Une vague d’appuis pour France Charbonneau, la procureure qui a eu raison de «Mom» Boucher
La juge à la retraite est revenue sur le procès où elle a obtenu la condamnation à perpétuité de «Mom» Boucher dans une entrevue avec le Bureau d’enquête
Jean-Louis Fortin et Eric Thibault
25 ans avant Frédérick Silva, qui aide présentement la police à résoudre une soixantaine de complots de meurtres, la justice québécoise a eu recours à un autre célèbre délateur. Au tournant des années 2000, Stéphane «Godasse» Gagné a permis de mettre hors d’état de nuire le chef des Nomads Maurice «Mom» Boucher au terme de deux procès spectaculaires. Notre Bureau d’enquête dévoile des détails inédits de cette saga dans un nouveau livre, Godasse – le vrai visage d’un tueur des Hells, en librairie dès maintenant.
Près d’un quart de siècle après avoir obtenu la condamnation pour meurtres de Maurice «Mom» Boucher, l’ex-procureure de la Couronne France Charbonneau se rappelle encore vivement la vague d’amour qu’elle a reçue des Québécois, elle qui osait s’attaquer à l’ennemi public numéro un dans la province.
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Le Journal a pu rencontrer Mme Charbonneau l’automne dernier, quelques jours après qu’elle eut officiellement pris sa retraite comme juge à la Cour supérieure.
Cette retraite se préparait depuis un certain temps compte tenu de la série L’appel, diffusée depuis le 23 janvier dernier sur illico+. La série revient sur le deuxième procès de «Mom», qui s’est déroulé en 2002 et à l’issue duquel il a été condamné à l’emprisonnement à vie pour les meurtres de deux gardiens de prison. France Charbonneau a été nommée juge deux ans plus tard.

«Je ne me voyais pas siéger en tant que juge de la Cour supérieure en même temps que, en quelque sorte, je serais une figure importante de la série», explique-t-elle.
Une pizza en récompense
En partie libérée du devoir de réserve que lui imposait la magistrature depuis 20 ans, France Charbonneau s’ouvre un peu plus volontiers sur les émotions qu’elle a vécues au tournant des années 2000.

Le puissant chef des Hells Angels avait déjà été acquitté des mêmes accusations de meurtre trois ans plus tôt, et il ne fallait pas avoir froid aux yeux pour l’affronter dans un palais de justice.
«[Le public] était extrêmement gentil à mon égard. Les gens étaient respectueux, ils étaient contents, ils ne manquaient pas une occasion de me dire de garder courage, et de continuer», dit Mme Charbonneau.
«Il m’est même arrivé, après le verdict, qu’à un petit restaurant de pizza, les employés se cotisent pour m’acheter une pizza», se remémore l’ex-procureure devenue juge.
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«Tu ne peux pas refuser, là. C’est sûr que je ne peux pas accepter des cadeaux [comme procureure], mais si j’avais refusé cette pizza-là, je pense qu’ils se seraient mis à pleurer», ajoute-t-elle sur un ton badin.
Bourreau de travail
France Charbonneau avait travaillé «facilement 70, 80 ou 90 heures par semaine» pour mener à bien ce procès.
Elle avait un redoutable adversaire en Jacques Larochelle, l’avocat de Boucher. «À un moment donné, Me Larochelle a choisi de ne plus m’adresser la parole. Moi, ça ne me dérangeait pas, je passais par mon enquêteur».

Les observateurs ont bien cru que tout tomberait à l’eau parce qu’après 10 jours de délibérations, le jury ne s’était toujours pas entendu sur un verdict. Qu’importe, la procureure était prête à tout recommencer s’il le fallait.
«La cause était trop importante. [Les Hells] essayaient de déstabiliser le système de justice. [...] C’est certain que j’aurais recommencé, même si j’aurais été un peu découragée», relate-t-elle.
L’ex-procureure énumère les éléments de preuve qu’elle a présentés en 2002, et qui corroboraient le témoignage de son témoin vedette, le délateur Stéphane «Godasse» Gagné. Les photos qui montraient les motos volées, les casques, les plaques d’immatriculation factices qui ont servi aux tueurs...
«C’était un travail d’équipe», insiste-t-elle en évoquant les procureurs Yves Paradis et Carole Lebeuf, qui l’ont épaulée à l’époque, ainsi que le travail des enquêteurs de police.
«J’étais sûre de les convaincre»
France Charbonneau dit n’avoir «jamais» eu de menaces et n’avoir «jamais» eu peur, même si certains motards avaient pris un malin plaisir à intimider les jurés lors du premier procès. Elle était persuadée que, cette fois, «Mom» serait trouvé coupable.
«J’étais sûre que j’étais pour les convaincre [les jurés].
J’ai plaidé pendant une journée et une heure. Tous les points étaient couverts, les uns après les autres. Tous les éléments de corroboration avec le témoignage de Gagné étaient couverts. Tous.»

Le procès de «Mom» a été le plus médiatisé de sa carrière, convient-elle. Mais pas le plus important.
«Je faisais des causes de meurtre, et toutes les causes de meurtre sont des causes importantes. Il y avait celle du petit enfant qui est mort à 29 jours...», évoque Mme Charbonneau.

A-t-elle des projets de retraite?
«Oui, mais il est trop tôt pour en parler», dit-elle, avec le sourire en coin.