Hells Angels: la condamnation de Maurice «Mom» Boucher a préservé le système de justice québécois d'autres attaques du crime organisé
Les motards ont même expulsé leur chef déchu alors qu'il était incarcéré pour avoir commandé les meurtres de deux gardiens de prison en 1997

Félix Séguin, Jean-Louis Fortin et Eric Thibault
Vingt-cinq ans avant Frédérick Silva, qui aide présentement la police à résoudre une soixantaine de complots de meurtre, la justice québécoise a eu recours à un autre célèbre délateur. Au tournant des années 2000, Stéphane «Godasse» Gagné a permis de mettre hors d’état de nuire le chef des Nomads, Maurice «Mom» Boucher, au terme de deux procès spectaculaires. Notre Bureau d’enquête dévoile des détails inédits de cette saga dans un nouveau livre, Godasse, le vrai visage d’un tueur des Hells, en librairie dès maintenant.
La condamnation de Maurice «Mom» Boucher en 2002 pour les meurtres de deux gardiens de prison a fermement dissuadé le crime organisé de s’attaquer de nouveau au système judiciaire du Québec.
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Voilà peut-être l’héritage le plus précieux légué par les artisans de l’incarcération à perpétuité du leader déchu des Hells Angels, dont quelques-uns se sont confiés à notre Bureau d’enquête.
Car nombreux sont les pays qui ne peuvent en dire autant.
«Ailleurs dans le monde, en Italie, en Colombie, au Mexique... C’est régulier de s’attaquer aux institutions et au système de justice», a révélé Robert Pigeon, un enquêteur de l’escouade Carcajou qui a joué un rôle crucial dans cette affaire, avant d’aller diriger la police de Québec.

«Lorsque les Hells Angels ont attaqué le système de justice, ça ne s’était jamais vu au Québec, a-t-il dit en évoquant les assassinats des agents correctionnels Diane Lavigne et Pierre Rondeau en 1997. C’était notre devoir, notre responsabilité, de prendre des mesures fortes pour freiner ça. Puis de faire en sorte que ça n’arrive plus. Et ce n’est pas arrivé non plus.»
Climat de peur
Le Québec traversait alors l’une des périodes les plus troubles de son histoire contemporaine, avec la sanglante guerre des motards entre les Hells Angels et les Rock Machine.
«La peur était omniprésente», a relaté la juge à la retraite France Charbonneau, qui était la procureure de la poursuite au procès fatidique pour Boucher.
Le bilan terrifiant de cette guerre: 165 morts et 181 blessés, en huit ans.
Parmi eux, 29 victimes innocentes, dont neuf ont perdu la vie, incluant le jeune Daniel Desrochers, 11 ans, tué par l’explosion d’une bombe alors qu’il jouait dehors dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à l’été 1995.
En plus des gardiens de prison, « Mom » voulait aussi s’en prendre à des policiers, des juges et des procureurs. Il espérait que la perspective de passer au moins 25 ans en prison dissuaderait ses hommes de main de virer délateurs.

Sous pression
En faisant abattre des agents de la paix, Boucher espérait à tort que la perspective de passer au moins 25 ans en prison dissuaderait ses hommes de main de devenir délateurs.

«Il y a des explosions sur une base régulière, des assassinats en pleine rue, plusieurs victimes innocentes... Les citoyens sont indignés. Donc, il y avait énormément de pression pour qu’on solutionne ces crimes-là, qu’on mette fin à cette guerre et qu’on trouve les responsables des meurtres des gardiens de prison», a témoigné M. Pigeon.
Mais pour «percer le mystère, ça nous prenait un témoin repenti à l’intérieur de l’organisation», a-t-il ajouté.
Convaincre Godasse
L’enquêteur a passé la nuit du 6 décembre 1997 dans une salle d’interrogatoire, face à face avec Stéphane Gagné, striker d’un club-école des Hells qu’on surnommait Godasse à cause de ses grands pieds.

Gagné, qui avait participé aux deux meurtres, a fini par tout avouer et dénoncer son chef.
Boucher a cependant été acquitté après un premier procès où, chaque jour, on a laissé les motards aller intimider du regard les 12 membres du jury dans la salle d’audience.
La guerre a continué, faisant d’autres victimes innocentes, dont le journaliste Michel Auger, qui a survécu miraculeusement après avoir été atteint de six balles dans le stationnement du Journal de Montréal, le 13 septembre 2000.

Boucher largué
Mais un mois plus tard, la Cour d’appel ordonnait un nouveau procès et le 5 mai 2002, Boucher entendait le juré numéro 7, un entrepreneur en construction, le déclarer coupable.
«Ce procès est important, ne serait-ce que pour démontrer que les jurés ont été capables de mettre de côté leur peur pour juger uniquement en fonction de la preuve», a fait valoir Mme Charbonneau.

D’après Robert Pigeon, les Hells Angels ont «payé un lourd prix» pour les décisions de Boucher et leur rôle dans cette guerre meurtrière quand plusieurs d’entre eux ont écopé de longues peines d’incarcération à la suite de l’opération Printemps 2001.
Cet épisode marquant de l’histoire du Québec a aussi permis de renforcer les lois qui visent le crime organisé, et de mieux protéger les acteurs du système de justice et les journalistes qui pourraient faire l’objet de menaces.
Les Hells ont fini par larguer Boucher en l’expulsant du gang, en 2014, huit ans avant sa mort.