelles.
– Bon, ça va mal, lui dit-il.
– Ah! répond Boucher.
– Y’a refusé l’avocat. Il [l’avocat] était devant lui pis il [Godasse] disait pas un mot. Pis les cochons ont dit qu’y avait pus besoin d’avocat, élabore Robitaille en laissant entendre que Gagné collabore maintenant avec les autorités.
– Misère, eh! C’est dans le solide, réagit Boucher.
– C’est du solide, lui répète Robitaille.
– Hahaha! Bon ben, y’a rien de trop beau..., enchaîne Mom sur un ton résigné.
